Ebola, le virus de la redoutable fièvre hémorragique résiste dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, mais surtout dans la partie occidentale du Nord-Kivu, sur les terres Nande de Beni-Butembo-Lubero, où l’épidémie est apparue il y a 9 mois à Mangina. En RD Congo, le virus est pourtant suffisamment connu pour avoir déjà sévi 9 fois depuis sa découverte à Yambuku dans le territoire de Bumba (ex-pro- vince de l’Equateur).
La dernière vague épidémiologique du genre, déclarée à Bikoro (ex-Equateur) a été vaincue 7 jours avant la réapparition de la fièvre à Beni. Sur 54 cas avérés, 33 personnes avaient péri de cette fièvre hémorragique contre 21 survivants pour cette troisième épidémie du genre. Ce n’est pas le cas dans la région de Beni qui enregistre la deuxième épidémie d’Ebola la plus virulente de l’histoire (après celle de l’Afrique de l’Ouest où 11.000 morts furent enregistrés en 2014). Au 30 avril 2019, 970 décès (dont 904 confirmés et 66 probables) étaient enregistrés sur 1.480 cas signalés (dont 1.414 cas confirmés et 66 probables). 412 personnes étaient déclarées guéries de la maladie, alors que 279 cas suspects étaient sous investigation, 14 autres cas de maladie confirmés, principalement dans la région de Butembo.
Ebola, résistance particulière en pays Nande
Les raisons de la résistance particulière du virus de la fièvre hémorragique Ebola dans la région de Beni-Butembo-Lubero sont connues : des populations locales résistent à la riposte organisée par les autorités sanitaires pour des raisons économiques, politiques et même culturelles. A la différence de la région de Bikoro dans l’ex-Equateur où Ebola avait pu être vaincu en quelques mois grâce notamment à l’administration de vaccins, dans la région de Beni, non seulement des autochtones répugnent à se faire vacciner mais en plus, des milices locales s’attaquent au personnel médical chargé de la riposte et détruisent les installations de soins anti-Ebola.
Au déclenchement de l’épidémie début août, à seulement 4 mois des élections présidentielle, législatives nationales et provinciales du 30 décembre 2018, quelques acteurs politiques et leaders locaux ont rivalisé d’ardeur pour essaimer toutes sortes de convictions parmi les populations, insinuant notamment que le virus n’était qu’une sorte de maladie ‘‘politique’’ destinée à décimer le peuple Nande pour s’accaparer de ses terres ancestrales. Et le vaccin, un poison pour une sorte de génocide. La campagne d’intoxication politique ainsi mise en œuvre fut doublée d’une autre encore plus sournoise, dès qu’il est apparu que l’épidémie était bel et bien réelle et entraînait la mort à coup sûr : celle qui se nourrit encore aujourd’hui de la détestation du pouvoir en place à Kinshasa et du personnel médical envoyé par lui que l’opinion soupçonne de tirer des avantages plantureux des fonds mis à disposition pour enrayer l’épidémie.
Escalade d’agressions armées
Le 19 avril 2019 dernier, l’escalade d’agressions contre les centres de traitements et le personnel médical en charge de la riposte à Ebola a atteint son point culminant. Des hommes armés ont pris d’assaut la clinique de l’Université catholique du Graben à Butembo, parce qu’elle abritait un centre de triage des cas de maladie à virus Ebola parmi ses services. Au cours de l’assaut qui a duré une demi-heure selon les témoins, un médecin de nationalité camerounaise employé par Médecins Sans Frontières a été abattu d’une rafale tirée à bout portant alors qu’il présidait une réunion de service. Richard Mouzoko Kiboug, responsable de la coordination de la riposte dans l’aire de santé de Vutsundo était en conciliabule avec ses collaborateurs, dont deux autres médecins de nationalité rd congolaise, lorsque trois assaillants ont ouvert le feu sur le groupe. Avant d’incendier des véhicules et des installations du centre de triage à l’entrée de la clinique. Le même jour, cette fois-ci à Katwa dans la même région de Butembo, une attaque similaire avait été déjouée par l’armée qui a tué un milicien et capturé deux autres.
Situation épidémiologique alarmante
Dans ces conditions, cela va de soi, la situation épidémiologie à Butembo s’en ressent dramatiquement. Sur les 126 nouveaux de maladie à virus Ebola identifiés au cours de la semaine du 22 au 28 avril 2019, 64 cas, soit 50 % proviennent de la région de Butembo-Katwa. Sur les 83 nouveaux décès confirmés dans la même période, 53 ont été notifiés à Butembo et Katwa (63,9 %) qui demeurent ainsi le principal foyer épidémiologie dans la région. Et seulement 36 de ces décès ont eu lieu dans un Centre de Traitement d’Ebola (CTE), les 47 autres étant des décès communautaires c’est-à-dire, survenus en dehors d’un CTE, selon un rapport ministère de la Santé.
C’est dans ces conditions pour le moins désespérantes que le président de la République, Félix Tshisekedi, a décidé la mise sur pied d’un comité multisectoriel de riposte contre l’épidémie à virus Ebola au Nord-Kivu et en Ituri. Un décret du premier ministre Bruno Tshibala pris le 30 avril 2019 en précise l’organisation et le fonctionnement et indique que désormais le 1er ministre, le ministre de l’Intérieur et Sécurité, celui du Budget et leurs collègues de la Défense, des Finances, de la Communication et Médias, de l’Action Humanitaire et Solidarité Nationale, des Affaires Sociales et un représentant de la présidence de la République se joignent au ministre de la Santé Publique pour faire face aux multiples aspects de la maladie ‘‘socialisée’’ qui sévit principalement dans les régions Nande de l’Est de la RD Congo. Ici, Ebola semble, en effet, s’ancrer dans le tissu social autant qu’un autre fléau qui sévit dans la région : les groupes armés autochtones et rebelles qui tuent à l’arme à feu, égorgent les populations civiles et écument la même région depuis plusieurs années.
Ils ont assassiné un médecin
Le meurtre d’un médecin membre de l’équipe de la riposte contre Ebola à Butembo, vendredi 19 avril dernier, a révolté plusieurs consciences dans la région, mais pas toutes, loin s’en faut. Dans ces contrées marchandes où le sens des affaires et de l’intérêt commercial prime avant toute chose, les émotions ne constituent pas la denrée la plus répandue et, de toutes les façons, ici on n’en était pas au premier drame près.
Au terme d’une réunion extraordinaire, samedi 20 avril 2019, la coordination urbaine de la société civile de Butembo a tapé du poing sur la table en exigeant notamment au parlement de « surseoir la validation de mandat et de lever les immunités parlementaires des politiciens auteurs des intoxications contre les actions de la riposte » et en décrétant une journée ville-morte lundi 22 avril. L’appel n’a guère été suivi. Au marché central de Butembo, par exemple, les activités commerciales ont tourné comme à l’accoutumée. Seules les portes des banques, des écoles, des échoppes, des maisons de télécommunication sont restées fermées toute la journée, rapportent des médias locaux. Mai-mai : riposte contre la riposte
Le 29 avril 2019, des suspects parmi lesquels figurait une femme, épouse du ‘‘général’’ maï-maï autoproclamé Saperita, ont été interpellés par la justice militaire. Le chef du groupe et assassin présumé du médecin camerounais, un certain «Dan-Pablo» Muhindo Pilipili, connu pour être un frère du fameux Saperita, a également été mis aux arrêts. L’homme a été formellement reconnu par les rescapés de l’attaque de la clinique de l’Université du Graben, et les enquêtes entreprises jusque-là révèlent qu’il s’agit d’un prestataire de la sous-coordination de la riposte à Ebola de Butembo, selon la presse locale. Mais sur ce drame comme sur tout ce qui tourne autour du commerce et des marchands de la mort dans la région, l’information objective et vérifiable s’arrête là, ou presque. Le reste consistant en d’inextricables ramifications conflictuelles où intérêts politiques et financiers le disputent à la manipulation et à une rancœur tenace contre tout ‘‘étranger’’ (non-Nande).
Des sources indépendantes dénoncent ainsi, plus qu’elles ne renseignent, le fait que l’auteur du crime, Dan Muhindo Pilipili, serait également le chauffeur du patron local de l’Agence nationale des renseignements (ANR), un certain Jonas Kabuyaya, soupçonné d’intelligence avec ce qu’on appelle ici « l’ennemi du Munande ». C’est la version relayée et pour ainsi dire amplifiée par Beni-Luberonline, un site internet spécialisé sur la région, mais néanmoins extrémiste, selon les observateurs.
L’ennemi du Munande
Au milieu de complaintes et jérémiades faisant état de recrutements d’équipes chargées de la riposte à Ebola « dans les rues à Kinshasa » (sic !) et des salaires de misère prétendument alloués au personnel recruté dans la région, Beni-Luberonline accuse les autorités au pouvoir à Kinshasa d’être à la base des attaques orchestrées contre le personnel médical à Butembo-Lubero. «Des millions de dollars Américains, dont 80 millions furent assurés dès le départ du lancement de la campagne de lutte contre Ebola à Beni-Butembo, ont détourné le regard des autorités congolaises du véritable objectif, qui consiste à lutter contre une maladie «monstre et cruellement mortelle. Le ministère de la Santé amorça alors ses calculs pour tirer de cette «opportunité» le maximum de profit possible. La première stratégie consista à écarter le personnel local ou agents médicaux locaux du programme de risposte en cours. Des membres de familles et des néophytes furent recrutés dans le cercle des autorités du ministère de la santé, souvent à partir de Kinshasa, et envoyés au Grand-Nord-Kivu pour «bouffer» l’argent d’Ebola sans disposer d’aucune compétence pour lutter contre cette maladie et sauver ses victimes », écrit le média en ligne qui n’exprime en réalité que les ressentiments partagés dans la région, qui justifient largement les déboires enregistrés par la riposte à la 10ème fièvre hémorragique à virus Ebola en RD Congo.
Cela ne s’était jamais vu nulle part auparavant. Surtout pas à Bikoro où l’épidémie venait d’être déclarée vaincue et d’où, pour d’évidentes raisons d’efficacité, un certain nombre d’auxiliaires médicaux ont été transférés à Beni-Butembo. «Il y a une lutte acharnée menée officieusement par des autorités congolaises à travers le ministère de la Santé pour forcer les agents de l’OMS à quitter le terrain de la lutte contre Ebola à Butembo», conclut ce média extrémiste de BeniButembo-Lubero. Ci-git le principal ressort contre la riposte au virus Ebola au NordKivu : l’épidémie décime, mais des autochtones victimes aussi, tuent aussi bien les malades que le remède.
J.N.