Comme promis par le communiqué de la présidence de la République du dimanche 17 mars 2019, le chef de l’Etat a présidé une réunion interinstitutionnelle qui a planché, lundi 18 mars 2019 à Kinshasa, sur les élections sénatoriales du 15 mars. Trois décisions politiques ont été annoncées au terme de cette séance qui a réuni autour de Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi, le 1er ministre, le président du bureau provisoire de l’Assemblée nationale, le président de la cour constitutionnelle, le président du conseil d’Etat, le procureur général près le conseil d’Etat, le président de la cour de cassation, le président de la Haute Cour Militaire et l’Auditeur général des Fardc, le président et le vice-président de la CENI, le président du conseil économique, le président du Comité de Suivi de l’Accord politique du 31 décembre 2016, : la suspension de l’installation des sénateurs élus lors des élections du 15 mars 2019 ; le report sine die des élections des gouverneurs des provinces ; l’ouverture d’enquêtes judiciaires sur la corruption par le procureur général près la cour de cassation.
Si « ces décisions vont dans le sens de sauvegarder la sérénité démocratique au pays, de permettre à la justice d’identifier et de poursuivre les coupables afin que nous puissions repartir du bon pied », selon les termes de l’Ambassadeur Alain Atundu Liongo chez nos confrères d’Actualités.cd., on peut considérer que l’objectif visé est en passe d’être atteint. A Kananga dans la province du Kasai Central où des manifestations publiques étaient signalées lundi 18 mars 2019 dans la matinée, les combattants de l’UDPS ont chaleureusement accueilli les mesures annoncées. Tandis qu’à Mbujimayi, un autre foyer des tensions nées de la publication des résultats des sénatoriales, la vie avait repris son cours normal, selon des médias kinois.
Reste que dans le fond le problème demeure, selon les observateurs. Et surtout, que les mesures annoncées flirtent dangereusement avec l’illégalité et l’inconstitutionnalité.
Parce qu’il est plus facile de dénoncer un fait de corruption que de le prouver … sans s’impliquer soi-même et subir la rigueur de la loi. Le vote, parlementaire ou autre, est secret conformément à la loi. Nul n’est donc obligé de révéler ses choix. Et selon certains juristes interrogés par Le Maximum, la constitution rd congolaise protège particulièrement les élus, qui ne peuvent en aucun cas être poursuivis pour les actes posés dans le cadre de leurs mandats électifs. « On se demande donc par quelle brèche s’introduira le procureur général près la cour de cassation pour éventrer les secrets des urnes », commentait un avocat au barreau de Kinshasa Gombe.
Et même dans le cas exceptionnel où les services du procureur général parvenaient à dénicher le bout par lequel lancer les poursuites, celles-ci, comme toutes les affaires judiciaires, pourraient prendre un temps relativement long. Le fameux temps de la justice, réputé à la fois lent et différent du temps ordinaire. Conscient de ce danger, le Front Commun pour le Congo (FCC), la plateforme politique de la majorité parlementaire, tirait l’alarme dès dimanche soir contre « une mise en péril du cycle électoral pourtant âprement négocié et déjà parfaitement entamé ». C’est sous la hantise de ce qu’on avait qualifié de tentative de glissement du pouvoir en place qu’un chronogramme électoral étriqué fut adopté les concertateurs du Centre interdiocésain de Kinshasa fin décembre 2016. L’étirer en longueur peut s’avérer tout aussi préjudiciable à la paix tant recherchée.
Encore que les mesures annoncées énervent quelque peu l’indépendance de la CENI, seule habilitée à modifier le calendrier électoral, selon certains juristes. D’autres avançant qu’une réunion interinstitutionnelle reste une rencontre informelle dont les décisions ne peuvent l’incidence que certains en attendent : «Politiquement, c’est une décision forte, mais une réunion interinstitutionnelle est informelle et n’a pas le pouvoir de prendre des décisions», a expliqué Aubin Minaku, le président sortant de l’Assemblée nationale, à nos confrères de Jeune Afrique.
Tard dans l’après-midi, lundi 18 mars 2019, le FCC et le PPRD ont réagi aux décisions issues de la réunion institutionnelle par le rejet pur et simple. En plus des motifs évoqués ci-haut, qui ont été repris dans les communiqués des deux regroupements politiques kabilistes, une source au sein de l’ancienne majorité présidentielle explique au Maximum que les mesures de la réunion interinstitutionnelle consacrent un glissement anticonstitutionnel du semi-présidentialisme au présidentialisme. Inacceptable, selon notre interlocuteur. Déjà le bras de fer ?
J.N.