C’est le chemin de non-retour, entre le FCC et Modeste Bahati Lukwebo, président de l’AFDC-A. La rupture est certainement définitive même si on s’entoure encore de circonlocutions pour se donner bonne conscience ou ne pas heurter les dispositions légales qui régissent les mandats électoraux. Personne ne veut prendre la responsabilité juridique d’une démission (ou d’une révocation), qui peut impliquer le retrait ou la perte d’un juteux mandat électoral.
Réunis mardi 9 juillet 2019, les chefs des regroupements membres de la plateforme kabiliste, le FCC, avaient prononcé une sorte d’exclusion temporaire de leur désormais ancien collègue, Modeste Bahati. L’intéressé lui-même, qui s’est réuni avec ses propres présidents des partis composant son regroupement, a décidé de maintenir sa candidature querellée à la présidence du Sénat, tout en muant l’AFDC-A en sous-plateforme autonome affirmant demeurer néanmoins au sein du FCC.
La poudre aux yeux
Il reste que c’est de la poudre aux yeux des non-avertis, estiment les observateurs. Modeste Bahati poursuit bel et bien le bras-de-fer engagé contre le FCC et son autorité morale, Joseph Kabila, et vante ‘‘ses’’ 145 élus, en fait 44 députés nationaux, 70 députés provinciaux, 13 sénateurs ainsi que 2 gouverneurs et 7 vice-gouverneurs. Suffisant à son avis pour revendiquer un nombre conséquent de ministères et portefeuilles d’entreprises d’Etat auprès du tandem Tshisekedi – Kabila.
Réunis mercredi 10 juillet 2019 au Meriba Hôtel à Kinshasa, les présidents des partis politiques membres de l’AFDC-A ont ainsi décidé de boire le calice jusqu’à la lie en défiant le FCC. Tout en lui adressant des remerciements pour « les bons moments passés ensemble ». Ce qui signifie que de tels bons moments appartiennent désormais au passé. L’AFDC-A s’estime en position de tenir tête à quiconque grâce aux voix exprimées en faveur de l’ensemble des élus sur ses listes aux derniers scrutins, soit 1.243.326. « Ceci traduit la confiance de la population en l’AFDC-A et son président », ponctuait mercredi dernier un porte-voix du regroupement de Modeste Bahati.
Affaiblir le FCC
Le coup d’éclat du ministre d’Etat sortant au Plan n’est pas pour déplaire à tout le monde dans le microcosme politique rd congolais. Certainement pas à l’opposition Lamuka, même sérieusement malmenée de l’intérieur, qui ne peut que se réjouir d’un affaiblissement de la puissante coalition FCC-CACH au pouvoir. Ou, mieux encore, du FCC dont relevait jusqu’à il y a quelques jours l’AFDC-A. Jeudi 11 juillet 2019 dans la journée, des informations de la bouillante twittosphère rd congolaise faisaient état du soutien de Moïse Katumbi, coordonnateur du présidium Lamuka, à Modeste Bahati. Tandis que l’opinion et certains casse-cous du CACH ne dissimulaient pas leur satisfaction à la perspective de l’affaiblissement de l’allié dominant FCC. Le rapport des forces au sein de la coalition et au parlement pourrait s’en trouver avantageusement modifié, espère-t-on ci et là. « 40 sièges de plus au CACH qui en compte déjà plus ou moins 53, cela peut donner des coudées franches au nouveau président de la République », avance une source à l’UNC, dont le président est, comme Modeste Bahati, originaire de la province du Sud Kivu.
CACH – AFDC-A ?
Cet épouvantail d’un probable affaiblissement du FCC n’est nullement démenti par le frondeur, Bahati donc, qui avoue à la presse qu’il ne dédaignerait pas une telle perspective politique. « De toute façon, de facto, en quittant le FCC on renforce UDPS et CACH, ce sont 44 députés. Si nous devions envisager une association, tout serait à revoir, y compris certains équilibres dans la composition du futur gouvernement. Nous n’en sommes pas encore-là. Nous avons repris notre liberté par rapport au FCC, nous nous sentons véritablement libérés et d’autres vont suivre … vous verrez », avoue Bahati à nos confrères de la très anti-kabiliste Libre Afrique. Mais ce n’est que de la poudre aux yeux, ici aussi.
Des observateurs estiment qu’en plus des ambitions au bureau du Sénat, la stratégie du patron de l’AFDC-A vise plutôt des postes ministériels importants, que le CACH pourrait mettre sur la table des négociations pour s’allier sa collaboration contre son redoutable partenaire dans la nouvelle majorité parlementaire. A l’examen, il apparaît toutefois que le départ de l’AFDC du FCC n’affaiblit pas la méga plateforme kabiliste au point de déséquilibrer fondamentalement le rapport des forces au parlement en RDC. Les partisans du président de la République honoraire Joseph Kabila y demeurent majoritaires, quoique fasse, et dise Bahati. En supposant que le leader de l’AFDC-A réussisse à emmener tout son monde avec lui, ce qui est loin d’être le cas, le FCC conserverait encore quasiment 289 sièges à l’Assemblée nationale.
Fronde contre fronde
A l’instar des partis et regroupements politiques qui ont claqué la porte de la famille politique kabiliste, la fronde de Bahati n’a pas été du goût de tout le monde dans sa plateforme. Des voix nombreuses et bruyantes se sont élevées parmi les élus AFDC-A pour contester la fronde et assurer leur loyauté à l’autorité morale du FCC (Kabila). Une fronde de facto au sein du regroupement politique que Bahati avait élargi de bric et de broc à de nouvelles sensibilités à la veille des scrutins de décembre dernier. Elle est d’autant plus sérieuse que la réunion des chefs de regroupements du FCC avait appelé à la désignation d’un nouvel interface de l’AFDC-A au sein de la méga plateforme. Ce qui semblait chose faite jeudi dans la journée.
Le PT Stève Mbikayi, un des frondeurs anti-Bahati, a annoncé aux médias la désignation de 5 personnalités pour représenter le nouveau leadership de la plateforme AFDC-A au sein du FCC. « Nous avons mis en place une coordination de 5 personnes avec une dame en tête et 5 coordinateurs ad- joints, dont moi-même, ainsi que le secrétaire général de l’AFDC-A, Monsieur Dianda », a-t-il déclaré sur les antennes de Top Congo FM.
Du reste, Mbikayi dénie à Modeste Bahati le droit de décider en lieu et place de ses collègues membres du regroupement politique. «L’honorable Bahati doit savoir que l’AFDC-A n’est pas l’AFDC, son parti. Il ne peut pas engager l’AFDC-A comme il engagerait l’AFDC. Il ne peut pas m’engager sans me consulter. Il fait partie de l’AFDC-A. Les décisions annoncées sans raisons objectives, sont nulles et de nul effet. L’AFDC-A a été créée au sein du FCC. Beaucoup de candidats avaient jeté leur dévolu sur l’AFDC-A tout simplement parce que c’est un regroupement du FCC», explique-t-il. Comme pour indiquer que tout le monde ne fait pas ses valises pour ce ’’voyage’’ qui ne rassure pas.
Il est donc quasiment certain que Modeste Bahati et son AFDC ne sortiront pas indemnes du bras de fer engagé contre le FCC de Kabila. Et aussi, qu’à terme, le poids politique ‘‘mathématique’’ qu’il marchande depuis des lustres pourrait ne plus être le même d’ici quelques jours. Une coalition CACH – AFDC-A relève donc du domaine de l’épouvantail.
J.N.