Depuis que le président français Emmanuel Macron a exhorté le plus officiellement du monde, comme au bon vieux temps des injonctions comminatoires françafricaines, le nouveau président de la RDC de s’éloigner de son prédécesseur, la presse officielle de l’hexagone s’est engouffrée dans le service après-vente pour concourir à la matérialisation du souhait du locataire de l’Élysée. En vendant l’illusion que la France connaissait mieux que les Congolais eux-mêmes ce qui est bon pour leur propre destinée, le paternalisme français atteint ainsi des proportions caricaturales avec une avalanche de sarcasmes désobligeants déversés sur le premier d’entre les Congolais.
On ne peut pourtant pas accuser Félix Tshisekedi d’avoir été peu avenant à l’égard de la presse française qui fait des jaloux auprès de la corporation des journalistes congolais pour avoir arraché au nouveau président congolais sa toute première interview. Au cours de celle-ci, l’irrévérence était déjà au rendez-vous de nos confrères Christophe Boisbouvier (RFI) et Marc Pellerman (France 24) qui eurent le toupet de demander à un président élu s’il était ‘‘pleinement président’’. Imaginons en inversant les rôles que des journalistes africains se soient laissés aller à demander à un Jacques Chirac cohabitant avec Lionel Jospin s’il était pour autant ‘‘pleinement président’’…
RDC – France : même régime constitutionnel
En effet, s’il est un pays où l’opinion publique peut aisément comprendre l’architecture institutionnelle actuellement en place en RDC, c’est bien la France dont les institutions politiques sont en tous points quasiment identiques à celles du pays de Lumumba. Car, la troisième République congolaise est similaire à la cinquième République française. Les attributions du président de la République française sont presque exactement les mêmes que celles de son homologue congolais du point de vue constitutionnel. Le régime politique est sémi-présidentiel en France comme en RDC. Il s’ensuit par exemple que Émmanuel Macron qui possède la majorité parlementaire n’en est pas plus président de la République que Jacques Chirac ou François Mitterand qui n’avaient pas toujours possédé de majorité parlementaire au cours de leurs mandats…
La RDC n’est donc pas le premier pays au monde où le vainqueur d’une élection présidentielle est différent du chef de la majorité parlementaire. Question : pourquoi les médias français jettent-ils ainsi délibérément l’opprobre sur le pouvoir présidentiel de Félix Tshisekedi au motif que la majorité parlementaire lui échapperait ?
Médias Français : fabriques de dictateurs africains
Le moins que l’on puisse dire est que les médias globaux français n’ont guère changé d’approche dans leur rapport à l’Afrique malgré la prétendue mort tant vantée de la ‘‘françafrique’’. En clair, les schèmes opérationnels de cette tentative de recolonisation sont toujours à l’oeuvre dans le traitement de l’information africaine au «pays des droits de l’homme». Hier comme aujourd’hui, la ligne éditoriale de la presse officielle dans l’hexagone érige en norme la focalisation sur les intérêts français en Afrique. Les dirigeants africains sont toujours considérés comme bons ou mauvais selon qu’ils s’alignent ou non sur la politique étrangère de la France.
Or il se trouve que les intérêts de la France sont souvent en contradiction avec ceux des Africains. D’où la propension de ces médias français, d’une part à encenser ceux des dirigeants africains qui consentent à sacrifier les intérêts de leurs peuples pour privilégier ceux de la France, même s’ils sont des dictateurs, et, d’autre part à noircir ceux qui campent sur leurs intérêts nationaux.
Victime d’un tel lynchage médiatique, le premier président guinéen, Ahmed Sékou Touré, avait coutume de répéter à ses compatriotes ces mots qui décrivent bien la situation actuelle : «quand tu es félicité par le colon, c’est que tu es mauvais pour ton peuple. Quand ils disent que tu es mauvais, c’est que tu es bon pour ton peuple. Le jour où ils diront que je suis bon, c’est que je vous aurai trahi».
On dira que c’est de bonne guerre qu’un média public concourt à renforcer la puissance de son pays. Il n’en demeure pas moins que cela pose un problème éthique sérieux dans la mesure où la propagande présentée comme de l’information réduit la capacité de la majorité des Africains francophones à faire la part des choses entre la vérité et la manipulation partisane. Il est même des journalistes africains qui pensent que pour mieux pratiquer leur métier, ils doivent voir l’actualité à travers les lorgnettes des médias français. De sorte que les propagandistes français ont de plus en plus beau jeu de se limiter à faire parler ces professionnels africains de l’information qui agissent pour le coup comme des véritables ‘‘nègres de service’’.
Revues de presse orientées sur RFI
La revue de la presse africaine est devenue par les temps qui courent une des rubriques phares de RFI Afrique. Si certains tabloïds africains considèrent encore que figurer dans la revue de la presse de RFI relève d’une consécration, c’est en passant par pertes et profits ce travail de tri politiquement orienté qui s’effectue en amont.
En RDC, la chronique politique a été dernièrement dominée par un qualificatif irrévérencieux, voire injurieux, utilisé contre le président Félix-Antoine Tshisekedi par un tabloïd … burkinabè. «Potiche» est l’épithète accolé au nouveau président congolais au motif que sa plateforme électorale ne se serait pas adjugée la part du lion dans l’accord de gouvernement conclu avec la famille politique de l’ancien président Kabila qui dispose pourtant d’une majorité claire et nette au Parlement.
RFI a relayé avec délectation l’analyse biaisée d’un confrère du Burkina Faso manifestement abusé autant par sa connaissance approximative des réalités politiques du pays de Lumumba que par sa volonté de complaire à de puissants sponsors.
Coalition FCC-CACH gage de la stabilité de la RDC
Un peuple qui ne prend pas la mesure des impairs commis par ses aïeux fonce droit vers la catastrophe en répétant les erreurs du passé. En RDC, si à l’indépendance le chef de l’État issu de l’ABAKO avait été désigné sur base d’un compromis politique par une majorité parlementaire acquise au premier ministre MNC, les élections couplées au suffrage universel direct du 30 décembre 2018 ont quant à elles débouché sur un bicéphalisme similaire. Ces dernières élections étaient annoncées comme celles de tous les dangers car tous les démons de la division faisaient chorus dans les médias globaux pour prédire le chaos, quelle qu’en soit l’issue…
Contre toute attente, Félix Tshisekedi a raflé le top job et Kabila lui a passé le flambeau sans anicroche. Toutefois son élection à la présidence ne s’est pas répercutée sur les scrutins législatifs nationaux et provinciaux remportés haut la main par le président sortant. Plutôt que de se regarder en chiens de faïence comme le firent en leur temps Joseph Kasavubu et Patrice Lumumba en 1960 à l’instigation des néocolonialistes piaffant de rependre pied dans leur ancienne possession, Tshisekedi et Kabila ont préféré jouer la carte de l’unité de leurs forces respectives pour donner priorité à la lutte contre les vrais ennemis de leur pays que sont le sous-développement, l’insécurité et la pauvreté de leurs compatriotes.
Transcendant leurs divergences stériles, les deux leaders ont vite perçu l’intérêt de fusionner dans une coalition politique orientée vers la conservation des acquis et la mise en oeuvre résolue des changements nécessaires à l’émergence du Congo. Il était clair que pour le souverain primaire, la solution résidait dans la conservation des avancées enregistrées pendant les années Kabila et dans la rectification du tir là où il le faut comme le souhaite l’ancien opposant radical devenu président, Félix Tshisekedi.
Ce n’est de toute évidence pas le point de vue des esprits chagrins nostalgiques de l’ordre néocolonial en Europe notamment qui s’obstinent à galvauder la coalition mise en place à cet effet par le CACH de Tshisekedi et le FCC de Kabila pour mener à bonne fin les réformes nécessaires au progrès tant attendu. Il est normal qu’au pays comme à l’étranger, certains pans de l’opinion publique puissent avoir quelque peine à comprendre cette nouvelle donne. Les années à venir vont certainement permettre aux uns de déchanter, et aux autres de défendre pour une fois un bilan favorable à l’intérêt général.
Vue sous cet angle, la sagesse politique qui a inspiré la constitution de la coalition FCC-CACH devrait être saluée au regard de l’histoire tragique de la RDC post-indépendance.
JBD