Le président de la République Démocratique du Congo a regagné Kinshasa mercredi 27 mars 2019 au terme d’un séjour de 48 heures à Kigali au Rwanda où il est arrivé dimanche dans la soirée. Au pays de Paul Kagamé, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi a pris part à l’Africa CEO Forum 2019, une rencontre internationale qui a rassemblé quelque 1.500 participants (dont des délégués de 49 pays africains) pour discuter notamment de l’instauration d’une zone de libre-échange (ZLE) sur le continent. A cet événement organisé par Jeune Afrique Média Group et Rainbow Unlimited, une entreprise spécialisée dans l’organisation d’événements de promotion économique, le chef de l’Etat a expliqué son programme de relance économique ainsi que les opportunités d’investissement qu’il offre. Mais pas seulement. Félix Tshisekedi a profité de son séjour rwandais pour s’entretenir sur des questions sécuritaires avec son homologue Paul Kagamé dont le pays a été souvent directement impliqué dans les événements malheureux qui ont endeuillé son immense voisin au cours des 20 dernières années. Autant du reste que l’Ouganda, l’autre voisin de la RD Congo, dont le chef de l’Etat, Yoweri Kaguta Museveni s’était entretenu avec Fatshi le 23 mars courant.
Aussitôt accueilli à l’aéroport de Kigali par Richard Sezibera, le ministre rwandais des Affaires Etrangères, le chef de l’Etat rd congolais s’est rendu au village Urugwuire, le palais présidentiel du Rwanda, où il a eu un premier entretien en tête-à-tête avec son homologue Paul Kagamé. Un dîner restreint auquel son directeur de cabinet, Vital Kamerhe, ainsi que quelques collaborateurs du président rwandais ont pris part a ensuite été offert aux visiteurs de marque venus de la RD Congo le même soir. Avant les cérémonies protocolaires et les travaux du forum de Kigali où la RD Congo et son chef de l’Etat ont été à l’honneur.
Comme de coutume dans ce type de rencontre entre chefs d’Etat, « rien n’a filtré des entretiens entre les deux personnalités », comme on dit. L’attention des observateurs s’est dès lors reportée sur les activités du nouveau président rd congolais, un entretien avec la presse et la visite rituelle au mémorial du génocide rwandais de Kigali. Qui ont fait couler beaucoup d’encres et donné lieu à des commentaires en sens divers dans l’opinion.
Engagé contre l’insécurité
Mardi 26 mars 2019, Félix-Antoine Tshisekedi a réaffirmé son engagement à lutter contre l’insécurité qui sévit dans son pays au cours d’un entretien avec la presse, assurant qu’il allait y œuvrer « … à l’interne comme à l’international », notamment avec les chefs d’Etat de la région. « Je ne me lasserai jamais de lutter contre ce phénomène d’insécurité qui mine notre pays et qui fait énormément de tort à notre population », a-t-il soutenu en substance, révélant que des dispositions sont en cours pour éradiquer et écraser complètement les groupes armés. Tout en conviant les pays de la région à « se tenir la main pour lutter plus efficacement contre l’insécurité qui représente une menace pour chacun d’entre eux ». Notamment à travers l’instauration des conditions favorables à l’amélioration du climat des affaires, condition ‘sine qua non’ pour que les opérateurs économiques de la région travaillent en toute quiétude et que les populations profitent de la création d’emplois et de l’amélioration des conditions de vie.
S’agissant de la situation sécuritaire à l’Est du territoire national, à quelques encablures de Kigali où il séjournait, le nouveau chef de l’Etat rd congolais a réitéré ses promesses de campagne électorale, partiellement. « J’avais promis à nos compatriotes de l’Est que je vais leur donner la paix et je n’ai jamais abandonné cette promesse. J’ai fait cette promesse et je la tiendrai », a martelé Félix Tshisekedi. Expliquant qu’« il faut passer par des contacts avec les pays voisins, puisqu’on a dit que les ADF Nalu sont des Ougandais. Et il faut que les Ougandais nous aident à régler ce problème. Il faut également parler avec les milices car beaucoup se sont créées autour de ce groupe ».
Le Qg à Beni, c’est pour plus tard
Néanmoins, pas question pour l’instant de se rendre à Beni, dans le grand Nord, ni d’y installer son quartier général militaire comme promis en décembre dernier pendant la campagne électorale. Le haut-commandement de l’armée avec lequel le président se dit en contact permanent « … déconseille d’aller là-bas parce qu’il faut y arriver quand on est sûr d’avoir des résultats », a expliqué Félix Tshisekedi à ses interlocuteurs.
Un jour plutôt, aussitôt clôturé la cérémonie d’ouverture d’Africa CEO Forum le 25 mars 2019, le chef de l’Etat de la RD Congo s’est rendu au mémorial dédié aux victimes du génocide rwandais où il s’est incliné comme de coutume, pour saluer la mémoire de plus de 800 mille Tutsi et Hutu modérés massacrés par des hordes de criminels en avril 1994. Dans le livre d’or ouvert à cet effet, Félix Tshisekedi a soutenu que « ce génocide est un drame et une horreur inacceptables. Nous devons tous les condamner et prendre l’engagement de ne plus accepter cela, où que ça se passe dans le monde. Les effets collatéraux de ces horreurs n’ont pas épargné mon pays qui a aussi subi des millions de pertes en vies humaines », notamment.
Cette partie des prestations du président de la République fait l’objet de commentaires en sens divers d’où filtrent des reproches qui, pour la plupart, occultent la seconde partie des écrits présidentiels sur le livre d’or du mémorial du génocide rwandais. Car, si Félix Tshisekedi condamne et engage à ne plus accepter de génocide à travers le monde, il n’en rappelle pas moins que les horreurs rwandaises ont causé « des millions de pertes en vies humaines » dans son propre pays après les quelques 800.000 victimes du pays des Mille collines, donc.
Propos équilibrés à Kigali
A Kigali, le président de la République issu de l’opposition radicale en RD Congo aura donc plutôt brillé par des propos assez équilibrés, ainsi qu’on peut en juger sur ses déclarations au sujet du phénomène ADF qui, plus que les autres mouvements rebelles étrangers et locaux qui sévissent à l’Est du pays, préoccupe dans son pays. « Il faut en discuter et obtenir la collaboration des pays d’origine des rebelles, mais aussi en débattre avec les compatriotes puisque beaucoup d’autres mouvements se sont créés à partir de cette rébellion », a-t-il déclaré. Ce n’est peut-être pas très original, mais cela prouve que de ce phénomène qui perdure depuis des décennies, le nouveau numéro 1 congolais a quelque compréhension. Dont les observateurs se demandent si elle suffira pour mettre fin à une situation que d’aucuns estiment par ailleurs aussi dangereuse que complexe.
Car, à Kigali et à Kampala quelques 48 heures auparavant, c’est face à la fourmilière d’agressions avérées contre la RD Congo et de l’instabilisation permanente de son pays que Félix Tshisekedi s’est trouvé confronté. Des agressions et de l’instabilisation qui remontent à la fin des années ’90, lorsque les deux Etats avançaient des raisons sécuritaires pour justifier l’invasion du territoire de leur immense voisin. Et qui se sont poursuivis jusqu’à ce jour pour engraisser des tireurs de ficelles juchés à la tête de groupes d’intérêts économiques et financiers.
Le pillage et l’exploitation des richesses de la RD Congo par des puissances étrangères ne datent pas d’hier. Auteur de « la guerre d’agression en République Démocratique du Congo. Trois ans de massacres et de génocide à ‘huis clos’ » » paru en 2001, Alphonse Ntumba Luaba Lumu, un professeur de droit passé des allées du pouvoir à l’opposition depuis quelques années résumait parfaitement la situation : « La prévention d’un hypothétique génocide sert de prétexte pour en commettre une véritable … », écrivait-il.
Guerres par procuration
En poursuivant la guerre en RD Congo ou en l’entretenant par rébellions factices interposées, le Rwanda et l’Ouganda en ont longtemps profité pour tirer profit d’immenses richesses naturelles de leur voisin, avec le soutien avéré des puissances occidentales et des Nations-Unies qui, du reste, œuvraient à une partition du pays de Lumumba impliquant la création d’un nouvel Etat à l’Est du territoire, à rattacher à ses voisins lilliputiens (l’expression est de l’universitaire Georges Nzongola Ntalaja). Ce n’est pas que de la rhétorique gouvernementale ou kabiliste.
Il est avéré depuis 2001 que c’est l’accès aux ressources naturelles de la RD Congo qui explique la résurgence des conflits dans ce pays où « les pillages vont du démantèlement pur et simple de certaines infrastructures acheminées par la suite hors frontières, à l’extraction des métaux précieux rares. Ainsi, l’Ouganda et le Rwanda sont devenus exportateurs d’or, de diamants ou encore de colombo-tantalite ou de niobium qu’on retrouve essentiellement au Kivu et en Province Orientale », lit-on dans les colonnes d’un grand média occidental sous la plume d’un chroniqueur s’estimant « incapable de continuer à fermer les yeux sur les horreurs rd congolaises ».
Au cours d’une réunion du conseil de sécurité, le 14 décembre 2001, l’ambassadeur français aux Nations-Unies déclarait à cet effet qu’ « il est manifeste que le pillage de la République Démocratique du Congo (RDC) est devenu l’élément moteur du conflit ». Quelques mois plus tôt, en mai de la même année, un groupe d’experts onusiens conduits par Mahmoud Kassem avait, en effet, révélé le pot aux roses enfoui derrière les déflagrations d’armes à feu sur le territoire de la RD Congo. «L’exploitation des ressources naturelles de la RDC s’est poursuivie sans relâche, procurant des gains substantiels à des réseaux d’intérêts qui ont fait que la guerre d’autofinance et se poursuive », expliquait l’expert au conseil de sécurité. « Les réseaux mis en place par les commandants des Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) leur ont permis de poursuivre leurs activités d’exploitation en dépit du retrait d’un nombre important de soldats. Pour sa part, l’Armée patriotique rwandaise continue de tirer de l’argent du commerce des richesses naturelles et à le faire circuler à un mécanisme interne très élaboré », lit-on dans ce rapport, qui livre des détails sans doute encore valables ce jour : « … concernant le coltan (colombotantalite), (…) les réseaux de transport ont été restructurés depuis la publication du rapport et que la Sabena a cessé de transporter du coltan à partir de Kigali (…) Le transporteur néerlandais Martinair a pris la place et achemine actuellement le minerai depuis Kigali, deux fois par semaine, jusqu’à Amsterdam. Une compagnie de fret ougandaises, la DAS Air, transporterait également du coltan entre Bukavu ou Goma et l’Europe, via Kigali, (…) tandis que des compagnies aériennes relevant d’intérêts sud-africains transporteraient également du coltan directement depuis la région du Kivu, ou par Kigali, vers l’Afrique du Sud. Le Groupe d’expert a également appris qu’une grande quantité de coltan est transportée d’Ostende ou Anvers jusqu’à Hambourg et que ce minerai est ensuite transporté jusqu’à l’usine de traitement du tantale située à Ulba, au Kasakhstan. Selon les termes de l’accord conclu en 1997 entre la société suisse Fincocord et l’établissement d’Ulba, Fincocord vend l’alliage à ses clients en Europe, aux Etats-Unis et au Japon ».
Pillage des ressources naturelles
Le pillage et l’exploitation sans fards des ressources naturelles de la RD Congo par le Rwanda et l’Ouganda se sont poursuivis jusqu’à nos jour, par rébellions et groupes armés interposés, estiment les observateurs. C’est le cas de la tristement célèbre rébellion armée du Général Laurent Nkundabatware en 2008, ou encore celle du M23 plus près de nous, en 2013. Ce n’est pas un fait du hasard si les troupes du général renégat « sont déployées dans les zones où sont concentrées les mines de coltan » estimaient des analystes à l’époque des faits. Qui étaient déjà d’avis qu’il existait « … un lien entre la reprise des combats par le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda et la récente signature d’un contrat minier entre la Chine et la RDC, autorisant les entreprises chinoises à exploiter des mines de cuivre, de cobalt, d’or et de coltan ». C’est tout dire des contours et des ramifications extrêmement complexes de la situation sécuritaire à l’Est du territoire de la RD Congo, où nul n’a véritablement et définitivement gagné la guerre. Ni la RD Congo, ni ses agresseurs-pilleurs. De nouvelles conflagrations armées y sévissent ou continuent de guetter la région, selon le chercheur Américain Andrew Korybko, actuellement commentateur de politique américaine à l’agence Sputnik. En raison de la présence de dizaines de milices rwandaises et ougandaises, à la fois pro-gouvernementales et rebelles, y compris les « forces alliées démocratiques » islamistes dites ADF.
L’enjeu de l’insécurité à l’Est du Congo-Kinshasa, ce sont aussi et surtout les réserves de minerais inexploités estimés à 24.000 milliards USD dans la région, qui sont pris en otage par ce fourmillement de groupes armés et par des éléments corrompus de différents gouvernements de pays de la région des Grands Lacs, selon le chercheur. C’est pour cette raison qu’ils font de cette partie du continent l’une des régions les plus géostratégiques du monde, dont la stabilité a un impact direct sur les marchés mondiaux des minerais et des technologies associées. Actuellement y est établie une situation de ni guerre, ni paix qui laisse des protagonistes étrangers se procurer les ressources dont ils ont besoin directement auprès de quelques parrains étatiques des groupes rebelles ougandais et rwandais … ou dignitaires locaux rd congolais. Tous travaillent de manière informelle auprès d’intermédiaires rebelles et de fonctionnaires corrompus, facilitant ainsi l’accès aux ressources à des agents illégitimes et permettant leur vente sur le marché mondial. La division ‘de facto’ de la région entre les acteurs non gouvernementaux affiliés aux gouvernements ougandais, rwandais et rd congolais a fini par créer un certain équilibre entre les forces économiques et militaires et contribue paradoxalement à empêcher l’éclatement d’une guerre classique, jusque-là.
24.000 milliards USD en ressources naturelles
Il suffit que Kinshasa regagne la pleine souveraineté sur ses territoires orientaux pour que la RD Congo devienne rapidement une puissance continentale – et mondiale – en exploitant à bon escient sa position de fournisseur de minerais et en gérant tous les avantages qui en résulteraient. Mais cela, peu d’acteurs étatiques sur le continent et à travers le monde sont disposés à le permettre car l’émergence d’une telle puissance économique au centre du continent noir leur enlèverait littéralement le pain de la bouche.
Aussi, la crainte est-elle considérable chez nombre d’observateurs sur le continent, qui craignent que le nouveau chef de l’Etat rd congolais ne soit poussé, contre les intérêts nationaux de la RDC et de son peuple, à minimiser les enjeux réels de l’insécurité à l’Est de son pays. Kigali et Kampala ne représentant que la face d’un immense iceberg qui s’étend de l’Afrique centrale aux Etats-Unis et en Chine en passant par l’Europe.
J.N.