Plus que 5 jours et les « prisonniers politiques » ainsi que ceux qui ont été « … condamnés par des mesures influencées par la politique » retourneront à l’air libre. Ainsi en a décidé, samedi 2 mars 2018 à Kinshasa, le président de la République. Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi a promis une mesure de grâce présidentielle « … pour toutes les personnes ayant été condamnées pour des peines ayant été coulées en force de chose jugée ». « Je vais instruire le ministre de la Justice pour obtenir la libération conditionnelle des personnes détenues pour délits d’opinion », a également déclaré le nouveau chef de l’Etat au cours de la cérémonie de présentation de son programme d’urgence pour les 100 premiers jours de son quinquennat à la tête du pays.
La toute première prestation publique solennelle du nouveau président de la RD Congo, à la Place de l’Echangeur dans la commune de Limete, à quelques encablures du siège de l’UDPS/T, a été une occasion pour Fatshi et les siens de faire apparaître au grand jour des points de rupture et de convergence entre l’ancien et le nouveau pouvoir. Même s’il faut encore attendre plusieurs mois, voire, plusieurs années, pour s’assurer que cela se confirme.
A commencer par cette ambiance particulière qui a caractérisé une manifestation présidentielle de bout en bout (pour ne pas dire perturbé, des confrères présents sur les lieux n’ont pas pu saisir un seul mot du discours du chef de l’Etat !) : des combattants du parti de M. Tshisekedi ont passé tout le temps de la communication présidentielle à conspuer des personnalités de l’ancien régime et celles jugées renégates du parti de chef de l’Etat sortant présentes sur les lieux. Le premier ministre Bruno Tshibala, le gouverneur de la Ville-Province de Kinshasa André Kimbuta Yango, le président du Comité National de Suivi de l’Accord du 31 décembre 2018, Joseph Olenghankoy Mukundji, furent ainsi arrosés de quolibets et d’invectives. « Comme s’ils s’étaient retrouvés malencontreusement à un meeting de l’opposition politique sans y être conviés », commentait un diplomate occidental présent sur les lieux. Ça a tranché net d’avec la discipline observée il y a quelques mois encore au cours des manifestations présidentielles aux couleurs vives des drapeaux et insignes des partis politiques au pouvoir, animées par des sympathisants chantant la gloire des autorités en place, toutes de la même famille politique.
Ambiance combattante
Des « combattants » qui s’invitent à une prestation de la première institution du pays pour y déverser leur bile contre d’anciens adversaires, il faudra donc probablement s’y faire, désormais. Mais sans doute pas autant qu’à ces entorses aux principes protocolaires élémentaires observées samedi dernier, Place de l’Echangeur, lorsqu’un Jean-Marc Kabund a Kabund, le secrétaire général et président a.i. du parti présidentiel, s’est pointé au lieu de la cérémonie plusieurs minutes après l’arrivée du président de la République. Ou encore lorsque Augustin Kabuya est intervenu parmi les orateurs officiels du jour pour imprégner la cérémonie d’un zeste d’idéologie en vantant le passé glorieux de l’UDPS/Tshisekedi. « Parce que le parti a lutté durant 30 ans », argue ce porte-parole pour expliquer cette intrusion dans un cérémonial habituellement organisé par le protocole d’Etat selon un rituel des plus stricts et politiquement « asexué ».
En fait de protocoles, il y en eût deux : celui de la présidence de la République, doublée quasiment par les services du protocole du CACH, animés par Mme Lydie Omanga de l’UNC de Vital Kamerhe, qui laissait transparaître une mainmise évidente du directeur de cabinet du président de la République sur les opérations. D’autant plus qu’au moment où Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi lit son discours, les cameramen s’attardent plus que de coutume sur M. Kamerhe qui, de son siège dans la tribune officielle, parcourt syllabe après syllabe le même discours. Comme un maître d’école surveillant soigneusement une prestation publique de son élève, dans une sorte de posture de souffleur de théâtre. Cela aussi fut une rupture d’avec le passé récent.
Protocole hybride
Conçu pour rencontrer les attentes, plutôt pressantes, de ses compatriotes, le discours de Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi n’a pas manqué de cibles et fut globalement satisfaisant à cet égard. Le président de la République a, en effet, rendu publique une série de mesures urgentes dans les secteurs de la vie qui posent et ont toujours posé problème en RD Congo : les routes, la santé, l’éducation, l’habitat, l’énergie, l’emploi, le transport ainsi que l’agriculture, pêche et élevage. De même qu’il envisage des interventions sectorielles, dans les domaines politiques, de l’administration de la justice, de la lutte contre la corruption, de la bonne gouvernance, de la diplomatie et des mines.
Dans le domaine des infrastructures, de la santé, de l’éducation, de l’énergie, de l’emploi, du transport ainsi que de l’agriculture, pêche et élevage, aucune rupture notable n’a été enregistrée.
Félix Tshisekedi note que sur 58.509 km de routes d’intérêt général, la RD Congo ne dispose que de 3.400 km de routes revêtues. Le nouveau pouvoir s’emploiera à ajouter plus de 5.000 km pour le quinquennat, grâce à des montages financiers, notamment.
Pour les 100 premiers jours du quinquennat, quelque 79.563.753 millions USD seront décaissés en deux tranches pour le désenclavement des provinces et cités du pays à travers des travaux de réhabilitation et de remise en état de routes et ponts. Ces travaux confiés à l’Office des Routes s’effectueront sur toute l’étendue du pays subdivisé pour ce faire en 5 zones (Est, Ouest, Nord, Sud, et Centre).
Construction de sauts de moutons
Kinshasa la capitale se voit accorder 57.254.532,91 USD pour des travaux de réhabilitation routière et de construction de sauts de moutons pour désengorger ses voies de circulation. L’Office des Voiries et drainage (OVD) réhabilitera ainsi l’avenue Pelende et construira les chaussées des avenues Kulumba et de la Sablière dans le district de la Tshangu. Au Mont Amba les avenues de l’Université, de la Foire et l’accès au Motel Fikin seront aussi réhabilitées et assainies. Dans le district de la Funa, les avenues Luambo Makiadi, Force Publique, Kabinda, Saio, Kabambare, et Kasavubu, seront réhabilitées. L’avenue de la Victoire qui a connu un effondrement qui a interrompu son usage, sera réparée. A la Lukunga, les avenues de l’Ecole, du Commerce, et Kutu seront revêtues de nouvelles chaussées. L’avenue Tombalbaye, sera partiellement réhabilitée et sa chaussée renforcée.
Rien de neuf donc, sauf dans la direction des travaux où la rupture d’avec l’ancien pouvoir est nette : les entreprises chinoises ont disparu comme par enchantement de ces chantiers entièrement confiés à l’OVD et l’Office des Routes.
Un hôpital pour le camp Tshatshi
Dans le secteur de la santé, doté de 46.160.403,09 USD, Félix Tshisekedi a annoncé la construction de l’Hôpital d’Ebola à Makela dans la province de l’Ituri pour un coût global de 3.900.000 USD, ainsi que la construction (et la réhabilitation) de l’Hôpital Militaire de Référence du camp Tshatshi à Kinshasa pour 3.500.000 USD. Le président de la République a aussi décidé la prise en charge des soins médicaux des militaires et de la Police Nationale Congolaise sur toute l’étendue de la République pour un coût global de 16.232.113 USD, ainsi que la prise en charge des frais de maternité dans les 9 zones de santé de Kinshasa, chiffrée à 3.500.000 USD.
Le reste du programme d’urgence sanitaire consiste en la gestion des questions courantes : finalisation et parachèvement des travaux de construction de 62 centre santé à travers le pays ; équipement de 32 centres de santé ; acquisition vaccins ; achat médicaments essentiels pour 26 provinces ; réception de 26 centres de santé BADEA à Kinshasa ; réception 9 bureaux centraux des zones de santé à Kinshasa … La réhabilitation annoncée des hôpitaux Mama Yemo et cliniques Ngaliema à Kinshasa, de l’Hôpital Jason Sendwe à Lubumbashi et de l’Hôpital de Manono dans la province du Tanganyika s’inscrivent dans ce même cadre de la poursuite de travaux déjà entamés par le gouvernement sortant.
Dans le domaine de l’éducation doté de quelque 36.075.079 USD, point de rupture d’avec l’ancien pouvoir d’ici l’arrivée à terme des 100 premiers jours du président de la République : la concrétisation de l’objectif de l’enseignement primaire gratuit annoncé dans la campagne électorale, c’est pour plus tard. Certainement plus cette année scolaire.
Le président de la République a néanmoins décidé la construction, la réhabilitation et l’équipement des écoles techniques du camp Tshatshi à Kinshasa pour un coût global de 2.600.000 USD, ainsi que la redynamisation de la mutuelle de santé des enseignants.
Félix Tshisekedi a décidé la réhabilitation de l’Institut Mokengeli de Lemba à Kinshasa, et de 11 autres écoles dans les provinces du Kasai Oriental, du Kasai Central et du Sud Kivu. Le nouveau pouvoir réceptionnera durant ces 100 premiers jours du quinquennat, 9 écoles dont les travaux sont déjà achevés, et 119 autres après le parachèvement des travaux.
Logements sociaux à Maluku
Les 100 premiers jours au pouvoir de Félix Tshisekedi verront également le lancement de la construction de 1.800 logements préfabriqués à Maluku à Kinshasa, au Kongo-Central, à Bukavu au Sud-Kivu, à Mbujimayi au Kasai Oriental et à Kananga au Kasai Central pour un coût global de 57.500.000 USD par l’entreprise SAMIBO CONGO SARL. La mise en œuvre de ce projet était déjà avancé parce qu’au 2 février 2019, il ne s’agissait plus que d’embarquer les matériaux entreposés dans un port turque, et de relancer la mise en activité de l’unité mobile pour la construction des préfabriqués acquise par le Fond de Promotion de l’Industrie moyennant décaissement de 100.000 USD.
Les domaines de l’énergie (électricité et eau), de l’emploi, du transport et de l’agriculture pêche et élevage seront, aux aussi, caractérisés par le lancement des travaux de réhabilitation et d’entretien d’infrastructures déjà existantes pour en améliorer le rendement et l’efficacité.
Reste le secteur de la vie politique, en ce compris la politique économique du pays, où le nouveau président de la République était attendu par l’opinion tant nationale qu’internationale. Le programme d’urgence rendu public samedi dernier y réserve le point 2.9 consacré aux Autres actions sectorielles qui portent sur la justice, la sécurité, la politique, la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance, la diplomatie et les mines. Ici, aucun chiffre n’a été avancé et la mise en œuvre semble réservée. A moins qu’elle ne soit renvoyée au futur gouvernement.
Grâce présidentielle et retour des exilés
Dans le domaine judiciaire, Félix Tshisekedi a annoncé une grâce présidentielle pour les prisonniers politiques et d’opinion, à intervenir dans les 10 jours à dater du samedi 2 mars 2019. Mais également sa détermination à veiller personnellement à ce que la justice soit administrée par des personnes intègres et aux valeurs morales irréprochables, disposées à lutter contre la corruption qui ternit l’image d’un véritable Etat de droit. L’appareil judiciaire sera redynamisé par la création de nouvelles structures, notamment, une structure de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. Un code de bonne conduite sera édicté pour assurer la bonne gouvernance, a encore promis le président de la République.
Dans le domaine de la sécurité, le chef de l’Etat s’est engagé à mettre en œuvre la reddition, l’encadrement et l’insertion des groupes armés à l’Est et au Centre du pays. S’agissant particulièrement de la cité de Yumbi dans la province du Maï Ndombe, un nouvel administrateur de territoire civil sera nommé dans les prochains jours en remplacement de l’officier supérieur qui gérait cette entité depuis les graves affrontements intercommunautaires qui avaient endeuillé cette contrée. De même qu’une tripartite RD Congo-HCR- Congo-Brazzaville sera organisée afin de faciliter le retour au pays des déplacés de Yumbi accueillis au Congo-Brazzaville.
Vulgarisation du Code minier
En matière de diplomatie, le nouveau président de la République a réitéré les engagements déjà annoncés au sommet de l’UA et à l’occasion de la cérémonie de présentation de vœux en février dernier : la politique étrangère de la RD Congo sera basée sur le développement et le respect de la souveraineté nationale dans laquelle l’ouverture au monde, le bon voisinage et la coopération gagnant-gagnant seront les maîtres-mots.
En matière économique, le nouveau Code minier sera vulgarisé, a promis le nouveau chef de l’Etat, s’inscrivant ainsi dans la poursuite de la politique économique mise en œuvre par son prédécesseur à la tête de l’Etat. Tout en se déclarant disposé à écouter les miniers et leurs doléances.
C’est dans le domaine de la politique que le nouveau pouvoir aura marqué la rupture la plus notable avec l’ancien en décrétant l’effectivité de la décrispation politique. Outre la grâce présidentielle en faveur des prisonniers politiques et d’opinion, le président de la République s’est engagé à créer les conditions d’un retour rapide des exilés politiques « … pour qu’ils exercent leurs activités dans le respect des lois de la République ». Un signal fort, à l’évidence, qui traduit l’intention du nouveau pouvoir de s’allier et s’assurer des sympathies dans les rangs et parmi les anciens leaders de l’ancienne opposition radicale autres que ceux de l’UDPS/T. Et de prendre résolument ses marques en prenant ses distances des pratiques de l’ancien pouvoir.
Les agitateurs professionnels sont de retour
Selon les informations parues dans la presse kinoise, Moïse Katumbi Chapwe, qui est sous le coup d’une condamnation judiciaire et dont la candidature à la présidentielle a été retoquée par la cour constitutionnelle en décembre dernier, figurerait parmi les tous premiers bénéficiaires de cette mesure. Parce que le passeport rd congolais dont il était privé en raison de la détention concurrente d’au moins deux autres passeports (zambien et italien), lui aurait été délivré le week-end. Le retour au pays du dernier gouverneur de l’ex Katanga est même annoncé dans la dizaine. Avec Katumbi, les yeux se tournent également vers Antipas Mbusa Nyamwisi, le leader politique Nande soupçonné de connivences coupables avec les égorgeurs ADF et autres maï-maï qui écument sa province d’origine depuis plusieurs années. Il devrait également regagner le bercail. Les Diomi Ndongala Nzomambu et autres Frank Diongo, jugés et condamnés pour des crimes de droit commun (viol sur mineures et coups et blessures volontaires) devraient, eux aussi, recouvrer la liberté à la faveur des dispositions de décrispation du nouveau chef de l’Etat de la RD Congo. Se greffe sur cette liste qui n’est pas exhaustive, le MLC Jean-Pierre Bemba Gombo, que ses partisans s’évertuent à présenter comme un exilé politique bien qu’il ait pu récemment rentrer au pays et en ressortir librement, en arguant du fait qu’il ne lui a pas été possible de prendre possession de la résidence de son défunt père Bemba Saolona, occupée par la dernière épouse et veuve de celui-ci sur avenue Pundu à la Gombe.
Décrispation coupe-gorge
Si elle présente l’avantage d’apporter quelque décrispation de l’arène politique de son pays, la grâce présidentielle annoncée par Félix Tshisekedi reste susceptible d’effets boomerang dont le nouveau pouvoir risque d’avoir à payer les frais. Dans la mesure où les plus en vue de ses bénéficiaires sont tout sauf des enfants de chœur : la plupart ont été condamnés pour des faits de droit et de manifestes atteintes « aux lois de la République » auxquels fait allusion le nouveau président de la République. Leader avec Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzito, Martin Fayulu, Mbusa Nyamuisi et tant d’autres, Moïse Katumbi est un fervent artisan de perturbations de l’ordre public sous prétexte d’exercice de liberté d’opinion et d’expression. Il en est de même, sinon pire, de Mbusa Nyamwisi, l’ancien chef rebelle Nande qui crie sur tous les toits du monde que « seule une nouvelle conflagration armée peut régler les problèmes politiques dans ce pays ». Mais surtout l’avènement de Félix Tshisekedi au pouvoir ne modifie en rien la donne politique nationale dominée par Joseph Kabila, son adversaire politique et militaire devant l’Eternel. On peut en dire autant des agitateurs politiques professionnels que sont les Franck Diongo et Eugène Diomi.
Si elle est n’est pas suivie d’un partage du pouvoir avec les bénéficiaires dont on ne voit pas l’intérêt pour le pouvoir CACH, la grâce présidentielle tshisekediste peut s’avérer un véritable coupe jarrets pour le nouveau président.
J.N.