Ce qu’il convient désormais d’appeler «bahatigate » n’a pas fini de dérouler ses épisodes. Secrétaire général de l’AFDC dont il est membre co-fondateur, et aujourd’hui co-vice-président du regroupement AFDC-A après l’éviction de Bahati Lukwebo, Patrick Djanga donne de la voix pour dire la vérité sur la face cachée de la fronde de Lukwebo. Il révèle entre autres, dans l’entretien ci-dessous, que la présidence du Sénat n’est qu’un élément déclencheur et qu’en réalité, Bahati avait déjà quitté la famille politique FCC dès lors qu’il avait décidé de se libérer de sa fidélité et de sa loyauté à son autorité morale comme le prévoit les textes fondateurs du FCC. « Lorsqu’il vous dit, par exemple, de ne plus avoir peur de Joseph Kabila parce qu’il n’a plus la signature comme chef de l’Etat, que voulez-vous conclure », révèle-t-il sous forme interrogative. Le secrétaire général de l’AFDC soutient qu’il n’y a pas de problème au FCC ni à l’AFDC-A et que tous les cadres détenant des mandats aux couleurs FCC demeurent fidèles à leur plate-forme et à la vision de son autorité morale. Il assure qu’après le lancement de l’ultimatum de sept jours, ces cadres sont en train de confirmer leur appartenance au FCC et leur loyauté à Joseph Kabila. Et s’agissant du financement de leur campagne électorale en 2018, Djanga promet des preuves, mais prévient déjà que c’est bien le FCC de Kabila qui a financé et que, l’argent parvenait aux candidats par le canal des responsables de leurs regroupements et partis respectifs.
Yvon RAMAZANI (Y.R.) : Patrick Djanga, vous êtes secrétaire général de l’AFDCA, cette plate-forme qui est aujourd’hui traversée par des divergences qui sont en train d’avoir raison de sa cohésion. Tout tourne, on le sait, autour du siège de président du Sénat que convoite votre autorité morale, Modeste Bahati, qui a décidé de prendre son autonomie après sa suspension du FCC. Dites-nous d’abord, quelle est la situation actuelle au sein de votre plate-forme ?
Patrick DJANGA (P.D.): Il faut d’abord recadrer les choses. Moi-même je suis secrétaire-général de l’AFDC et je vous dis tout de suite qu’il n’y a pas d’imbroglio au sein de l’ADFC et alliés. Dire que tout tourne autour de la présidence du Sénat, c’est biaiser la réalité puisque ça c’est un élément déclencheur. Nous sommes en face d’un problème de loyauté et de fidélité. A la création de l’AFDC, nous avions fait allégeance à Joseph Kabila Kabange comme notre autorité morale. C’est à ce titre que l’AFDC/A a toujours été d’abord dans l’AMP, ensuite dans la MP et aujourd’hui au sein du FCC sous la même autorité morale. Et c’est dans ce contexte que nous sommes allés aux élections de 2018. Maintenant nous commençons à voir des signaux quelque peu incohérents avec l’élément déclencheur qu’est la candidature du sénateur Modeste Bahati à la présidence du Sénat. Certes, nous en tant que regroupement, avions présenté sa candidature et, comme il est de bon aloi en politique, il n’était pas seul. Nous avions présenté trois noms pour que la plateforme FCC puisse choisir sur la liste AFDC-A et celles qui viendraient d’autres partis et regroupements afin que, conformément aux textes et par son pouvoir discrétionnaire, l’autorité morale puisse décider. Et c’est ce qui a été fait : toutes les candidatures sont arrivées et l’autorité morale s’est prononcée en retenant la candidature de l’Honorable Alexis Thambwe-Mwamba. C’est lui qui va porter les couleurs du FCC comme candidat à la présidence du Sénat. Pour nous, le débat est clos, y compris pour Monsieur Bahati. Lorsqu’il y a eu validation des mandats au niveau du Sénat, lui-même l’avait déclaré et la vidéo existe. Il a avait déclaré qu’il est, certes, candidat mais sa candidature sera soumise à l’appréciation de l’autorité morale du FCC. Il avait ajouté que si c’est lui qui sera retenu, Dieu merci ; dans le cas contraire, il allait se plier à la décision de l’autorité morale et battre campagne pour cette personne-là. Mais nous sommes surpris par cette acharnement à soutenir une seule candidature (Ndlr : de l’AFDC-A), alors que les deux autres ne le préoccupent pas. C’est pourquoi nous avons tiré les conséquences de son comportement. Le FCC lui a infligé une exclusion temporaire parce que son attitude n’est pas appropriée, et le FCC a demandé à l’AFDC-A de dégager un leadership et non pas un seul nom pour se représenter aux réunions de la plate-forme. Un leadership veut dire un mécanisme de travail composé de personnes, bien entendu, mais qui reflète la vision de l’autorité morale du FCC. Donc nous retenons que l’élément déclencheur est la candidature à la présidence du Sénat, mais le problème est qu’il y a des gens qui ne veulent plus faire allégeance à l’autorité morale du FCC.
Y.R. : On parle d’une aile qui a décidé de suivre Bahati dans son autonomie et d’une autre qui demeure au sein du FCC. Que disent vos textes dans ce genre de situation pour savoir de quelle côté se trouve la légitimité et l’imperium ?
P.D. : Non, il n’est pas question d’ailes dans cette situation. C’est à Monsieur Bahati qu’il faut poser cette question. Nous sommes allés aux élections avec les moyens du FCC et l’image de l’autorité morale qu’est le président Joseph Kabila, et c’est pendant qu’on installe les institutions issues de ces élections, on prétend qu’on n’est pas du FCC ! Nous, nous demeurons constants, mais il faut demander à Bahati ce qu’il veut devenir et par rapport à quoi il a décrété cette autonomie jusqu’à dire qu’il y a maintenant trois plates-formes au sein de la majorité. Nous nous savons que dans la majorité, le deal c’est entre le FCC et CACH.
Y.R. : La querelle dans vos rangs déborde jusqu’à cette affaire d’argent de caution de certains candidats. Eclairez-nous un peu : d’où était venue la caution de Steve Mbikayi et d’autres candidats de l’AFDC et ses alliés ?
P.D. : Pour cette question, je crois qu’on va y aller bientôt avec des preuves. Moi-même je fus candidat aux dernières élections, même si je n’ai pas été élu. C’est le regroupement qui nous avait donné les moyens pour la caution et la campagne. En ce moment on nous disait que l’argent était venu de la poche de Bahati. Mais on apprendra que c’est le FCC qui avait remis les fonds nécessaires à Bahati pour soutenir la campagne électorale des candidats de l’AFDC-A et d’autres regroupements. En ce moment, qui doit-on dire qu’il a payé cet argent ? Certes, personne de tous les candidats n’allait au FCC pour percevoir l’argent, mais c’est le FCC qui le remettait aux regroupements à travers leurs responsables qui payaient en- suite la caution des candidats. Nous concluons donc que c’est le FCC qui a payé.
Y.R. : Vous-mêmes dans quel camp vous trouvez-vous et pourquoi avoir fait ce choix ?
P.D.: Je vous répète qu’il n’existe pas d’ailes. Moi je suis dans l’AFDC qui est membre de l’AFDC-A, lequel est membre du FCC. C’est là que je suis par loyauté, fidélité et discipline. Vous savez, dans ce pays, il y a des problèmes qui sont en train d’être résolus, mais nous avons encore des acteurs politiques qui ne sont pas encore des hommes d’Etat. La transhumance est un problème très sérieux chez-nous. La constance chez nos acteurs politiques pose problème. Tantôt ils vont aux élections et les gagnent, et ils disent qu’ils sont dans la majorité au pouvoir ; tantôt ils disent qu’ils sont dans l’opposition parce qu’ils ont échoué. Moi je suis constant dans ma position jusqu’aujourd’hui.
Y.R. : Avez-vous réellement une existence juridique, vous qui êtes au FCC, et ne craignez-vous pas la déception demain si un poste ne vous est pas attribué ?
P.D.: Ça fait neuf ans que je suis à l’AFDC, c’est-à-dire depuis sa création. Je suis parmi les six personnes qui avaient rédigé les statuts et règlement intérieur de ce parti. Je n’ai jamais été nommé et je n’en fais pas un problème. Moi je viens de la société civile. En politique le combat, c’est aussi faire triompher sa vision, son projet de société. C’est cette tendance à réduire tous les problèmes à l’argent et aux postes qui tue ce pays et qui fait qu’on a plus de politiciens que d’hommes d’Etat. Mon problème n’est pas un poste, mais une certaine rationalité quand on est acteur politique. Il n’est pas indiqué de se réveiller un matin sur une position pour décider ensuite de casser la baraque parce qu’on n’a pas obtenu un poste. Ce n’est pas sérieux. Il arrive qu’il nous soit confié des responsabilités, on va les prendre et travailler pour l’intérêt du pays.
Y.R.: Maintenant, en votre qualité de membre de ce regroupement AFDC-A, pensez-vous qu’il en reste quelque chose avec ce qui se passe? Ne pensez-vous pas que l’émiettement de vos groupes parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat est en train d’annihiler la deuxième force politique du FCC que vous représentiez ?
P.D. : Pas du tout. Vous avez commencé par parler d’ailes, maintenant vous parlez d’émiettement, mais il n’en est rien. Pour votre information, lorsque le FCC a demandé qu’on dégage un leadership, nous l’avons fait. A ce jour, puisque le sénateur Bahati a pris son autonomie, le FCC l’a radié, mais nous, nous sommes toujours là. Puisque nous ne devons pas nous encombrer de quelqu’un qui est radié du FCC, nous l’avons exclu et il ne peut plus engager le regroupement AFDC-A. Maintenant l’autre manche c’est de savoir comment les sénateurs, députés et autres cadres sont en train de nous rallier parce qu’ils comprennent ce qui se passe. Je vous assure que la liste est en train de s’allonger. Ils préfèrent rester dans leur famille de départ. La famille se consolide et nous continuons à travailler.
Y.R.: Selon vous, qu’est-ce qui va se passer ou qu’est-ce qui qu’est-ce qui doit se passer d’ici les élections? S’achemine-t-on vers le dédoublement de la plate-forme AFDC-A et du parti AFDC ?
P.D. : D’abord pour l’élection du bureau du Sénat, l’option est claire : les sénateurs du regroupement AFDC-A sont invités à voter pour le ticket du FCC. Nous avons 13 sénateurs et par bon sens, ils vont, peut être à l’exception de Monsieur Bahati, suivre le mot d’ordre du FCC et voter pour le candidat Alexis Thambwe-Mwamba.
Y.R.: Bahati Lukwebo revendique d’être également candidat au perchoir du Sénat. Qui l’a investi candidat, dans quel cadre et suivant quel acte légal ? Je pose cette question, parce qu’on a appris, et vous l’avez dit, que l’AFDC-A avait aussi adressé une lettre de trois candidatures au coordonnateur du FCC.
P.D. : Il n’y a que lui qui peut répondre à cette question. Mais nous avons compris qu’en réalité nous n’étions plus dans la même famille. Lorsqu’on déclare tout haut que vous ne devez plus avoir peur de notre autorité morale puisqu’elle n’a plus de signature, quelqu’un qui dit appartenir à la famille politique de cet ancien chef de l’Etat peut-il tenir un tel discours ? Lorsque l’autorité morale du FCC donne de l’argent pour la campagne électorale, mais que quelqu’un vous dit qu’on a rien donné et qu’on s’est endetté à la banque, ce n’est pas normal. Posez-lui vous-même la question pour qu’il vous dise d’où il tient sa légitimité. Pour nous, on s’en tient au mot d’ordre de notre autorité morale et nos sénateurs en feront autant. C’est ça la légitimité du candidat que nous allons soutenir.
Y.R. : Vous avez donné 7 jours aux cadres AFDC-A détenant des mandats et responsabilités acquis sous les couleurs du FCC de se déterminer. Où en êtes-vous ?
P.D. : Les réactions tombent en cascade et je crois que c’est trop dire en parlant de se déterminer parce qu’ils sont déjà du FCC. Si, par exemple, nous avons 8 députés provinciaux pour l’élection d’un candidat gouverneur de province et que celui-ci l’emporte avec une vingtaine d’autres voix, où pensez-vous qu’il est allé chercher le surplus de ces voix ? Ce ne sont pas des voix de l’AFDC-A mais bien de la famille politique FCC. Et lorsque vous quittez cette famille, vous devez en tirer les conséquences. Or, les amis savent qu’ils sont passés avec les voix du FCC. Nous avons exclu l’Honorable Bahati et aujourd’hui c’est Mme Nene Nkulu qui dirige l’AFDC-A et moi je suis parmi les quatre vice-présidents. La dynamique se poursuit et nous allons continuer à travailler pour l’intérêt de la population.
Y.R. : Vous avez rencontré la présidente de l’Assemblée nationale. Qu’est-ce que vous lui avez dit ?
P.D. : Nous sommes allés lui faire part de cette situation et échanger sur la problématique des députés puisqu’il y en a qui disent qu’ils vont les chasser. Il suffit de lire les dispositions de la constitution pour savoir qu’il n’y a aucun risque à cet égard, sauf pour ceux qui veulent se laisser aller à la divagation.
Y.R. : Finalement, quel sort entrevoyez-vous de votre regroupement et comment pensez-vous sauver les meubles pour ne pas disparaitre comme on l’a vu avec d’autres partis dont ceux qui étaient partis avec Katumbi, notamment l’ARC de Kamitatu et le MSR de Pierre Lumbi ?
P.D. : Pour ces partis que vous citez, il fallait se demander avec combien de députés ils étaient partis et combien étaient restés au FCC et fidèles à Joseph Kabila. Deuxièmement, je voudrais interpeller les acteurs politiques que nous sommes pour nous demander d’être d’abord des hommes d’Etat. La coalition CACH-FCC n’est pas à considérer comme une alliance opportuniste. Notre pays est victime de beaucoup de convoitises et l’un des grands problèmes que nous avons c’est que nous la population congolaise, à travers les acteurs politiques, nous n’arrivons jamais à parler le même langage. Nous n’avons pas de paradigme ni de référence. Nous ne savons pas dire où se situent nos limites de politiciens. Après avoir gagné les élections, le FCC et CACH ont eu la vision de travailler ensemble pour notre pays. C’est une chose à féliciter et encourager, puisqu’avant c’était catastrophique. Le PPRD et l’UDPS se disaient de la social-démocratie, mais s’opposaient. Les alliances doivent se nouer sur base des idéologies et aujourd’hui c’est un embryon qui commence avec cette nouvelle alliance. Au lieu de soutenir cet embryon pour faire face aux phénomènes qui menacent l’existence de notre pays, avec les convoitises de nos voisins et les problèmes socioéconomiques internes, nous étions là à nous rentrer dedans. Au lieu de dialoguer sur la recherche des solutions à tous ces problèmes, des gens haussaient le ton pour ne pas avoir occupé tel poste ou tel autre. C’est scandaleux. Je nous convie à revenir à la raison pour voir ensemble comment faire pour que nos populations trouvent des solutions à leurs problèmes. Nous en sommes capables puisque nous avons étudié. Et je pense que le cadre indiqué pour ces réflexions, c’est le FCC puisque son autorité morale a eu cette capacité d’unir les Congolais. C’était le cas avec le 1+4 auquel personne ne donnait la moindre chance de réussite, mais ça a réussi.
ENTRETIEN ET VÉRITÉS AVEC YVON RAMAZANI