Le gouverneur sortant de la Ville-province de Kinshasa, André Kimbuta Yango, dit « le haut sommet » ne se représentera donc à l’élection des gouverneurs prévue au mois de mars prochain. Elu député national sur les listes du PPRD, le 1er citoyen sortant de la capitale de la RD Congo depuis 2006 n’a pas postulé, mais peu de ses administrés se plaignent de son absence. Dans l’imaginaire kinois, ‘Ya André’, ainsi qu’on le surnomme, est présenté comme le responsable de l’insalubrité criarde qui règne sur l’ex Kin-la-belle. En raison de difficultés et selon eux, de l’échec de sa politique d’évacuation des immondices qui jonchent dans les rues de la mégapole de près de 12 millions d’âmes productrices de déchets de toutes sortes.
Kinshasa, en effet, c’est 90.000 tonnes d’immondices produites quotidiennement, qu’il faut évacuer au même rythme. Selon des calculs pourtant simples que chacun peut effectuer, il faut au minimum 10 camions d’une capacité de 10 tonnes/jour, ou encore 7 à 8 camions d’un tonnage approchant les 10 tonnes/jour ; du carburant pour ces camions ; du personnel de ramassage des immondices ; des engins lourds utiles à l’enfouissement d’immondices au site prévu à cet effet, etc. Ce n’est pas très aisé d’enlever le pari de l’évacuation des immondices à Kinshasa.
L’enfer des immondices
Le problème posé par l’enlèvement des immondices dans la capitale rd congolaise est apparu au grand jour à la fin du Programme d’Assainissement Urbain de Kinshasa (PAUK), le 20 août 2015. Mise en œuvre durant 6 ans (depuis 2009 donc), il consistait au traitement de quelque 11.000 m3 de d’immondices … dans 9 des 24 communes (Gombe, Barumbu, Kinshasa, Lingwala, Kintambo, Bandalungwa, Ngiri-Ngiri, Kasavubu et Kalamu) de la capitale pour un coût global de 22.000.000 d’Euros consentis par l’Union Européenne. Il consistait, dans son volet assainissement pluvial et déchets solides, en l’entretien du réseau d’assainissement pluvial et gestion des déchets solides dans la zone de la PAUK ; en la réhabilitation et l’entretien de réseaux primaires et secondaires, dans le bassin de la Gombe et les parties urbaines denses des bassins de Basoko, Makelele, Lubudi, Mampenza Yolo et Funa ; au nettoyage des espaces publics urbains, transfert et mise en décharge des déchets solides dans le bassin de la Gombe et les parties urbaines denses des bassins de Basoko, Makelele, Lubundi, Mampenza Yolo et Funa ; en la construction du collecteur de Kabambare ; en l’aménagement de la rivière Gombe ; en l’aménagement des lits inférieurs de la Basoko, Makelele et Funa.
Montagnes indomptables
3 ans après le projet PAUK, Kinshasa peine à relever le défi de l’enlèvement de ses immondices, faute de moyens financiers. Les experts estiment qu’il faut réunir un minimum de 30.000 USD/Jour pour l’enlèvement quotidien des immondices, et donc 90.000 USD/Mois pour que la capitale ne soit pas noyée dans les déchets nauséabonds. Un montant qu’à lui seul l’Hôtel de Ville ne peut réunir, comme la plupart d’agglomérations urbaines à travers le monde, généralement soutenues par le pouvoir central pour préserver l’hygiène et la salubrité. Dans les pays occidentaux, le coût de l’évacuation des immondices et autres déchets ménagers se chiffre à plus ou moins 50.000 Euros/jour, assurent les mêmes experts qui mettent l’accent sur l’indispensable contribution gouvernementale dans ce domaine de la vie.
A Kinshasa, c’est connu, de nombreuses réunions avec le gouvernement central n’ont jamais permis d’assurer le financement de l’enlèvement des immondices. C’est seulement par à-coups que le ministère national des finances a volé au secours de la ville, lorsque la quantité d’immondices amoncelées frôlait la catastrophe humanitaire. A l’occasion de l’inauguration du nouvel immeuble du gouvernement provincial de Kinshasa, le 11 février 2019, un des membres de l’équipe de Kimbuta, Dominique Weloli Kanda Nzale est revenu sur ce problème, expliquant qu’il perdurait notamment parce que le gouvernement central ne rétrocédait pas à la capitale les 40 % de ces recettes ainsi que le prévoit la constitution. Sur les 90.000 tonnes d’immondices produits quotidiennement, seulement 20.000 sont enlevés faute de moyens financiers.
90.000 tonnes d’immondices/j sur la table
Les successeurs du gouverneur Kimbuta Yango à l’Hôtel de Ville de Kinshasa auront donc … 90.000 tonnes d’immondices/jour sur la table et se heurteront de front à cet épineux problème. Qui ne semble pas avoir découragé les ambitions au poste : 9 candidats flanqués chacun d’un adjoint se bousculent, en effet, pour succéder à ‘Haut sommet’ André Kimbuta Yango. Dans la flopée se retrouve 7 candidats indépendants, malgré la difficulté de la tâche que représente une élection « sans base électorale », selon une expression devenue courante en RD Congo et qui n’en demeure pas moins réaliste.
Sur le papier, les données semblent claires. Au terme des dernières législatives nationales, l’ex majorité présidentielle requinquée au sein du Front Commun pour le Congo (FCC) garde la haute main sur la capitale avec ses 24 sièges sur les 45 sièges à l’assemblée provinciale. Auxquels il est sensé d’ajouter les 5 sièges des députés cooptés parmi les chefs coutumiers Teke et Humbu, généralement gérés par les ministres de l’Intérieur et des Affaires coutumières et, de ce fait, plutôt proches de l’ex majorité présidentielle et du FCC. En principe, avec 29 votes, le ticket FCC est assuré de remporter l’élection du gouverneur de la ville-province de Kinshasa. Le FCC aligne le duo Ngobila Mbaka Gentiny (PPRD) – Mbungu Mbungu Néron (ACO).
Candidats FCC et CACH
Se positionne avec quelques chances aussi, l’UDPS/Tshisekedi qui compte à lui tout seul 11 sièges, auxquels il faut ajouter au moins un siège supplémentaire du fait du basculement en sa faveur d’une élue Lamuka, manifestement épouse ou parente élue sur les listes de l’AAD du sénateur Modeste Mutinga Mutuishay. Le parti tshisekediste, qui aligne le duo Batumona Khandi Kam Laurent (UDPS/T) – Mulumba Nkongolo Gecoco (UDPS/T), ce dernier étant le meilleur des élus provinciaux de Kinshasa avec la bagatelle de 33.877 voix obtenues. Mais 12 sièges, cela ne suffit pas pour atteindre la majorité simple qui est de 26 voix requise pour remporter l’élection de gouverneur de Kinshasa. Le parti tshisekediste a besoin du soutien … de certains regroupements du FCC, ou de Lamuka, la plateforme rivale de l’opposition qui aligne 7 à 8 élus provinciaux. C’est loin d’être acquis.
Si les candidats gouverneurs de province qui composent les tickets des partis ou regroupements politiques disposant de sièges à l’assemblée provinciale de Kinshasa bénéficient de quelques assurances, il n’en est pas de même des candidats indépendants qui semblent se jeter à l’eau sans bouées de sauvetage, pour ainsi dire. Mais ça, c’est sur le papier.
Séquelles la révolution « kimbutienne »
Dans la réalité, Kinshasa est connue depuis la révolution kimbutienne de 2006, qui avait quasi miraculeusement permis à un candidat de la majorité présidentielle de rafler le strapontin provincial en dépit de la majorité numérique des sièges acquises à l’opposition MLC. Grâce à une logique ethnico-tribale et au fameux vote sociologique qui ne semblent pas avoir fini de faire leurs preuves en RD Congo. Mais aussi à l’influence d’espèces sonnantes bien trébuchantes, ainsi qu’on avait expliqué la victoire du gouverneur sortant de la ville de Kinshasa à l’élection de gouverneur de province au détriment du MLC Adam Bombole en 2006. D’où le grand nombre de candidats indépendants, soit 7 au total, dont certains se recrutement dans le même regroupement politique, en réalité.
Il en est ainsi du ticket Magloire Kabemba Okandja (Le Mouvement Tosekwa) – Bayambudila Mvimbidulu Ruffin (Abako). C’est des plus sérieux parmi les indépendants compte tenu de l’expérience de l’honorable Kabemba dans la management de situations électorales. L’homme est, c’est de notoriété publique, plus qu’un proche du gouverneur de province sortant, André Kimbuta. Magloire Kabemba, c’est en réalité le maître d’œuvre de l’élection-surprise de son mentor en 2006. Cet agent révoqué de la Direction Générale des Contributions dans une ténébreuse affaire d’impôts anticipatifs versés au fisc rd congolais est présenté par certains comme le vrai financier de l’opération de retournement des députés MLC contre Adam Bombole il y a 12 ans. On lui attribue d’indéniables ressources financières, amassés très tôt dans la vie alors qu’il n’était encore qu’étudiant à l’université mais néanmoins puissant secrétaire particulier ou proche collaborateur, selon des sources, du tristement célèbre Bindo. Ce dernier fut une sorte de Bernard Tapie Zaïrois à la fin de l’ère Mobutu, en mettant en œuvre au vu et au su de tout le monde un jeu d’épargne miraculeuse dénommé Bindo Promotion (le jeu de l’avion sous d’autres cieux) qui fit pas mal des ravages sociaux à Kinshasa. Dans l’entourage de Kimbuta, c’est à Magloire Kabemba dont l’intelligence ne fait l’ombre d’aucun doute, que l’on doit la création de la Direction Générale des Recettes de Kinshasa (DGRK), que toutes les provinces du pays ont dû copier par la suite.
Les indépendants
Comme André Kimbuta, Magloire Kabemba Okandja, un originaire du Sankuru né à Kinshasa est membre du PPRD. C’est parce que le parti présidentiel lui a préféré la candidature de Gentiny Ngobila qu’il s’est inscrit aux législatives provinciales sous l’étiquette du Mouvement Tosekwa, une initiative de l’intellectuel kinois Didier Mumengi, demeurée proche du gouverneur sortant. Le Mouvement Tosekwe a réussi à rafler 4 sièges de député provincial à Kinshasa. Et l’on sait Magloire Kabemba, un de ses candidats, apte aux réussites par miracle.
Seulement, Le Mouvement Tosekwa aligne également le recteur de l’Université Salutiste au Congo, Roger Bimwala Mampuya (élu de la circonscription de Barumbu, naturellement), qui a composé ticket avec Ngongo Kwate Jean-Gabrielle, non autrement identifié. Une candidature surprise même parmi les membres de Lamuka, où la justifie par l’influence et le désir des Ne Kongo de placer un des leurs à la tête de la ville-province. Sur le papier, outre les Ne Kongo détenant un siège à l’assemblée provinciale de Kinshasa, Roger Bimwala aurait sans doute pu compter sur l’Abako qui aligne 3 élus si certains parmi eux n’étaient des kimbutistes notoires.
Se pointe également, plus ou moins pour le compte du FCC, le jeune entrepreneur kinois Kasongo Dido Déo-Datus, connu pour gérer une entreprise de publicité mobile plutôt prospère ainsi que la célèbre salle de spectacle et cinéma « Show Buzz ». De Déo Kasaongo, qui a fait partie de l’équipe de campagne du candidat à la présidentielle Emmanuel Ramazani Shadary, on dit qu’il est proche de l’ex majorité présidentielle et de la méga plateforme du FCC, donc. Sans candidature aurait été motivée par la crainte de voir celle du candidat officiel de la plateforme, Gentiny Ngobila, « dérangée » par l’affaire des tueries de Yumbi dans la province dont il est le gouverneur jusqu’à ce jour.
Les 4 autres tickets indépendants sont constitués par les tickets Kingongo Kagera Bienvenu – Mpanzu Dikubana Paulette ; Kibuba-kia-Kiese Raphaël – Matuta Kiese David ; Maluma Mungongo Claude – Loubandha Morgan Romain ; Mbonyo Lihumba Herman – Linkana Iba Germain.
Sur le papier, tous se prétendent à même de relever les défis laissés en suspens par le gouverneur André Kimbuta Yango.
J.N.