Il n’aura pas eu beaucoup de répit, le nouveau président de la RD Congo. Aussitôt pris possession de ses hautes fonctions à la tête de l’Etat et de tous leurs attributs avec la prestation de serment du 24 janvier, suivie un jour plus tard de la remise et reprise formelle avec le chef de l’Etat sortant et son cabinet, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi doit faire face à sa toute première crise sécuritaire. Elle s’est produite dimanche 27 janvier à plus de 2000 km de la capitale, à Lubumbashi dans la province du Haut-Katanga. Des étudiants de la seconde ville du pays sont en effet montés aux barricades à la suite d’une énervante interruption de fourniture d’eau et d’électricité qui durait depuis 72 heures.
Les sources du Maximum dans la capitale cuprifère rapportent qu’obligés de s’éparpiller dans les quartiers riverains du campus universitaire en quête d’eau pour leurs besoins quotidiens, des étudiants ont fini par verser dans des altercations avec les populations du cru, lesquelles ont dégénéré en bagarres rangées avec des éléments des forces de l’ordre lorsque les plus excités d’entre eux ont entrepris d’investir carrément la ville haute et d’assiéger les institutions provinciales pour exprimer à la manière forte leur ras-le-bol.
En 48 heures, le mouvement s’est amplifié
Cela s’est passé autour de 8 heures locales. Vers 9 heures, ce dimanche 27 janvier, le mouvement prenait de l’ampleur, obligeant des unités de la police à intervenir pour empêcher la progression des ‘camarades 0’ vers la ville. Ce fut fait. Les étudiants ramenés autour du campus ont alors décidé d’ériger des barricades bloquant la circulation. Certains se seraient mis à exiger de l’argent en guise de « droit de passage » aux riverains du campus qui passaient par ces voies publiques. Et ce, malgré la restauration de la fourniture d’eau et d’électricité sur le campus universitaire qui était pourtant bel bien intervenue autour de 13 heures locales.
Une nouvelle action de dispersion et d’enlèvement des barricades par les forces de police est alors ordonnée. Elle rencontre la farouche opposition des « kasapards » qui se mettent à lapider les agents de la police. « On a vu des jeunes désœuvrés des quartiers riverains du campus voler au secours des étudiants et s’en prendre aux policiers à coups de pavés et d’objets contondants », rapportent des sources sur place. C’est au cours de ces affrontements que des policiers pris à partie ont tiré sur des manifestants, dont au moins trois ont trouvé la mort dimanche dernier.
Jusqu’à la fin de la journée, ce 28 janvier 2019, la tension demeurait vive sur le site du campus universitaire de la Kasapa où se poursuivaient les violences. Parce que dans l’entretemps, les revendications estudiantines de départ avaient évolué vers une protestation articulée contre l’augmentation des frais académiques, les problèmes de l’insalubrité des logements sur le site universitaire etc.
La réaction présidentielle
Réagissant avec promptitude à la conflagration qui se dessinait à Lubumbashi, le nouveau président de la République, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi, a, dans un communiqué rendu public par son directeur de cabinet Vital Kamerhe, fermement « condamné les atteintes aux droits de l’homme enregistré au campus universitaire de Lubumbashi » et arrêté une série de mesures pour y répondre. Notamment, en déférant devant la justice l’officier de police Yav Bertin, auteur, selon la présidence de la République, de « l’ordre de tirer sans sommation sur les étudiants manifestants ». Autre mesure annoncée par le locataire du Palais de la Nation : la suspension de la mesure portant réajustement des frais académiques qu’aurait prise le ministère de l’Enseignement Supérieur et Universitaire. Stève Mbikayi, le ministre sortant en charge de ce secteur a également été appelé à se justifier sur cette initiative de majorer les frais académiques, selon nos confrères de Radio Okapi. Ce à quoi l’intéressé a rétorqué qu’une telle mesure « n’existe pas car les frais académiques relèvent non pas du ministère mais d’une concertation au sein de chaque établissement entre le comité de gestion et les étudiants qui soumettent leur accord à ce sujet à l’approbation du ministère de tutelle ».
Lundi 28 janvier dans la journée, le campus universitaire de Lubumbashi bouillonnait encore dangereusement, les étudiants n’ayant pas suivi l’appel au calme lancé par le Président Tshisekedi la veille. La route conduisant vers la prison de la Kassapa était toujours barricadée, des pneus flambaient empêchant tout accès au site universitaire. La situation demeurait stationnaire jusqu’à 12 h locales, lundi 28 janvier 2019, malgré l’audience accordée par le gouverneur de province, Augustin Pande Kapopo, à une importante délégation des « camarades O » en vue de trouver un terrain d’entente et ramener le calme dans les esprits. Auparavant, le numéro 1 de la province du Haut-Katanga avait rendu public un communiqué relayant la décision présidentielle de suspendre toute majoration des frais académiques sur toute l’étendue de la province, mais rien n’y a fait.
Revendications vidées de leur contenu
Même si les revendications estudiantines avaient perdu toutes leurs motivations, Stève Mbikayi, le ministre de l’Enseignement Supérieur et Universitaire est de nouveau monté au créneau pour réitérer qu’il n’existe aucune décision de son cabinet réajustant dans un sens ou dans un autre le montant à acquitter par les étudiants au titre de frais académiques. « Les frais académiques ne sont pas fixés par la tutelle ! Ils sont négociés entre étudiants, comités de gestion et les associations des professeurs », a-t-il répété, avant d’ajouter sur son compte twitter : « Par contre, nous avons interdits de négocier ces frais en Dollars ». Une justification qui parait vraisemblable.
La majoration des frais académiques est, en effet, effective et quasiment acceptée dans plusieurs institutions d’enseignement supérieur du pays, de Mbandaka dans la province de l’Equateur en passant par Kinshasa et à Lubumbashi. Elle ressort manifestement des exigences du corps professoral qui, à Kinshasa par exemple, s’était illustré par une série de grèves sèches et sauvages à l’origine de manifestations qui entraînèrent la mort d’au moins un étudiant il y a quelques mois. Il s’en est suivi comme une espèce d’entente entre les parties prenantes en vertu de laquelle il serait exagéré de dénoncer la seule responsabilité de la tutelle.
Les étudiants de l’université de Lubumbashi, dont la motivation première des manifestations de dimanche et de lundi dernier n’était guère liée à la majoration plus ou moins acceptée des frais académiques, semblent selon des sources locales interrogées par nos rédactions, obéir à « une main noire ». « Une main noire », c’est dans le jargon politique rd congolais, l’équivalent d’une sombre et malveillante manipulation politicienne. Qui profiterait à plus d’un insatisfait de l’issue prise par les dernières élections organisées en RD Congo. A l’université de Lubumbashi, « c’est une mèche qui est allumée sur une poudrière », confie à nos rédactions un diplomate africain en poste à Kinshasa.
La sortie précipitée de Katumbi
Demeuré aphone depuis l’élection suivi du sacre triomphal du candidat CACH (Cap pour le Changement), Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi à la présidence de la République au détriment de Martin Fayulu Madidi, candidat de la plateforme Lamuka, Moise Katumbi Chapwe a, lui aussi, promptement réagi aux événements de Lubumbashi du week-end. « Les manifestations des étudiants de l’UNILU sont légitimes et manifester pacifiquement est un droit. Une université n’est pas un champ de bataille ! Il n’est pas acceptable que chaque manifestation en RDC soit réprimée dans le sang. Il faut un procès public pour les coupables », a écrit sur son compte twitter ce parrain du candidat malheureux à la présidentielle du 30 décembre 2018. Pas la moindre invitation, ni le moindre mot appelant les manifestants à l’apaisement de la part du patron du G7, connu pour ses dispositions mal dissimulées à l’embrasement de « son » ex Katanga au nom d’intérêts financiers tout aussi maladroitement cachées à l’opinion.
Moins d’une semaine après son accession au pouvoir, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi doit ainsi faire face à sa première crise pollitico-sociale d’envergure. Comme un certain Patrice-Emery Lumumba, plusieurs décennies avant lui. Aujourd’hui comme à l’accession du pays à l’indépendance il y a 59 ans, le grand Katanga devenu une sorte de chaudron représente toujours un enjeu crucial pour la RD Congo. Et tient une place de choix dans tous les plans de déstabilisation du pays ourdi par les puissances étrangères qui n’hésiteraient pas à y téléguider une de ces guerres hybrides dont ils détiennent le secret. « Le grand objectif derrière chaque guerre hybride est de perturber les projets transnationaux multipolaires connectés à travers des conflits de plus ou moins basse, notamment identitaires, délibérément provoqués de l’extérieur (ethnique, religieux, régional, politique, etc) », c’est connu.
Le sceptre de la sécession du Katanga
« Historiquement parlant, la RD Congo a déjà été le théâtre de deux crises de niveau mondial, la première crise du Congo de 1960 à 1965 et la deuxième crise du Congo de 1996 à 2003 (parfois considérées comme deux événements distincts). Ce n’étaient pas seulement des crises, elles étaient en fait aussi une combinaison hybride de guerres civiles et internationales, ce qui en a fait la quintessence militaire tactique de la guerre hybride », assure à ce sujet, Andrew Korybko, un commentateur politique américain de l’agence Sputnik. Selon lui, si la révolution de couleur congolaise (les manifestations estudiantines, par exemple) est finalement considérée comme un échec, « il est très possible que le fameux « Plan B » des puissances impérialistes brandi une nuit de décembre 2016 par l’irascible prélat catholique Fridolin Ambongo devant les négociateurs de l’accord de la Saint Sylvestre consiste à raviver les revendications sécessionnistes historiques du Katanga et que Moïse Katumbi serait chargé, une fois rentré dans la région avec les moyens financiers importants dont il dispose, de mettre en œuvre, en prenant la tête d’une insurrection générale déstabilisatrice, aux côtés de son armée de mercenaires occidentaux, labellisés « experts en sécurité ».
Une manifestation estudiantine anodine qui prend étrangement de l’ampleur avant que la signature du nouveau Chef de l’Etat sur le livre d’or du Palais de la Nation dont il venait de prendre possession n’ait eu le temps de sécher après son sacre, c’est peut-être un message sans équivoque adressé à Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi, qui consiste à menacer de lui retirer le grand Katanga sous les pieds s’il lui prenait l’envie de se montrer aussi « indocile » que son jeune prédécesseur, Joseph Kabila.
J.N.