Autour du fléau de la corruption et de la convocation en urgence par le Chef de l’Etat d’une réunion interinstitutionnelle pour faire droit au mécontentement de manifestants et de casseurs, un chroniqueur pose des questions pertinentes sur l’Etat de droit en République Démocratique du Congo.
A Kinshasa, l’état de grâce dont bénéficie chaque nouvel élu à son accession à la magistrature suprême risque de tourner au cauchemar si on n’y prend garde. Ils étaient pourtant nombreux à être fort agréablement surpris par la rapidité avec laquelle Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo s’était adapté à son nouveau manteau d’homme d’Etat après son élection la tête de ce pays de pas moins de 80 millions d’âmes – avec autant d’exigences particulières – le 30 décembre dernier. Flanqué d’un directeur de cabinet expérimenté, le cinquième chef d’Etat congolais a vite donné l’impression d’avoir été mieux préparé qu’on ne le pensait à une haute fonction qui nécessite des nerfs d’acier et un self-control à toute épreuve. Les événements qui ont précédé et suivi les élections sénatoriales de vendredi 15 mars 2019 soulèvent des appréhensions et quelques mauvaises augures chez nombre d’observateurs.
Inquiétantes entorses à l’étiquette protocolaire
C’est lors de la présentation de son programme des 100 jours à l’échangeur de Limete, à quelques encablures du monument de Patrice Lumumba, le père de l’indépendance congolaise que les premiers couacs avaient été constatés. Dans cette partie de la ville qui abrite le siège national du parti présidentiel, l’UDPS, on a plus assisté à un meeting politique qu’à une communication présidentielle au sens traditionnel du terme. Des milliers de « combattants » inconditionnels membres de cette formation politique y ont donné de la voix, couvrant même celle du numéro 1 congolais qu’aucun des invités présents n’a pu entendre. Un indescriptible charivari, selon un observateur qui rappelle que les prestations présidentielles obéissent généralement à une liturgie protocolaire réglée comme sur du papier-musique, respect pour la plus haute charge de l’Etat oblige…
Pour mieux comprendre cette agitation pour le moins inhabituelle en cette circonstance il faut replonger dans le contexte de l’exode rural qui a vu plusieurs jeunes désœuvrés en provenance de certaines provinces du centre du pays débouler sur la capitale au cours de ces 7 dernières années au point de faire qu’un artiste kinois, troubadour à ses heures perdues s’écriera : « Kinshasa ekomi mulunge ». Fuyant pour la plupart le chômage de masses causé par la faillite des activités minières au Kasaï, nombre de ces jeunes venaient en fait tenter leurs chances dans l’eldorado kinois, principalement dans le transport urbain où on les trouve majoritaires parmi les taxi-motos qui desservent les coins et recoins de la capitale. Du pain béni pour les recruteurs de l’UDPS qui, de bonne guerre, eurent beau jeu de faire adhérer beaucoup d’entre eux dans les rangs de l’alors fille aînée de l’opposition qui, à l’instar de tous les partis politiques rd congolais, préparait fiévreusement les échéances électorales de fin 2016. « Certains parmi ces jeunes venaient tout droit des milices Kamwina Nsapu dont ils tenteront de créer une antenne à Kinshasa », croit savoir un enquêteur de l’auditorat de la garnison FARDC de la capitale qui s’appuie sur les révélations recueillis dans le cadre du procès public des terroristes auteurs présumés de l’attaque du marché central de Kinshasa, de l’invasion de la prison de Makala et des maisons communales de Kalamu, de Matete et de Masina en 2017 qui passait en boucle à la télévision nationale avec un bilan macabre très lourd. Accusée notamment par le vice-ministre de l’Intérieur Basile Olongo d’avoir coalisé avec les terroristes Kamwina Nsapu, la hiérarchie de l’UDPS s’était fendue d’un démenti formel…
Politisation d’une prestation étatique
C’est donc devant une foule dominée par des « combattants » hurlant à plein-poumon leurs états d’âme que le nouveau chef de l’État avait effectué sa sortie de l’échangeur de Limete. À peine descendu de voiture le président a été accueilli par les vivats de sa base. La suite sera simplement inédite : pas d’hymne national, pas de passage des troupes en revue alors que le commandement militaire était impeccablement aligné à cette fin. Peu après le début de la cérémonie, Augustin Kabuya, le secrétaire général adjoint de l’UDPS, était invité par Mme Lydie Omanga, la directrice de la communication de la présidence à prendre la parole avant le chef de l’État pendant que tous les officiels présents qui ne font pas partie de ce parti étaient copieusement conspués, à l’exception de Vital Kamerhe, le directeur du cabinet présidentiel ovationné aux cris de « Kamerhe coachez ! ». Une invitation à l’« expérimenté » leader de l’UNC à coacher le présumé inexpérimenté président. Les téléspectateurs ahuris verront VK assumer pleinement ce rôle de coach de son Boss en contrôlant, syllabe après syllabe le discours de ce dernier ! Quant au contenu de l’important discours officiel du président, le premier depuis son investiture, l’assistance n’aura pas grand chose dans la mesure où il a été délivré déroulé dans la bronca des combattants de plus en plus indomptables, y compris par l’honorable Jean-Marc Kabund, le nouveau patron du parti à qui les chahuteurs ont répondu : « Toboyi ba conseillers ! ».
Peut-on encore condamner Martin Fayulu ?
Ceux qui avaient taxé Martin Fayulu d’extrémiste pour avoir initié des manifestations publiques dans le but de revendiquer « sa » vérité des urnes devraient revoir leur copie. Car depuis que le candidat malheureux à la présidentielle du 30 décembre 2018 a commencé à drainer des foules de Kinshasa à Moanda en passant par Beni, Butembo, Goma et Kikwit, jamais il n’a été déploré des troubles graves ou des déprédations. Le civisme des partisans de Fayulu est sans commune mesure avec l’attitude brutale constatée dans le chef des « combattants UDPS » ou présumés tels samedi 16 mars dernier pour revendiquer « leur » vérité des urnes sénatoriales qui ne sont que la conséquence logique de l’élection des députés provinciaux du 30 décembre 2018 et de l’inconséquence politique de leurs propres élus. À Mbujimayi comme à Kinshasa, les manifestants du parti présidentiel ont étonné par leur volonté délibérée de donner une impression d’apocalypse digne des films d’horreur. Pillages, assassinat, mise à sac, perturbation de la circulation, routes barricadées, pneus brûlés sur l’asphalte, tel a été le lot des usagers de la chaussée publique dans la capitale et au chef-lieu du Kasaï oriental sans qu’aucune responsabilité ne soit établie et qu’aucun coupable n’ait été interpellé. « Si c’est ainsi que l’on conçoit désormais l’Etat de droit, Il est fort à parier que les partisans de Fayulu qui n’a pas dit son dernier mot se mettent bientôt à regretter de ne s’être pas adonnés aux mêmes scènes de violence à l’instar des combattants UDPS », s’insurge un spécialiste des questions sécuritaires de l’Université protestante du Congo parlant sous le sceau de l’anonymat.
Une prime à la violence ?
Alors que l’on attendait dans les livraisons des journaux radiotélévisés de samedi soir une réaction ferme des nouvelles autorités par rapport aux scènes de violence des manifestants qui ont choqué l’opinion nationale comme la mise à sac du siège de l’interfédérale du PPRD, avenue Sendwe au cœur de Kinshasa, c’est à un communiqué laconique de la présidence caressant les casseurs dans le sens du poil qu’on aura droit. Le Dircab Vital Kamerhe y informait une opinion publique médusée de la tenue imminente d’une réunion interministérielle destinée à donner une suite favorable à leurs revendications violence. « on peut s’étonner que pareille mansuétude n’ait pas été observée à l’égard des partisans de M. Martin Fayulu qui avaient plusieurs semaines auparavant battu pacifiquement le pavé même si leurs revendications paraissent plus ou moins tirées par les cheveux », estime notre interlocuteur. On a appris par le communiqué de la présidence qu’au contraire, ce sont le procureur près la Cour de cassation ainsi que les président et vice-président de la CENI qui ont été convoqués d’urgence à la présidence pour « s’expliquer » sur des présomptions de corruption qui ont provoqué la non élection des candidats sénateurs de la coalition présidentielle CACH. La question qu’on est en droit de se poser est celle posée par un porte-parole de Lamuka sur une radio locale : « pourquoi, diable, avoir accusé Fayulu d’être un mauvais perdant si l’on arrive pas soi-même à gérer avec sang-froid et sans sacrifier les fondamentaux de l’Etat de droit une défaite prévisible à l’élection sénatoriale ? ».
Le cabinet du président aurait voulu primer la violence politique qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Mobiliser toutes les institutions que compte la République pour donner suite à des manifestants auteurs de casses et même d’assassinats d’un ou deux agents de l’ordre à Mbujimayi, voilà qui fait réfléchir et jaser même ceux qui soutiennent le nouveau pouvoir. En remportant « sur le fil » le scrutin présidentiel à un seul tour, les leaders de CACH doivent se rendre à l’évidence de l’impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés de remporter en même temps les élections législatives, provinciales et sénatoriales. Sauf à prouver le contraire. L’esbroufe maladroite qui s’observe par des accointances incestueuses avec des casseurs aux mains tâchées de sang risque à terme de mettre en péril l’équilibre institutionnel au cours des cinq prochaines années.
Correspondance particulière
(Tiré de Forum des AS du lundi 18 mars 2019)