Enième report de l’élection des gouverneur et vice-gouverneur de la province du Sankuru. Il est intervenu le 10 juillet 2019 à la suite d’une nouvelle décision de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) (057/CENI/BUR/19). Et se justifie par « des problèmes d’ordre technico-logistiques et pour préserver la sécurité et la paix au niveau de la province du Sankuru», selon le texte signé par Corneille Nangaa, le patron de la centrale électorale rd congolaise. C’est le 4ème report de l’élection gouvernorale dans cette province enclavée qui compte 2.101.436 électeurs, pour 25 grands électeurs presque tous du Front Commun pour le Congo (FCC), sauf un seul, élu sur la liste de l’opposition Lamuka à Katako-Kombe.
Le Sankuru reste donc la seule province sans gouverneur et vice-gouverneur depuis 4 mois en raison d’un imbroglio judiciaire né de l’invalidation de la liste de l’indépendant Stéphane Mukumadi par la Cour d’appel du lieu pour cause de double nationalité. Mukumadi, résidant en France, détenait la nationalité de ce pays au moment où il postulait à la tête de l’exécutif provincial sankurois. L’arrêt de la Cour d’appel invalidant sa candidature en février dernier, a été par la suite annulé par le Conseil d’Etat le 27 mars. Il s’en est suivi une véritable saga judiciaire qui a vu la CENI s’opposer à l’arrêt du Conseil d’Etat au motif que selon la loi électorale, les contentieux en matière de listes «ne sont pas susceptibles d’appel». Même pas auprès du Conseil d’Etat.
Consulté par le président de la République sur la question, le bureau du Conseil supérieur de la magistrature (au sein duquel siège également le président du Conseil d’Etat) donnera raison à la CENI. Les arrêts du Conseil d’Etat étaient «inexistants parce qu’illégaux», avaient conclu les hauts magistrats réunis pour la circonstance, à l’exception de l’un d’entre eux, le professeur Vundwawe Te Pemako, président du Conseil d’Etat.
Enjeux politiques
Derrière les aspects juridiques du dossier de l’élection du gouverneur de province et de son adjoint dans la province du Sankuru se dissimulent maladroitement des enjeux politiques, ainsi qu’on peut sensément s’en douter. Dans cette province où 22 des 25 députés provinciaux et grands électeurs sont élus sur les listes du FCC de Joseph Kabila, « tout devait se passer sans anicroches », et le ticket FCC de Lambert Mende (CCU & Alliés) et Patrick Bekanga a Nsala (PPRD) passer « comme une lettre à la poste », selon l’expression populaire. Mais ça bloque. Parce que le candidat « indépendant » invalidé, Stéphane Mukumadi, n’aurait d’indépendant que l’étiquette parce que porté à bouts de bras par … des parlementaires FCC comme Léonard She Okitundu, Raymond Omba Pene Djunga et Jean-Charles Okoto. D’autres acteurs politiques de la région, farouchement opposés à l’ancien porte-voix de Joseph Kabila, comme Basile Olongo, ministre intérimaire de l’Intérieur et Sécurité, ou encore Mgr Nicolas Djomo, évêque du diocèse de Tshumbe se sont mêlés à la bataille pour une raison ou une autre, expliquent des sources qui se sont confiées au Maximum.
Le 14 avril dernier, alors que la CENI avait reprogrammé l’élection à Lusambo, une intervention du président de la République, motivée assurait-on par des impératifs sécuritaires, suspendait les opérations et renvoyait le scrutin à une date ultérieure.
Raisons sécuritaires, pas électorales
En fait de raisons sécuritaires, il s’agissait de craintes de soulèvement populaire si la candidature du challenger de Lambert Mende, « un illustre inconnu inéligible n’importe où dans le pays», selon des sources, n’était pas remise en selle. Dans les médias, Basile Olongo avançait cependant que « il y a un problème. Quand il y a menace sérieuse qui peut amener à la situation du Kamuina Nsapu, il faut agir à temps. Vous savez que lors du dépôt des candidatures, il y a eu déjà mort d’hommes». En fait de menace sérieuse, c’est plutôt l’inverse de la situation présentée par les coalisés contre Lambert Mende qu’il y a toujours lieu de craindre, fait-on observer aujourd’hui. « Aucun gouvernement ne peut diriger la province sans Lodja (le fief de Lambert Mende, ndlr) », explique un prêtre passionniste à la retraite. Et les statistiques de la CENI confirment cette configuration sécuritaire de la province d’origine de Patrice-Emery Lumumba. Sur 2.101.436 électeurs enrôlés dans la province, seulement 39.578 sont de Lusambo, le chef-lieu, contre 411.552 électeurs pour Lodja qui se place ainsi loin devant Katako-Kombe (220.535 électeurs), le deuxième territoire le plus peuplé de la province. L’argument sécuritaire et politique brandi était donc fallacieux et n’aura servi qu’à satisfaire les adversaires de Lambert Mende. «Ils sont jaloux du score fleuve de Mende aux dernières législatives où il a à lui tout seul raflé plus de 55.000 voix sur les plus de 69.000 de sa liste», déclare la responsable d’un établissement secondaire de Lodja.
Aux termes d’un communiqué, le 25 juin 2019, la CENI après une résistance de 3 mois se fondait sur les arrêts querellés du Conseil d’Etat (REA 002 du 27 mars) réhabilitant la liste de Joseph Mukumadi pour modifier la liste des candidats à l’élection gouvernorale sankuroise et programmer le scrutin au 10 juillet 2019.
L’ennemi, selon Raymond Omba
24 heures avant cette date « fatidique », le Sénateur FCC Raymond Omba Pene Djunga fêtait littéralement et anticipativement la victoire des coalisés anti-Mende dans les médias à Kinshasa et au Sankuru. « En notre qualité de doyen des élus du Sankuru et sage de la République, nous encourageons vivement les députés provinciaux à affronter en âme et conscience la finale de la compétition qu’ils ont gagnée depuis le début. Allez-y chers élus provinciaux, battez l’ennemi et ramenez nous la victoire. Tous les Sankurois du monde entier vous regardent comme les juifs qui attendaient la visitation divine et le rétablissement du mur de Jérusalem », se délectait l’irascible octogénaire. Dans une déclaration écrite à l’intention de ses frères du Sankuru publiée le même jour, cet ancien proche collaborateur du Maréchal Mobutu, pourtant connu pour s’être scandaleusement enrichi à la faveur de la zaïrianisation de triste mémoire sans se soucier du développement de sa province d’origine, enfonce le clou : « Vous avez remporté une bataille, celle de dire non au candidat unique. Nous vous félicitons sincèrement. Mais il convient de vous rappeler que la guerre est encore ouverte. Mercredi 10 juillet 2019, vous entrerez en Canaan ou jamais », assure-t-il à ces élus provinciaux pour les titiller contre Mende. Mal lui en a sans doute pris.
L’UE s’en mêle
Des nouvelles motivations, sécuritaires et logistiques, ont entrainé un nouveau report de la gouvernorale sankuroise. Et une nouvelle avalanche de réactions, dont celle, surprenante, de Guillaume Chartrain. L’homme est le chef de la délégation adjoint de l’UE en RD Congo, un diplomate étranger, donc. Il a vu Lambert Mende (ou Joseph Kabila ?) derrière le report décidé par la CENI, et s’en emporte avec véhémence : « Encore une fois, les élections au Sankuru sont annulées. Encore une fois, Lambert Mende fait obstacle à la tenue de l’élection et justifie les sanctions imposées à son égard par l’Union Européenne. Nous serons vigilants quant aux décisions prises à la suite de ce nouveau déni de démocratie locale », se plaint-il dans un tweet. Révélant ainsi à quel point « des déterminants totalement étrangers aux électeurs du Sankuru en particulier et de la RD Congo en général interfèrent dans une question électorale qui relève de la souveraineté d’un pays », selon les mots de ce professeur de droit international de l’UNIKIN. « Dans un pays comme le Rwanda voisin, ce diplomate aurait été expulsé après un tel posting», ajoute-t-il, dans un accès de colère.
Un candidat indépendant ‘‘importé’’ d’Europe, des diplomates qui font intrusion dans une élection provinciale … décidément, l’élection du gouverneur de province du Sankuru est à l’image des élections rd congolaises en général : menacées par de gros intérêts extérieurs et étrangers au souverain primaire.
J.N.