Ça y est depuis le 21 février 2019. Le conseiller honoraire du Pape François, Laurent Monsengwo Pasinya redonne de la voix et repart sur le chemin de la guerre politico-religieuse. Jeudi dernier, au siège des Grandes Conférences Catholiques, avenue Louise à Bruxelles, l’ancien archevêque métropolitain de Kinshasa a déversé toute sa bile sur la situation politique dans son pays, la République Démocratique du Congo. Dans une déclaration étalée sur 30 pages dactylographiées, pas moins, devant une brochette de représentants triés sur le volet de ce qu’on peut considérer comme un club de bourgeois catholiques conservateurs de l’ancienne métropole coloniale du Congo-Kinshasa emmenée par l’avocat belge Emmanuel Cornu.
Surnommé « le prélat à l’injure facile » depuis qu’il avait qualifié l’ancien président congolais Joseph Kabila et son gouvernement de « médiocres à dégager », l’irascible Laurent Monsengwo a littéralement psalmodié ses idées fixes habituelles, qui révèlent que c’est à lui que l’on doit les fatwas tonitruantes déversées ces dernières années par une opposition radicalisée contre les Kabila père et fils, après le Maréchal Mobutu. C’est quasiment le message des évêques catholiques du 23 juin 2017, « Le Pays va mal. Congolais debout », assaisonné des résultats électoraux « compilés » par les observateurs de l’Eglise catholique que ce prince de l’église a servi à son auditoire belge. Dans le but manifeste d’associer à sa croisade ceux qu’il continue à considérer comme les « propriétaires » de la RD Congo, il s’est lancé dans de très longues tirades au sujet de la vérité des urnes. « Ma position personnelle est que le respect des principes démocratiques et des droits de l’homme doit prévaloir dans un Congo futur. Il ne faut pas que le véritable vainqueur d’une élection soit empêché d’être proclamé vainqueur parce que le régime en place contrôlerait toutes les institutions responsables des résultats des élections. Des commissions électorales futures sous le contrôle d’un gouvernement à la gouvernance désastreuse ne peuvent que mener à un désastre électoral plus grand encore. Il est inconcevable que tout cela arrive dans un pays où est présente la plus grande mission civile et militaire de l’ONU. Le fiasco électoral actuel sous la présence de la mission de l’ONU est incompréhensible. A l’avenir, cette mission ainsi que ses chefs doivent être du côté des Congolais et ne devraient pas donner cette impression maintes fois observée d’être de connivence avec le régime dictatorial en place. Aucun argument sur la soi-disant souveraineté nationale ne pourra faire le poids sinon cette même mission de l’ONU ne serait point devenue presqu’une mission permanente depuis bientôt 20 ans », assène le cardinal, révélant ainsi au passage ce qu’il pense de la souveraineté de son pays face à ses anciens colonisateurs.
Entorses peu catholiques
La prestation du cardinal rd congolais à la retraite aux Grandes Conférences Catholiques ne fut pourtant pas très… catholique. Les organisateurs avaient convié Monsengwo à s’exprimer sur un sujet précis : « Quel avenir pour le Congo ». Le conférencier devait, comme c’est d’usage dans ces « sociétés savantes », faire parvenir le texte de son exposé à ses hôtes quelques temps avant le jour de la présentation. L’orateur ne s’est pas plié à cette exigence requise. « Normalement, j’aurais dû envoyer le texte de ma conférence aux organisateurs plusieurs mois avant ladite conférence. Cependant, si je l’avais fait, mon texte n’aurait pas reflété les développements rapides et récents qui ont eu lieu au Congo : une élection volontairement bâclée y a eu lieu le 30 décembre 2018 et les résultats de ladite élection ont été fabriqués », a-t-il déclaré pour justifier l’intitulé sulfureux qu’il a donné à son exposé : « Quel avenir pour le Congo après la fraude électorale du 30 décembre 2018 ». Et vanter les résultats électoraux des observateurs de l’église catholique (au nombre de 40.000 selon lui, alors que la CENI a formellement démenti ce chiffre depuis belle lurette, assurant n’avoir accrédité que 17.000 observateurs seulement à la demande de l’église catholique), qui ont eu la vertu miraculeuse de réduire le nombre des compétiteurs de 21 à… 3 : Martin Fayulu, Emmanuel Ramazani et Félix Tshisekedi ! « Les chiffres de la CENCO indiquent le score suivant : 62,11 % pour Martin Fayulu ; 16,88 % pour Emmanuel Shadary ; et 16,99 pour Félix Tshisekedi », soutient le brave cardinal pour qui la victoire du camp de Joseph Kabila aux législatives nationales et provinciales « est une violation de la volonté d’alternance exprimée par le peuple congolais ».
L’avenir de la Nation dans la révolte
Pour Monsengwo, l’avenir du Congo réside, de ce fait, dans une révolte insurrectionnelle contre le nouveau pouvoir issu des élections, que le prélat dissimule dans la notion chrétienne d’espérance. « Les défis sécuritaires étant déjà considérables, nous formulons le vœu de la victoire des urnes qui seule comporte la force de persuader le peuple que ses aspirations étant respectées, tout projet de violence viendrait faire impasse sur son relèvement », proclame Monsengwo, en occultant le sort réservé à la frange de la population qui croit ferme en l’autre victoire des urnes, celle proclamée par les seules institutions légales habilitées pour ce faire, la CENI et la Cour constitutionnelle. « Même si cette vérité et cette justice ne trouvent pas gain de cause dans les résultats des élections, la responsabilité du peuple est créatrice de possibilités nouvelles, voire inédites de les revendiquer et de les réaliser », infère péremptoirement l’octogénaire archevêque à la retraite. Traduction : le peuple (tout au moins la partie qui croit aux résultats électoraux ainsi concoctés par Monsengwo et ses affidés) se prendra en charge, se révoltera. « Nous faisons confiance en notre peuple pour surprendre, car seul le peuple congolais doit être au centre des solutions qui permettront d’écrire son histoire d’un avenir meilleur, prospère et radieux », assure encore Monsengwo.
Un prélat au cœur de l’agitation
En attendant cet ‘avenir meilleur’, force est de constater que c’est le plus politicien des prélats qu’ait jamais enfanté l’église catholique du Congo Kinshasa qui accapare à lui seul le rôle de ‘centre des solutions’ politiques (sans grands lendemains, hélas) … depuis plusieurs décennies. Elections ou pas. Des solutions qui toutes passent invariablement par des raccourcis démocratiques à une sauce plus ou moins néocolonialiste. Sous le défunt Maréchal Mobutu au cours de la désormais célèbre Conférence Nationale Souveraine (CNS) dirigée par un certain… Monseigneur Laurent Monsengwo, alors archevêque de Kisangani et président de la CENCO, l’église catholique romaine s’était déjà illustrée par une initiative semblable en prenant une part active à la fameuse Marche des chrétiens du 16 février 1992, rappelle-t-on. La manifestation s’était soldée par la mort de nombreux manifestants ainsi livrés à la soldatesque de la deuxième République mobutiste, contrainte de rétablir l’ordre public en usant de l’unique moyen dont elle disposait : les armes à feu. Le succès de l’opération demeure mitigé à ce jour, puisque ce n’est que cinq longues années après (soit la durée d’un mandat présidentiel en République Démocratique du Congo) en mai 1997, que le dictateur sera mis en déroute par les forces coalisées de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) de Mzee Laurent-Désiré Kabila…
Félix Tshisekedi, du menu fretin ?
Dans les plans du cardinal à la retraite, le nouveau président de la République, même sorti des rangs de l’opposition la plus radicale qu’ait jamais connue la RD Congo, ne pèse pas plus que son ‘candidat commun’ imposé contre toutes attentes à la tête de la même opposition. « Je ne vois pas comment la continuation du régime Kabila sous d’autres formes telle qu’opérée par le fiasco électoral du 30 décembre 2018 améliorera la gouvernance du Congo, étant donné que du vin supposément neuf a été versé dans des veilles outres », martèle un Monsengwo fulminant de rage qui pousse la mauvaise foi jusqu’à contester la qualité d’opposant politique à l’héritier d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba, coupable de s’écarter des objectifs poursuivis par la haute finance occidentale au service de laquelle le prélat obéit au doigt et à l’œil. « En lieu et place de calamiteuses élections, un gouvernement de transition sans Kabila, conduisant à des élections justes et libres, aurait permis aux Congolais de prendre leur destin en mains », a continué à pérorer l’ancien archevêque métropolitain devant ses hôtes belges, comme s’il leur reprochait de ne l’avoir pas suffisamment soutenu dans la voie d’un « printemps congolais » engagée longtemps avant les élections. La fameuse ‘vérité des urnes’ de Monsengwo se réduit donc à la vieille incantation appelant à une TSK, Transition Sans Kabila. A Bruxelles comme à Kinshasa aux lendemains de la présidentielle du 30 décembre dernier, c’est du vieux vin que le cardinal tente ainsi de reverser dans les outres électorales, ainsi qu’il le reconnaît entre les lignes : « Il fallait forcer Kabila et son régime à démissionner immédiatement. Cela n’a pas été fait et nous avons hérité d’une continuation du même régime sous une forme masquée. Fasse le ciel qu’il en soit autrement ! », insiste le prélat remercié par le Saint-Siège pour diverses indélicatesses.
Les eaux troubles de l’usurpation de qualité
Intervenue quelques jours seulement après que la CENCO eut officiellement reconnu le président de la République élu, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, la rentrée politique du cardinal Laurent Monsengwo pose la cruciale et taraudante question de la qualité du conférencier de l’Avenue Louise à Bruxelles le 21 février dernier. Et révèle à quel point l’ancien président de la Conférence Nationale Souveraine sous la dictature mobutiste aime à voguer dans les eaux troubles de la politique de l’usurpation de qualité et de la vile manipulation de l’opinion et des esprits de ses compatriotes. Même truffées de passages des lettres cléricales de son pays, les envolées oratoires de l’archevêque kinois à la retraite ne sont nullement attribuables à la conférence épiscopale rd congolaise qui, sur les résultats de la dernière présidentielle, a échappé de peu au schisme pur et simple. C’est en son nom propre et pour des intérêts politiques particuliers que Monsengwo a entrepris sa dernière croisade contre le pouvoir établi dans son pays. Comme par le passé, sans doute. C’est la 2ème contestation électorale clamée sur tous les toits depuis le lancement du processus de démocratisation en 2003 en RD Congo : une stratégie nihiliste qui, comme tous les nihilismes du monde, nient tout sauf soi-même. Derrière la dénonciation de toutes les élections organisées en RD Congo et l’exigence de la ‘vérité des urnes’, se posent en réalité de puissants intérêts économiques et politiques représentés par le Cardinal et son candidat malheureux à la présidentielle. Ce sont eux qui ne peuvent s’armer de la tolérance et de la patience qui s’imposent dans le processus de démocratisation d’un pays post-conflit. Et non pas le peuple Congolais, ainsi que le prétend le prélat ex-bandundois.
J.N.