Entre les évêques de l’Eglise catholique, tout au moins ceux de la partie Ouest de la RDC, la lune de miel reste de façade. Les prélats campent sur leur position attentiste et espérantiste de l’avant et de l’après-présidentielle 2018 : le messie du changement attendu n’est pas Félix Tshisekedi, le président de la République élu depuis le 24 janvier 2019. Le nouveau chef de l’Etat apparaît aux yeux de ces hommes de Dieu-là comme un pis-aller avec lequel il convient de faire juste ce qu’il faut pour en tirer profit. En faveur du peuple, assure le tonitruant archevêque métropolitain de Kinshasa, Mgr Fridolin Ambongo, qui s’est de nouveau prononcé sur la question le 3 juillet 2019. Le successeur de Laurent Monsengwo (connu pour sa détestation particulière du défunt père de l’actuel chef de l’Etat, Etienne Tshisekedi, qu’il parvint à faire évincer de la primature au profit de son vieil ami Kengo wa Dondo sous le Maréchal Mobutu) a profité du micro de la Radio Vatican pour s’en prendre à Félix Tshisekedi. «Il n’a pas les coudées franches », décrète l’ancien archevêque de Mbandaka Bikoro, réduisant ainsi l’opposant radical élu en décembre dernier au rang de semi-président. « La stratégie de ce groupe d’évêques catholiques consiste à fragiliser le nouveau chef de l’Etat, à le discréditer constamment, pour l’obliger à solliciter leur soutien », explique au Maximum un analyste politique.
La riposte d’Ambongo
La dernière sortie médiatique de l’archevêque de Kinshasa intervient 72 heures après que le président de la République eut tordu le cou à l’argumentaire (fallacieux !) des évêques catholiques au sujet de la présidentielle de décembre dernier. Au cours d’une interview avec Christophe Boisbouvier (RFI) et Marc Perelman (France 24), le 30 juin dernier, Fatshi a mis les points sur les i au sujet des médisances des prélats catholiques : « La CENCO n’a jamais démontré ce qu’elle a avancé (…) Il y a eu prétendument 44.000 observateurs de la CENCO, ce qui n’est pas vrai, puisque la CENI n’en a accrédité que 17.000. Et le jour même du scrutin, il y en avait 5.000, un peu plus de 5.000, qui avaient été répertoriés sur l’ensemble du territoire. Donc cela veut dire que les chiffres que la CENCO donne, si elle les a réellement donnés, sont sujets à caution », a déclaré l’élu du 30 décembre dernier en réponse à une question sur la contestation de sa victoire électorale.
Cette révélation qui indique que les hommes de Dieu mentaient comme le commun des politiciens aura fait bondir l’archevêque de Kinshasa qui s’est lancé à nouveau sur les sentiers de la guerre contre le président de la République engagée sur tous les fronts en Occident dans les semaines qui ont suivi la proclamation des résultats de la présidentielle rd congolaise en janvier dernier, sans grand succès. Probablement parce qu’en RDC même, l’opinion des évêques catholiques est de moins en moins crédible. «L’ancien régime contrôle encore l’essentiel des leviers du pouvoir, en commençant par le Parlement, la CENI, la Cour constitutionnelle, la police, l’armée et les services secrets et nous nous demandons ce qui reste au nouveau président », a martelé Mgr Ambongo sur Radio Vatican. Des propos jugés populistes et excessifs à Kinshasa. «Comment peut-on accaparer des leviers du pouvoir en six mois et dans quel régime politique un président de la République doit détenir tous les leviers du pouvoir à lui tout seul ? », s’interroge un intellectuel catholique de la paroisse St Dominique à Kinshasa/ Limete, le fief de l’UDPS/T de Félix Tshisekedi. «Ce serait tout sauf de la démocratie où le pouvoir arrête le pouvoir comme on nous l’apprend en science politique », assène-t-il, manifestement dégoûté par tant de mauvaise foi.
Antéchrist démocraticide
L’entendement sur la démocratie? C’est, selon toute vraisemblance, ce qui oppose le président Tshisekedi aux prélats catholiques de l’Ouest. « L’Eglise catholique elle-même n’a jamais été démo- cratique. Ni le Saint-Père, ni les évêques ne sont élus de manière ‘‘démocratique’’. Et pourtant tous dirigent le peuple de Dieu selon des inspirations divines dont ils disent détenir exclusivement le secret», commente notre interlocuteur. « On ne peut pas attendre de Fatshi qu’il se comporte de la même manière sans l’entraîner dans les sentiers de l’autocratie que son père et lui-même ont combattue pendant de si longues années », estime-t-il.
C’est pourtant ce que lui demandent Fridolin Ambongo et ses affidés qui l’ont rencontré récemment à Kinshasa, pour lui transmettre leur dernière déclaration politique, qui dénonce ce qu’ils considèrent comme un ‘‘semi-changement’’ intervenu au sommet de l’Etat. «Nous avons demandé au chef de l’Etat de finaliser l’accord-cadre entre le Saint-Siège et la RDC, qui est sur son bureau. Il n’a qu’à signer, parce que le document a déjà franchi toutes les étapes », révèle Mgr Ambongo. Toutes les étapes ? Et le fameux «peuple d’abord», le leitmotiv de Tshisekedi père, que l’archevêque kinois n’arrête pas de ressasser à l’intention de Tshisekedi Fils ? Ce peuple qui est représenté par les 500 députés et les 108 sénateurs du parlement qui devraient préalablement se prononcer sur cet accord semble passer par pertes et profits par ces drôles d’hommes de Dieu pressés de voir ratifier ce texte.
Creuser les antagonismes
Mgr Ambongo le révèle encore : les évêques veulent aider le président de la République à combattre son prédécesseur, Joseph Kabila, et lui suggèrent de « … travailler avec ses collaborateurs d’hier de l’opposition, qui sont encore là ». « Je pense qu’il commettrait une grosse erreur s’il tourne le dos à ses amis d’hier. Ça le fragiliserait vis-à-vis de son allié au sein du pouvoir actuel, le FCC », psalmodie l’archevêque kinois à ce sujet. Une suggestion qui intervient en pleine polémique sur la dernière proposition de sortie de crise de Martin Fayulu relative à la création d’une instance de réformes institutionnelles dirigée par lui-même. L’enfant chéri des prélats de l’Ouest, qui le présentent comme le ‘‘vrai’’ président élu en décembre dernier selon ‘‘leurs’’ statistiques, s’est hardiment proposé de se faire seconder à la tête de cette ‘‘institution’’ par Adolphe Muzito et Freddy Matungulu, tous deux leaders politiques de Lamuka Ouest (Kwilu). « Ce sont les mêmes qui ont torpillé les chances de l’opposition radicale à la dernière présidentielle en poignardant dans le dos leur collègue Tshisekedi, plus populaire qu’eux trois réunis », tranche un cadre de la coalition montée de bric et de broc à Genève en novembre 2018, « pour faire la peau à Fatshi », selon lui. En fait, les évêques catholiques de l’Ouest veulent fragiliser le président de la République en lui proposant des schémas pernicieux qui ne profiteraient qu’à ses adversaires de l’opposition.
J.N.