Plus que 24 heures, et les rd congolais seront fixés sur la succession du sémillant Léon Kengo wa Dondo à la tête du Sénat. Parce que samedi 27 juillet 2019 se tient l’élection des membres du bureau de la chambre haute du parlement, également appelée « chambre des sages » en raison de la personnalité et de l’expérience dans la gestion de la res publica des élus au second degré qui la composent. Les votes du week-end revêtent néanmoins un caractère particulier, pour la majorité kabiliste particulièrement, appelée à confirmer et conforter dans les faits les statistiques des élections nationales et provinciales de décembre 2018.
C’est connu. Si à la présidentielle, le candidat du Front Commun pour le Congo (FCC) a courbé l’échine face à celui de Cap du pour le Changement (CACH) du duo Félix-Antoine Tshisekedi-Vital Kamerhe, aux législatives nationales et provinciales, la famille politique kabiliste s’en est tirée avec une majorité plus que confortable de sièges dans les deux chambres parlementaires. Qui contraignent le vainqueur de la joute présidentielle à coaliser avec ses adversaires d’hier. Assez laborieusement jusque-là.
Dans les faits, le FCC s’en est encore tiré à bon compte en réussissant parfaitement l’élection du ticket emmené par Jeanine Mabunda Lioko au bureau de la chambre basse du parlement. En attendant la formation du gouvernement de coalition FCC-CACH annoncé pour très bientôt, l’élection au bureau du Sénat devrait conforter la majorité kabiliste, encore plus explicite ici.
Fronde de dernière minute
Le ticket FCC au bureau du Sénat que pilote l’ancien ministre de la Justice et Garde des Sceaux Alexis Thambwe Mwamba, se serait mieux porté si une fronde ne s’était pas déclarée dans les rangs du FCC ces dernières semaines. Modeste Bahati Lukwebo, président du regroupement politique AFDC & Alliés qui comptait 13 sénateurs sur les 109 de la chambre haute, a contesté le choix de Joseph Kabila jusqu’à poser sa propre candidature au poste de président du bureau. Cité dans toutes les frondes qui ont menacé l’unité de la kabilie ces dernières années, cet acteur politique du Sud Kivu qui a patiemment tissé sa toile en partant d’organisations de la société civile se prévaut de plus d’une centaine d’élus toutes catégories confondues (députés nationaux, sénateurs, députés provinciaux, gouverneurs et vice-gouverneurs), et exige une monture à la taille ainsi chiffrée de ce qu’il considère comme son poids électoral. Formellement exclu du FCC depuis quelques semaines, Bahati est pourtant loin d’avoir emporté avec lui l’ensemble des 13 élus AFDC & Alliés au Sénat. Ce qui ne l’a pas empêché d’exigé bruyamment la réévaluation des forces politiques en présence au parlement avant la formation du gouvernement de coalition FCC-CACH qui semble être son principal point de focalisation.
A l’Assemblée nationale issue des dernières législatives, où l’AFDC-A de Bahati compte le plus grand nombre de sièges, seulement une quarantaine de députés émargent sur les listes du regroupement po- litique bahatiste. 21 parmi eux ont accepté de le suivre dans sa fronde. C’est bien peu par rapport aux 350 députés nationaux du FCC. Majorité inébranlable Idem, sinon mieux à la chambre haute du parlement, où l’AFDC-A n’aligne qu’une dizaine de sénateurs sur la centaine que compte cette chambre, également dite chambre de sages. Modeste Bahati ne peut, arithmétiquement, compter que sur moins d’une dizaine des 13 sénateurs élus sur les listes du regroupement politique dont il est l’initiateur. Trop insignifiant pour ébranler le mastodonte FCC fort de quelques 90 élus.
Seulement, le syndrome Kengo wa Dondo hante les annales des élections au bureau du Sénat rd congolais. Il s’agit de l’élection en 2006 de l’ancien 1er ministre du Maréchal Mobutu à la tête du bureau du Sénat face au candidat d’une Majorité Présidentielle (AMP) alors majoritaire, Léonard She Okitundu. Durant 13 ans, Joseph Kabila a ainsi été contraint à la cohabitation avec un président du bureau du Sénat qu’il n’avait pas choisi. La candidature de Modeste Bahati semblait faite pour rééditer cet « exploit » politiquement inconséquent. D’autant plus que l’homme, connu pour sa roublardise particulière, n’a rien du grand homme que l’on reconnaît en Kengo et se montrait assuré de pouvoir détourner à la limite de la moralité, la majorité des « sages » à son profit.
Mercredi 24 juillet 2019, à l’occasion de l’ouverture de la campagne électorale pour les élections au bureau du Sénat, Modeste Bahati, qui a bu le calice de la fronde contre Joseph Kabila jusqu’à la lie, affichait toutes les assurances de mise en matière de débauchage. « Comment ne pas être convaincu, en vous regardant en face, que vous êtes conscients de ce désir du changement véritable exprimé clairement par notre peuple lors des élections du 30 décembre 2018 ? C’est cette détermination de contribuer au véritable changement dans le pays qui a amené la Conférence des Présidents des partis et Personnalités Politiques y compris les Cadres de l’Alliance des Forces Démocratiques du Congo et Alliées (AFDC-A) qui ont, à l’unanimité, jeté leur dévolu sur ma modeste personne pour briguer le poste de Président de notre prestigieuse Institution », a-t-il lancé sénateurs los de son discours programme en feignant d’ignorer que le « peuple » auquel il faisait allusion avait envoyé au Sénat une forte majorité FCC.
Péril en la demeure
Il y a péril en la demeure et le candidat président officiel de la chambre haute du parlement de la première famille politique du parlement rd congolais s’en est fait l’écho au cours d’une réception en son honneur au Kempisky Fleuve Congo Hôtel, le même jour. «Je ne doute pas que nous sommes tous conscients qu’il s’agit de l’avenir politique de notre famille politique, de l’avenir politique de notre autorité morale, de l’avenir politique du FCC. N’ayons aucune illusion, à supposer par impossible que le samedi, le ticket ne passe pas, il apparaîtra clairement à la face du monde tant au niveau national qu’international que notre majorité est factice et n’existe pas », a-t-il déclaré à l’intention de ses collègues du FCC. Entre les deux candidats, c’est le jour et la nuit.
Modeste Bahati, c’est cet acteur politique qui a fait son trou dans le landernau politique kinois à force de ruses et d’astuces malicieuses. On rappelle à cet égard les « affaires » qui ont ponctué son passage à la direction générale de la défunte Banque de Crédit Agricole (BCA) sous la deuxième République et plus récemment de la Société Nationale d’Assurances (SONAS) autant qu’à celle du ministère national de l’Economie, marqué par de sérieux conflits d’intérêts contraires aux fondamentaux de la bonne gouvernance. Cet acteur politique réputé pour avoir acquis des propriétés immobilières à une cadence effrénée dans la ville haute kinoise, à Goma et à Bukavu entre autres, fut peut-être bien inspiré pour son intérêt de réinvestir ses gains accumulés à ces différents postes dans la politique active. Mais cela ne fait nullement de Modeste Bahati un homme d’Etat de la carrure d’un Léon Kengo dont il faut bien aujourd’hui combler le vide à la tête du Sénat, selon nombre d’observateurs. A tout prendre, pour la dignité de la fonction de président du bureau de la chambre des sages, c’est un homme d’Etat qu’il faut et non pas un d’affairiste comme Bahati. C’est sans doute ce que le très respecté Léon Kengo wa Dondo, le président sortant du Sénat, a tenu à faire savoir à sa manière aux nouveaux locataires de la salle des conférences internationales du Palais du Peuple en faisant parvenir un chaleureux message de soutien à son « cher Alexis » (Thambwe Mwamba) de l’Europe où il séjournait pour raisons médicales avant de le recevoir à dîner en sa résidence jeudi 25 juillet en présence d’un convive aussi prestigieux que Laurent Cardinal Monsengwo, archevêque émérite de Kinshasa.
J.N.