Je t’avais appelé ce samedi fatidique du 27 avril aux aurores pour prendre de tes nouvelles. Sacré Albert ! Alors que je t’exprimais mon réconfort et t’assurais de la solidarité de nous tous, tes camarades de la CCU car, je venais d’apprendre qu’une crise d’hypotension t’avais terrassé la veille, tu m’as parlé sur un ton normal pour me rassurer, moi qui voulais te rassurer. Dans le style particulier qui était habituellement le nôtre : «Nyamasolo, merci de cet appel de si grand matin. On m’a dit que vous vouliez que je sois suivi dans une formation bien équipée. Pas de souci. Je suis à zéro mètres de la clinique Les Candeurs de Limete où l’on a un historique maîtrisé de tous mes ennuis de santé. Calmez-vous, je vous rappelle pour vous dire ce que les médecins vont recommander…».
Ce sont les derniers mots que j’ai entendus de toi, mon frère, mon camarade de tous les instants au cours de ces vingt-huit dernières années. Te voici maintenant immobilisé pour l’éternité dans un linceul. Et nous voici autour de ta mémoire réunis pour te rendre ce qu’on appelle les derniers hommages. Le destin est parfois bien cruel. À un homme dont le parcours rejoint l’Histoire de notre formation politique, la Convention des Congolais Unis, qui aujourd’hui appartient au Regroupement Alliance CCU et alliés, ce, depuis sa genèse en marge de la Conférence Nationale Souveraine du début des années ’90 jusqu’à ce jour.
Un parcours qui nous rappelle que l’Histoire est faite d’abord de cheminements individuels, de convictions pour lesquelles les hommes et les femmes se battent au prix de leur confort matériel ou moral et même de leur propre vie, le prix qu’accepta déjà de payer le Héros National Patrice-Emery Lumumba dont toi, Albert Diheka, et nous tous ici présents, avons choisi de perpétuer à jamais la mémoire.
Mesdames, Messieurs,
C’est une grande voix congolaise qui s’est éteinte ce 27 Avril, mais peu de gens en oublieront le timbre percutant qui portait aux quatre vents la vision émancipatrice et souverainiste qui est la fleur de sel de la CCU, qu’il a si longtemps servi. Albert a vécu très jeune les horreurs de la dictature de la deuxième République qui le relégua à Buta dans le Bas-Uélé à cause de son activisme jugé subversif à l’Université de Kisangani. Mais avec cette élégance des grands esprits, il faisait montre d’une émouvante pudeur chaque fois qu’il lui était donné d’en parler. Comme si il tenait à garder pour lui ce côté hideux de l’histoire de notre peuple faite de brimades, de privations et de tortures et de souffrances personnelles au lieu de vouloir en tirer partie sous forme de vaniteuse gloriole. Comme pour mieux en extraire la dimension historique, politique et philosophique. Il n’avait pas son pareil pour juxtaposer ces épreuves précoces qu’il a vécu aux côtés d’autres figures plus âgées que lui comme Paul Ekongo, Gaston Otete et d’autres, aux préceptes des enseignements de Patrice Lumumba, notre inspirateur, pour consolider la résilience des générations actuelles des Congolais, qui, trop accaparées par l’immédiateté des besoins de la survie quotidienne ont de plus en plus tendance à s’abîmer dans des attitudes des moutons de Panurge et à mettre le nationalisme au rayon des douces euphories plus ou moins ringardes.
Son parcours est pourtant la preuve que le militantisme n’est pas nécessairement synonyme de bruits, de fureur et de mise à sac car, bien qu’envoyé en relégation aux confins du Bas-Uélé, Diheka Losongo y a courageusement poursuivi sa formation universitaire, décrochant un diplôme de licence en anglais et linguistique africaine. Cette base intellectuelle fut aussi utile à lui-même qu’à notre cause commune car tout en participant à la construction de la CCU, il a été un des conseillers les plus brillants dans les cabinets ministériels que j’ai eu à constituer autour de moi au cours des 12 dernières années. Il vouait une admiration (adoration) particulière aux figures emblématiques de la lutte de la libération de notre peuple des tentacules de l’impérialisme comme Simon Kimbangu, Patrice Emery Lumumba, Mzee Laurent Désiré Kabila et Joseph Kabila. C’est ce qui nous rapprochait beaucoup l’un et l’autre. Il a toujours animé avec un dévouement et une disponibilité exemplaires les ateliers de mise à niveau et de formation idéologique de la CCU tant à Kinshasa que dans diverses provinces de notre pays où il se faisait fort de dénicher de jeunes talents dans l’esprit de Patrice Lumumba qui avait semé sur une terre fertile en demandant à ceux qui ont compris le sens de sa lutte d’entraîner les autres pour un Congo meilleur et libéré de ses démons.
A ce titre, c’est une véritable bibliothèque vivante qui est ainsi perdue à jamais pour nous. Albert Diheka était aussi fort attaché à la culture de son terroir et suivait avec une attention méticuleuse le développement de la situation politique et socio-économique de son Sankuru natal au sujet duquel il était devenu un lanceur d’alertes prolixe et intarissable sur les maux qui rongent non seulement la RDC, mais aussi le Sankuru, une province dont le développement est plombé depuis des décennies par des divisions mesquines et l’ego surdimensionné de certains membres de son élite.
A cet égard, Diheka ne craignait pas la contradiction et nageait dans le débat d’idées comme un poisson dans l’eau, ce qui lui a valu une réputation de redoutable polémiste, adulé par les uns et détesté par les autres et lui a permis de tisser de solides réseaux de fidélité autant que des boules de haine à couper au couteau. Mais il n’en avait cure car il ne considérait les réactions d’intolérance que suscitaient parfois ses idées bien arrêtées sur les voies et moyens de sortir le Sankuru du marasme dans lequel il se trouve plongé que comme un des avatars de la démocratie.
Il déclinait à haute et intelligible voix ses idées surtout depuis qu’il s’était doté d’une radio communautaire, Radio Enyamba a Wadi à Katako-Kombe, et avait conclu un partenariat avec la RTGA de notre ami Pius Mwabilu Mbayu à Kinshasa où il animait une émission hebdomadaire intitulée « Owoto ».
Mais au-delà des épisodes héroïques et de grande visibilité dont le landernau politique congolais est si friand, c’est l’œuvre dans sa globalité ainsi que l’esprit dont elle est marquée qu’il convient de mettre en exergue. Il aimait bien se parer de son manteau de Kum’Okonda, ce qui veut dire propriétaire des forêts et des lieux (détenteurs de la sagesse chez les Atetela). Un titre guère usurpé car, Diheka s’était bel et bien soumis à l’initiation ancestrale des Nkumi pour le porter. Et chez lui, à Watambolo Sud dans le groupement Pongo-Dima, on l’avait surnommé le bouclier protecteur de la forêt des Ahamba.
En nous souvenant du Camarade Albert Diheka, nous voulons saluer plus qu’un parcours élogieux et nous incliner respectueusement devant une conception du monde, une philosophie. Celui qui, depuis l’adolescence décida délibérément de se former dans les arcanes du Lumumbisme, cette grande école d’émancipation des opprimés d’Afrique en particulier et de l’hémisphère Sud de la planète en général était devenu lui-même porteur et passeur de sagesse ; bien que sa modestie légendaire le poussait à revendiquer la simple qualité d’encadreur des masses auxquelles il enseignait que la principale vertu d’une politique noble et efficiente était la loyauté de servir et ne servir qu’une cause et une seule cause sans chercher à la contrebalancer avec des intérêts matériels.
Nous, Convention des Congolais Unis, formation politique lumumbiste et tous nos alliés, nous portons le deuil du Camarade Albert parce qu’à l’instar des Nations, les partis et regroupements politiques ne portent que le deuil de leurs bienfaiteurs, comme le recommandait Mirabeau dans son éloge de Benjamin Franklin. En effet, Albert Diheka a mis son génie de communicateur et d’organisateur des actions de masse au service de la cause du mouvement lumumbiste progressiste, de notre parti la CCU et ses Alliés et du Front Commun pour le Congo.
Nous avons une pensée particulière pour tous ses proches, ses fils et sa fille, sa famille. Je leur dis que certes leur douleur est grande. Très grande. Mais qu’ils soient assurés de notre sympathie et de notre soutien car Albert ne cessera jamais de vivre en nous, tant son œuvre a été grandiose et bénéfique pour nous.
Cher Camarade Albert, Devant ton cercueil recouvert du drapeau de notre CCU, je ne trouve pour clore ce message posthume que ces quelques mots que tu aimais tant et que tu prononçais toujours autant avec conviction qu’avec émotion : Vive le Congo de Lumumba.
Au revoir Camarade, que la terre de nos ancêtres te soit douce et légère.
LMO
KINSHASA, LE 5 MAI 2019