Ça ne baigne pas dans la clarté absolue entre les évêques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), les fidèles catholiques et une partie importante de l’opinion publique congolaise. Depuis plusieurs mois, et particulièrement depuis la proclamation par la commission électorale suivie de la confirmation par la Cour constitutionnelle des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, les calottes sacrées catholiques brillent par une contradiction manifeste dans leurs nombreuses prestations médiatiques consacrées à la politique nationale. Des prestations que, du reste, personne n’a sollicité. Même pas les fidèles catholiques qui, en glissant leurs bulletins dans l’urne fin décembre dernier n’ont chargé aucun évêque d’une de quelconque mission « prophétique » ou de la défense de leurs intérêts temporels. Les fidèles catholiques ne sont pas des mineurs.
Interventionnisme intempestif
En République Démocratique du Congo, on s’habitue et on ne se plaint même plus de l’interventionnisme débridé d’un clergé anormalement versé dans l’usurpation de qualité et qui s’arroge depuis l’époque coloniale, le droit d’interférer dans les affaires publiques, violant allègrement le caractère laïc rappelé du reste avec force par la constitution du pays.
Dans leur prétention à « accompagner » le processus électoral, les prélats catholiques congolais arrosent les adversaires des affidés de leurs mentors occidentaux d’invectives les plus virulentes. Ils s’offrent de rapporter, on ne sait trop à la requête de qui, le déroulement dudit processus, allant jusqu’à s’autoriser de proclamer, parallèlement à la très officielle Commission électorale nationale indépendante, des résultats produits par leurs propres compilations couplée à la contestation des résultats rendus publics par cette dernière institution. Dans un pays normal, pareille attitude aurait suscité un énorme clash. Pas en RD Congo où cette intrusion illégale et illégitime de la religion dans les affaires publiques introduite au pays dans les valises de l’esclavage et de la colonisation de triste mémoire jouit encore et toujours d’un statut peu, ou pas, questionné. Y compris par les princes de l’église eux-mêmes.
Sur la dernière élection présidentielle dont chacun sait que la plupart des évêques catholiques avaient dès le début choisi leur camp en s’alignant derrière le candidat préféré des puissances occidentales, le comité permanent de la CENCO donne pourtant ces derniers jours l’impression de se contredire. Tantôt en reconnaissant le président de la République élu, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi, certes du bout des lèvres ; tantôt en fustigeant sa victoire proclamée par la CENI et confirmée par la plus haute instance judiciaire du pays, la Cour constitutionnelle, quelques semaines plus tard. Et surtout, en répercutant aux quatre vents cette posture d’apparente contradiction, ainsi que l’ont fait le cardinal Laurent Monsengwo et Mgr Marcel Uthembi la dernière semaine du mois de février 2019 à Bruxelles et à Rome.
Enième réunion politique catholique
Réunis, pour la énième fois autour de la question électorale, du 27 février au 2 mars 2019 à Kinshasa, les calottes sacrées catholiques membres du comité permanent de la CENCO ont certes accouché d’une déclaration inspirée du livre biblique de Jean ; 8, 32, et rendu public le 4 mars. Dans laquelle ils se disent « … mus par la sollicitude pastorale à l’égard du Peuple Congolais ». Mais beaucoup dans le pays se rendent de plus en plus compte que cette sollicitude que nul au pays n’a jamais sollicitée est traversée de part en part de curieuses dissonances. En cela, elle ramène à la surface cette autre « sollicitude », celle des esclavagistes et des colons occidentaux qui naguère, avait rationnalisé sans scrupules les « civilisateurs » qui venaient de l’hémisphère Nord pour entreprendre la pire exploitation des terres tropicales africaines afin de s’en accaparer les ressources économiques en couvrant ces crimes du manteau vertueux d’un christianisme tout aussi pastoral que la « mission prophétique » brandie par la CENCO pour délaïciser l’Etat congolais aujourd’hui.
Vérités cléricales plurielles et partielles
« La vérité vous rendra libres », lit-on dans la dernière déclaration des évêques membres du comité permanent de la CENCO qui prétend dénoncer ce qu’il présente comme un « déni de vérité » : la proclamation de résultats qui auraient dû correspondre à la compilation de la (sainte ?) commission mise sur pied par l’épiscopat.
Ces évêques catholiques vantent le professionnalisme et l’indépendance du travail effectué par leur mission d’observation électorale qui aurait collecté des données à partir des bureaux de vote et de dépouillement. Mais ils taisent curieusement l’usurpation de compétences qui transparaît ainsi au grand jour : les missions d’observations électorales n’ont jamais eu droit ni accès aux résultats électoraux, conformément à la loi électorale en vigueur en RD Congo. Les évêques catholiques se seront donc rendus coupables à la fois de mensonge (ils n’ont jamais reçu les résultats de la CENI) et d’atteinte à la loi électorale.
Mais en RD Congo, cela ne suffit pas pour dissuader, surtout dans le domaine de la politique politicienne où les catholiques semblent décidés à confisquer le haut du pavé. « Une grande partie du peuple a ressenti une profonde frustration manifestée ci et là par des tensions », glissent encore les évêques dans un style de pharisiens. Parce qu’en réalité, il y eut autant sinon plus de manifestations de soulagement et de joies à la proclamation des résultats électoraux en janvier dernier, que de déceptions effectivement, notamment dans le camp des perdants. Parce qu’à la fin d’un processus électoral, il y a inévitablement un camp gagnant et un camp perdant. Vouloir faire croire que tous les Congolais peuvent avoir la même réaction face à des résultats d’une élection est tout simplement aberrant car tous ne peuvent avoir gagné, ou perdu, en même temps.
Aussi vicieux que les pires acrobates politiques
Il y a donc pire dans l’attitude affichée par ces princes dont l’église catholique locale a hérité de la colonisation, qui se révèlent aussi vicieux que les pires « acrobates » que l’ont rencontre dans l’arène politique congolaise : plutôt que d’encourager la seule attitude vertueuse admise en cas de défaite électorale en démocratie, qui consiste à se soumettre au verdict des urnes même si l’écart entre le gagnant et le perdant s’avère des plus réduits, ils s’évertuent à mettre en exergue les frustrations humainement compréhensibles qui s’observent dans le camp des perdants, qu’ils tentent d’opposer à leurs compatriotes en les incitant à l’insurrection populaire sous le prétexte fallacieux de ce qu’ils appellent « la vérité des urnes ». Alors qu’il ne s’agit en fait que d’une partie de la vérité de ces urnes, et non pas de la totalité de la vérité issue de toutes les urnes. « Si on peut avancer que dans les régions bandundoises, et équatoriennes, d’où proviennent ceux qui font la pluie et le beau temps à la CENCO ces jours-ci, le candidat Fayulu, déclaré perdant à la présidentielle du 30 décembre dernier a été perçu comme étant le vainqueur, il n’en reste pas moins vrai que dans d’autres provinces congolaises, c’est bien Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi, le président proclamé élu qui a été le champion », explique à cet effet un professeur de sociologie politique à l’université de Kinshasa, qui tourne en dérision le sophisme des évêques catholiques qui, n’ayant déployé qu’un peu plus de 17.000 observateurs électoraux sur l’ensemble du pays selon la CENI, s’acharnent à revendiquer plus du double, soit 40.000, comme pour faire avaler leur couleuvre à l’opinion nationale et internationale.
Vérité sectaire et divisionniste
La « vérité libératrice » vantée par la dernière déclaration cléricale catholique congolaise prend ainsi les allures d’une vérité partielle et partiale. Elle ne peut donc libérer que ceux à qui elle donne une occasion de se défouler ou de justifier la poursuite de leurs ambitions de continuer à faire main basse sur le pays de Lumumba. Comme la quasi-totalité des prises de positions politiques catholiques de ces dernières années, elle divise plus qu’elle ne rassemble. Ainsi qu’on s’en rend compte avec cette position, également politique, prise par un groupe d’évêques catholiques du centre du pays, qui s’est montré, lui, favorable aux résultats électoraux proclamant vainqueur de la présidentiel un fils du Grand Kasaï.
La conséquence de ce double jeu catholique coule comme de source. Les calottes sacrées se sont vues contraintes de se mettre au service de l’une et de l’autre vérité électorale issue des dernières élections. Le 15 février dernier à Kinshasa le porte-parole des évêques, l’Abbé Donatien Nshole déclarait avec un opportunisme stupéfiant que « le chef de l’Etat qui est là, est reconnu officiellement. Et nous ne pouvons que composer avec lui ». Même si, quelques jours après, sur les antennes de RFI, le 7 mars courant, l’archevêque métropolitain de Kinshasa, Mgr Fridolin Ambongo, décidément inconsolable proclamait encore que « il est clair que Fayulu a gagné, mais il y a un président qui est là, nous devons composer avec lui ».
Contradictions de surface
Ces contradictions n’augurent rien de bon pour la crédibilité de ce groupe d’évêques dits de l’Ouest qui n’ont manifestement pas cessé de faire feu de tout bois pour déconstruire l’image des vainqueurs des élections générales du 30 décembre 2018 au profit de leurs mentors. En séjour en Belgique à la fin du mois dernier, le cardinal à la retraite et grand artisan du clivage politique Est-Ouest, Laurent Monsengwo, assurait encore devant le Sénat belge que c’est Martin Fayulu, un originaire de l’ex-Bandundu comme lui-même, qui avait remporté l’élection présidentielle de décembre 2018. Dans une interview à la Libre Afrique, l’ancien archevêque métropolitain connu pour être l’auteur spirituel des tentatives d’insurrections populaires organisées sous l’égide du Comité Laïc de Coordination l’année dernière, n’y est pas allé par quatre chemins : « Martin Fayulu doit continuer à faire ce qu’il a fait jusqu’ici – soit le contraire de ce qu’on veut lui faire faire. Il doit s’efforcer de faire éclater la vérité des urnes. Son combat c’est celui du peuple », expliquait l’octogénaire prélat à notre consœur Marie-France Cros. Sans la moindre allusion, même par décence ou charité chrétienne, pour l’autre peuple, celui qui n’a pas jeté son dévolu sur ce candidat sans base (il n’a même pas réussi à faire élire même une dizaine de députés sur les 500 que compte l’Assemblée nationale !) imposé par les occidentaux quelques semaines avant l’élection présidentielle du 30 décembre 2018.
Le double jeu de ces catholiques-là est un jeu de dupes consistant à reconnaître le nouveau pouvoir tout en sciant l’arbre sur lequel il est assis.
J.N.
ELECTIONS 2018 : Jeu double à la CENCO
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