Le président de la République, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi, a entamé mardi 5 février 2019, ses premières visites officielles à l’étranger par Luanda en Angola, avant de rallier Naïrobi au Kenya puis Brazzaville au Congo. 12 jours après sa prestation de serment le 24 janvier dernier, le Chef de l’Etat trempe résolument la main à la pâte à la fois pour rassurer les voisins immédiats de la RD Congo parmi lesquels des voix s’étaient précipitamment élevées pour exprimer des doutes sur la conformité du processus qui l’a consacré à la tête de l’Etat et des craintes de troubles postélectoraux déstabilisateurs pour la région, mais aussi pour réaffirmer la volonté de son pays de ne plus jamais se laisser marcher sur les pieds tout en continuant à entretenir des relations de coopération et de bon voisinage mutuellement avantageuses avec les uns et les autres.
A Luanda, mardi dernier, Fatshi s’était rendu à l’invitation de son homologue angolais, Joao Lourenço pour un séjour qui ne devait durer que quelques heures. Selon une note de la maison civile du Chef de l’Etat angolais publiée au début de la semaine, le président de la RD Congo devait quitter la capitale angolaise le même jour à 15 heures, après un tête-à-tête avec son hôte au palais présidentiel de Luanda. Mais le programme présidentiel a été modifié, sans doute en raison de l’importance des dossiers à traiter, puisque le chef de l’Etat et sa délégation comprenant également les ministres des affaires étrangères, Léonard She Okitundu, de la défense, Crispin Atama Tabe Mogodi et des finances, Henri Yav Mulang, ont séjourné durant 24 heures en Angola.
Chez le successeur de José Eduardo Dos Santos, on ne peut vraiment pas dire que le président rd congolais se soit rendu en terres amicales, Luanda poursuivant sans relâche l’expulsion sauvage de ressortissants rd congolais en séjour sur son territoire mise en œuvre depuis septembre 2018. Même le laborieux processus électoral que le taciturne président prétendait soutenir n’a pas eu pour effet de ralentir ces déportations aussi brutales que déstabilisatrices. Symbolique douloureuse, c’est à Kamako, dans une des provinces kasaïennes, aux frontières entre les deux Etats et dont Félix Tshisekedi est originaire qu’échouent la plupart des Congolais expulsés. Ce n’était pas le meilleur mot de bienvenue pour l’hôte de Luanda, tout de même.
« Il faut retourner chez vous au Congo parce qu’il y a eu changement de régime », ont déclaré des éléments des forces de sécurité angolaises à des ressortissants rd congolais arrêtés dans une mine de diamant à Mube (Lunda Norte), torturés puis chassés sans ménagement après s’être vus dépossédés de tous leurs biens, selon des témoignages rapportés par des médias en ligne. Des témoignages confirmés par Musua Kapinga, l’administrateur de territoire assistant de Kamako qui déclare à Actualités.cd que « c’est chaque jour que nous recevons à Kamako des expulsés. Hier lundi, nous avons accueilli 150 Congolais en provenance de l’Angola et aujourd’hui nous attendons évaluer leur nombre dans la soirée ».
Malgré les expulsions sauvages
Ces dernières expulsions sauvages de ressortissants de la RD Congo viennent compléter une longue liste de tentatives du nouveau pouvoir en place en Angola de s’ingérer dans la politique interne de son voisin. Dont la dernière en date reste ce communiqué bizarre intimant à la cour constitutionnelle rd congolaise de surseoir à sa saisine du contentieux électoral et de suspendre la proclamation attendue des résultats définitifs de l’élection présidentielle en attendant la visite d’une délégation ad hoc de chefs d’Etat du continent à l’initiative du Rwandais Paul Kagame pour… statuer sur lesdites élections en lieu et place de la haute juridiction nationale. Certains participants à cette dite de haut niveau mais néanmoins informelle tenue le 17 janvier à Addis-Abeba, dont l’Angolais Joao Lourenço, le Rwandais Paul Kagame, le Zambien Edgar Lungu … estimaient que les résultats provisoires proclamés par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) n’étaient pas conformes à leur « vérité des urnes ». Une vérité qui plonge ses racines dans la volonté de certaines puissances occidentales néocoloniales à capturer le pouvoir politique en Afrique en général et en RD Congo en particulier, en réalité.
Les relations entre Kinshasa et Luanda n’étaient plus au beau fixe depuis notamment que Joao Lourenço s’est laissé mettre dans la tête (par les néolibéraux belges notamment) l’idée que son pays avait, conjointement avec l’ancienne métropole coloniale du Congo-Kinshasa, un droit de regard sur la politique interne de son immense voisin, sous prétexte que tout ce qui s’y passe est de nature à influencer négativement sur son propre pays, comme si l’inverse n’était pas vraie ! Des idées qui remontent à un périple dans les pays de l’Union Européenne, notamment en France et en Belgique. Reçu à l’Elysée au cours d’une visite officielle en France fin mai 2018, Joao Lourenço et son hôte, Emmanuel Macron, ont péroré à qui mieux mieux, entre autres, sur le processus électoral alors en gestation en RD Congo, et fait état d’ «une initiative régionale portée par le président rwandais avec le soutien de l’Angola » pour trouver une solution en RDC. Sans associer Kinshasa à leurs échanges. L’affaire avait déplu au plus haut point. C’était en fait le point de départ de revendications à peines voilés d’une sorte de pouvoir de tutelle (et d’influence) sur l’évolution de la situation politique interne d’un pays membre de l’UA, de la CIRGL et de la SADC, trois organisations régionales et sous régionales auxquelles Kinshasa et Luanda appartiennent pourtant de manière égalitaire.
Paul Kagame est passé par là
Moins d’une semaine plus tard, le 4 juin 2018, c’est en compagnie du Rwandais Paul Kagamé que Joao Lourenço débarquait à Bruxelles où, entre deux discussions sur la crise économique dans son pays, il remettait une couche sur la question rd congolaise. Au cours d’entretiens avec la presse, le chef de l’Etat Angolais a, en effet, évoqué la situation chez son voisin rd congolais en soulignant « l’importance de respecter les engagements pris par les Congolais eux-mêmes », avant de marteler, on ne sait trop sur quelle base « la nécessité d’organiser les élections d’ici la fin de l’année ».
Alors qu’il occupait la présidence tournante de l’organe de défense de la SADC, Luanda a organisé au moins deux rencontres internationales au sommet consacrées à la situation en RD Congo. Sans parvenir à retourner le sacro-saint principe de la souveraineté des Etats membres en faveur des intérêts étrangers, fussent-ils sécuritaires. Deux semaines plus tard, à la mi-août 2018, la capitale angolaise abritait une tripartite réunissant les Chefs d’Etat dirigeants de la SADC, de la CIRGL et de la CEEAC. Denis Sassou Ngouesso, Ali Bongo Ondimba et Paul Kagamé ne purent que se féliciter de l’évolution de la situation en RD Congo en l’absence de Joseph Kabila, représenté par le ministre des affaires étrangères Léonard She Okitundu. Parce que dans l’entre-temps, Joseph Kabila avait honoré ses engagements de respecter la constitution de son pays en désignant son successeur à la présidentielle prévue en décembre 2018. « C’est une démonstration claire de sa détermination de placer les intérêts du peuple de la RDC au-dessus de toute autre considération », concluait le communiqué final sanctionnant les travaux des trois chefs d’Etats. S’il avait reçu mission de ses nouveaux amis occidentaux d’infléchir la détermination de Kinshasa à organiser des élections sans s’encombrer d’atermoiements suggérés par les puissances occidentales soucieuses de faire concourir leurs oiseaux de prédilection, Joao Lourenço avait lamentablement échoué. Mais le nouvel homme fort de Luanda n’en avait pas pour autant renoncé à jouer le rôle de nouvel interface occidental dans la région de l’Afrique Centrale qui lui colle désormais à la peau.
Lourenço, chien de garde occidental
En invitant le nouveau président congolais à Luanda moins de deux semaines après sa prestation de serment, Joao Lourenço démontrait qu’il avait du mal à se départir du rôle de chien de garde des intérêts occidentaux. Au cours de la conférence de presse d’usage après les entretiens en tête-à-tête, le chef de l’Etat Angolais est revenu sur les préoccupations sécuritaires qu’il n’a jamais cessé de brandir pour se justifier, malgré l’unanimité générale qui se dégage autour du déroulement pacifique des scrutins rd congolais du 30 décembre dernier et de l’absence des conflits post-électoraux tant projetés.
La RD Congo et l’Angola ne peuvent pas négliger les problèmes sécuritaires à leurs frontières communes longues de 2.500 km, a déclaré Joao Lourenço, émettant le vœu de signer des accords dans les domaines de la sécurité, de l’ordre public et de la migration. Ce à quoi son homologue rd congolais a répondu. En confirmant les résultats électoraux qui l’avaient porté à la tête de son pays : « Face au monde entier, nous avons été déclarés gagnants et personne n’a prouvé le contraire », a rappelé en substance Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi comme pour balayer d’un revers de la main les anticipations négatives de son hôte. Accommodant, Fatshi a par la suite annoncé la tenue de la grande commission mixte RD Congo-Angola au cours de ce premier trimestre 2019, pour tabler sur les préoccupations sécuritaires inutilement montées en épingle, à l’instigation manifeste de puissances occidentales qui ne s’en cachent même pas. Mais également sur de nombreuses questions de coopération bilatérale en matière d’échanges commerciaux et de commerce transfrontalier, d’approvisionnement en énergie électrique, d’exploitation du chemin de fer de Benguela et du port angolais de Lobito, du reste déjà entamées avec le gouvernement sortant. Joao Lourenço a indiqué que la RD Congo et l’Angola pouvaient partager leurs expériences pour surmonter leurs difficultés en matière d’infrastructures, d’électrification, d’industrialisation et de résorption du chômage. Et aussi que les deux pays avaient beaucoup à s’offrir l’un et l’autre afin de relever de nombreux défis communs.
Appel au respect des droits de l’homme
S’il a estimé légitime que l’Angola mette en œuvre une politique de protection de ses ressources minières en mettant un terme à leur exploitation anarchique, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi a néanmoins estimé que l’expulsion des ressortissants de son pays devait se faire « dans le respect des droits de l’homme ». Et notamment que la partie angolaise prenne la précaution de prévenir chaque fois la partie rd congolaise de ces expulsions pour lui permettre de s’y préparer et d’y faire face. «Je souhaite plus de collaboration avec le Service de migration et des étrangers (SME, sigle en portugais) de l’Angola, afin que les expulsions soient faites en harmonie avec les autorités de la RDC », a indiqué le président de la RDC. Un souhait assorti d’une invitation de son homologue angolais à se rendre prochainement à Kinshasa à l’occasion des obsèques de son père, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, le défunt leader historique de l’opposition politique rd congolaise. Preuve d’une ferme volonté de normalisation face à une aveuglante mauvaise foi.
J.N.
KINSHAS9