Un peu plus d’un mois après sa prestation de serment en qualité de Président de la République, le 24 janvier 2019 au Palais de la Nation à Kinshasa, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi n’a pas encore nommé de premier ministre formateur de gouvernement. Et la controverse enfle parmi les acteurs politiques et dans l’opinion, surtout occidentale. Un peu émoustillée par les puissants vecteurs d’idées, d’émotions et de … fake news que sont les médias, surtout les médias dits mondiaux, qui instiguent et guettent la moindre occasion de « vanter » l’incapacité congénitale des Africains et des Congolais en particulier à gérer seuls leurs problèmes politiques.
Car, ainsi que le confiait un diplomate africain aux rédactions du Maximum dimanche 24 février 2019, « en fait, tout observateur averti sait bien que tant que l’Assemblée nationale qui approuvera ou non le programme d’action de la nouvelle équipe gouvernementale ne dispose pas encore de son bureau définitif, il n’y a pas lieu de parler de retard dans la mise en place de ce gouvernement dont la nomination du premier ministre n’est que la première étape ». Il n’empêche que les supputations les plus fantaisistes vont bon train. Proportionnellement à l’impatience ainsi qu’au nombre de ceux, nombreux en Europe notamment, qui craignent, ou font semblant de craindre, que les pouvoirs du nouveau chef de l’Etat ne se réduisent qu’à une sorte de peau de chagrin, du fait de la volonté malicieuse de son prédécesseur Joseph Kabila qui a gardé le contrôle de la majorité parlementaire. Et qui poussent pour que l’élu UDPS/T – UNC dans le cadre de la coalition électorale CACH (Cap pour la Changement) s’affranchisse résolument de toute perspective de coalition avec le FCC (Front Commun pour le Congo) de Kabila, même si cela devait aboutir à (re)plonger le pays dans une crise constitutionnelle inextricable.
L’article 78 de la constitution
En effet, selon l’article 78 de la constitution en vigueur en République Démocratique du Congo, « Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition. La mission d’information est de trente jours renouvelable une seule fois. Le Président de la République nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre ». En principe, il ne se pose aucun problème d’existence de la majorité parlementaire, étant donné que même s’il a perdu la bataille électorale de la présidentielle, le Front Commun pour le Congo est bel bien majoritaire à la chambre basse du parlement où il détient près de 340 sièges sur 500. Ainsi, du reste, que dans 25 des 26 assemblées provinciales car seule la province du Kasaï Oriental dont le nouveau chef de l’Etat Félix Tshilombo Tshisekedi est originaire a échappé à la véritable razzia réussie par ses candidats dans le Congo profond.
Le week-end dernier, une semaine après que le président de la République sortant, Joseph Kabila, eut rendu une visite toute empreinte de courtoisie (à en juger par les images retransmises par la télévision nationale) et se fut entretenu durant plusieurs heures avec son successeur au Palais de la Nation, les chefs des 18 regroupements qui composent le FCC ont renouvelé leur allégeance à leur autorité morale. A la ferme de Kingakati, un nouvel acte d’engagement qui a mué la coalition électorale en majorité parlementaire et gouvernementale a dûment été paraphé par tous sans aucune exception. Dimanche 24 février au Parc de la Vallée de la N’Sele, propriété de l’Institut National de Conservation de la Nature (ICCN), Joseph Kabila a reçu sous une immense tente dressée pour la circonstance, la totalité des élus nationaux sur les listes des partis politiques et regroupements du FCC.
La question ne se pose pas, selon le FCC
La question de l’identification de la majorité parlementaire ne se pose donc pas, du point de vue du camp de Joseph Kabila, où l’on s’inscrit ouvertement pour une coalition gouvernementale avec le camp du Président de la République élu, le CACH de Félix Tshisekedi donc, « par respect pour la volonté exprimée de manière claire par le souverain primaire le 30 décembre 2018 », a précisé une tête couronnée joséphite. Mais il semble que certain parmi les partisans et les néo-partisans de Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi ne soient guère suffisamment mûrs pour affronter concrètement une réalité qui soumet les rêves et phantasmes de « changement radical » aux dures et contraignantes réalités des résultats des scrutins. Des voix s’élèvent qui laissent entendre que le nouveau chef de l’Etat n’en serait pas tout à fait un s’il ne s’efforçait pas de se ménager une base d’appui en nommant un informateur chargé d’identifier une majorité parlementaire de façon à se donner la latitude de débaucher dans les rangs du FCC quelques têtes d’affiche qui lui permettraient de sortir un premier ministre formateur et un gouvernement le mettant à l’abri de tout partage d’initiative avec son prédécesseur. Même si l’article 78 de la constitution subordonne cette éventualité à l’inexistence d’une majorité parlementaire.
L’identification de la majorité s’impose, selon certains
Interrogé par nos confrères de Top Congo FM samedi 23 février 2019, l’UNC Baudouin Mayo Mambeke tentait laborieusement de donner une sorte de consistance à pareille éventualité qui tente nombre d’anciens adversaires politiques du camp kabiliste peu soucieux de s’incliner devant une volonté populaire qui, en l’espèce, blesse leurs ego. En assurant que Félix Tshilombo Tshisekedi ne pouvait contourner l’«exigence » légale, selon lui, de la désignation d’un informateur ayant mission d’identifier une majorité parlementaire, car, à son avis, «aucun parti ni regroupement politique ne détient la majorité des sièges ». L’avocat bandundois expliquait sa position à grand renfort de sophismes soutenant que le FCC « n’a pas été une liste électorale stricto sensu lors des dernières élections en RD Congo ». Même son de cloche chez un certain nombre de membres de la direction politique de l’UDPS/T, dont le secrétaire général adjoint Rubbens Mikindo, a lui aussi déclaré aux médias qu’il ne connaissait que «aucun parti ni regroupement n’ayant atteint seul la majorité absolue de 251 élus à l’assemblée nationale, il faudra qu’un informateur soit nommé ». C’est, selon lui, « le seul moyen légal d’identifier qui a la majorité car aucun élu ne l’a été sous le label FCC ».
Lundi 25 février, on pouvait lire par ailleurs dans les colonnes de notre confrère Le Potentiel du sénateur honoraire Modeste Mutinga Mutuishayi une attaque au vitriol contre Joseph Kabila et son FCC, accusant l’ancien chef d’Etat de violation de la constitution. Une façon comme une autre de mettre carrément de l’huile sur le feu des relations entre le CACH et le FCC en pleins préparatifs de la phase de mise en œuvre d’un accord de gouvernement entre les deux familles politiques. Selon Mutinga, Kabila devenait pratiquement « hors-la-loi » du fait d’avoir étalé aux yeux de l’opinion l’étendue de sa majorité parlementaire le week-end dernier, en quelque sorte. Du pur extrémisme à l’évidence, qui peut se justifier par la position politique mitigée de l’ancien sénateur Lamuka qui jusqu’à il y a quelques semaines comptait, ainsi que ses pairs membres de la plateforme genevoise, parmi les plus grands pourfendeurs du nouveau chef de l’Etat et du CACH, la coalition politique qu’il vient de rejoindre à la vingt-cinquième heure avec armes et bagages.
Juridisme de composition
On se rend à l’évidence que derrière ce juridisme de composition autour de la nomination d’un informateur se dissimule le secret mais néanmoins assez partagé espoir de voir la mission d’information susciter de nombreuses « traversées de rue » du Front Commun pour le Congo vers la coalition CACH du président de la République élu. Suffisamment pour lui permettre d’augmenter le nombre des sièges de députés qui y appartiennent (jusque-là limité à une centaine à tout prendre en y intégrant les récents débauchages en provenance de Lamuka) … et ainsi bousculer la majorité FCC de Kabila, en comptant sur l’inconstance et l’inconséquence caractéristiques de nombres d’acteurs politiques rd congolais.
La perspective souffre de carences en réalisme et n’est pas sans risques. Interrogé par Le Maximum dimanche dernier, un élu FCC présent à Kingakati qui a requis l’anonymat « pour ne pas mettre de l’huile sur le feu », a donné la réplique à Mayo Mambeke au sujet de la reconnaissance légale du FCC. « Notre collègue Maître Mayo a perdu de vue que le CACH, constitué en dernière minute et à la va vite après le conclave de Genève et la polémique qui a opposé les leaders de l’UDPS/T et de l’UNC aux organisateurs étrangers de la messe basse des bords du Lac Léman, n’est pas plus légal que le FCC. Il oublie que le nouveau président de la République Félix Tshisekedi a bien été élu sur une liste UDPS/T et non sur une liste CACH qui est une coalition entre son parti et l’UNC », soutient-il, dénonçant ce qu’il considère comme « une tentative irresponsable de table rase et un maximalisme politique qui ne profitent nullement au peuple congolais qui s’est prononcé pour une mise en commun des forces incarnées par le camp présidentiel et celui de la majorité au parlement ».
Kabila et Tshisekedi n’en ont encore rien dit
Bémol, cependant. La controverse autour de la nomination d’un informateur ou non reste jusque-là du domaine d’habituelles et récurrentes controverses dont sont si friandes la classe politique et une certaine opinion en RD Congo.
Plus d’un mois après la première passation civilisée du pouvoir entre un président de la République sortant et un président de la République entrant au Congo-Kinshasa, aucun signe d’impatience n’est franchement émis par les deux principaux concernés eux-mêmes, Joseph Kabila Kabange et Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi. Probablement parce que l’un et l’autre savent à quoi s’en tenir plus qu’on ne le croit, avance cet autre observateur, enseignant de droit à l’Université de Kinshasa. « Coalition ou cohabitation au sommet de l’Etat, le nouveau président de la République est assuré par la constitution d’avoir la haute main sur des portefeuilles ministériels régaliens que sont les Affaires étrangères, la Défense Nationale et la Sécurité. C’est largement suffisant pour pouvoir imprimer sa propre marque sur toutes les décisions relatives au devenir du pays. Tout le reste relève d’une excitation plus ou moins opportuniste » explique-t-il.
Au cours d’un diner offert à une délégation des ressortissants du Grand Equateur, vendredi dernier à la Cité de l’UA, Félix Tshisekedi est, lui, revenu sur la passation pacifique du pouvoir intervenue le 24 janvier dernier. « Ce qui s’est passé est historique. C’est quelque chose qui n’a jamais eu lieu dans notre pays … Moi je glorifie Dieu parce que je suis le premier à ne pas comprendre ce qui s’est passé … C’est hors de tout entendement », a-t-il déclaré en lingala à ses hôtes. Ajoutant que hommage doit être rendu à l’ancien président, Joseph Kabila Kabange, « dont le mérité doit être reconnu par le peuple Congolais parce qu’il n’a pas voulu que le sang des Congolais soit versé ».
Bras de fer ou paix des braves entre les coalitions FCC et CACH ? L’adoption du règlement intérieur et l’élection du bureau définitif de l’Assemblée Nationale (celle-ci déterminera à coup sûr l’état des forces en présence) dans les jours qui suivent permettront d’y voir plus clair, à l’évidence.
J.N.