Les foules n’ont pas de mémoire, selon un principe peu contesté de psychologie sociale. Autrement, la dernière sortie de Paul Kagamé, chef de l’Etat rwandais et président (fin mandat) de l’Union africaine sur la RD Congo aurait plutôt révolté plus d’un. Depuis son arrivée au pouvoir après le tristement célèbre génocide rwandais, Kagamé est apparu à beaucoup de Congolais comme l’incarnation du problème sécuritaire auquel se trouve confronté l’immense voisin du Rwanda ravagé par au moins deux guerres d’agression et de nombreuses rébellions par procuration impliquant plus ou moins directement Kigali. Jeudi 17 janvier 2019, le président rwandais flanqué d’un groupe d’autres chefs d’Etat du continent sélectionnés selon des critères peu connus, a rendu public un communiqué d’autant plus controversé qu’il décrétait une sorte d’interruption du processus électoral en cours en RD Congo. Prétexte trouvé : les résultats provisoires rendus publics par la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) semblaient douteux. S’exprimant au nom de l’organisation continentale, Kagamé et ses amis chefs d’Etat intimaient pratiquement à la cour constitutionnelle rd congolaise saisie du contentieux des résultats électoraux de la présidentielle par la coalition de Genève l’ordre formel de suspendre la publication des résultats officiels des scrutins combinés du 30 décembre 2018. En attendant qu’une délégation de haut niveau de l’UA se rende à Kinshasa conférer avec les protagonistes de ce qui était fallacieusement présenté comme une « crise postélectorale » alors qu’il s’agissait en réalité d’une gestion normale et légale du contentieux de l’élection présidentiel.
Pour justifier cette initiative visant à stopper un processus électoral en cours dans un Etat membre de l’UA, donc à interférer tout bonnement dans le fonctionnement des institutions nationales, Kagamé a carrément usurpé et triché. Rien ne permet en effet au président de l’UA de s’immiscer dans des questions de politique intérieure d’un Etat membre, ni de prendre des initiatives en dehors des structures officielles de cette organisation régionale. Comme pour contourner la difficulté, le président rwandais a usé de subterfuges dans le but de muer une rencontre consultative en assise officielle (institutionnelle) de l’UA. D’où le tollé soulevé par cette initiative aux lendemains discutables. Etant donné que conformément aux lois rd congolaises, la cour constitutionnelle a rendu son verdict sur les requêtes en contestation des résultats de la présidentielle samedi 19 janvier 2019 dans la soirée. Et le coup de force de la bande à Kagamé a fait flop.
Les observateurs les mieux avertis s’accordent pour affirmer que jeudi dernier, c’est à la France d’Emmanuel Macron que le chef de l’Etat rwandais a tenté de renvoyer l’ascenseur. Il est de notoriété publique que les relations diplomatiques « tumultueuses » entre les deux pays ont été marquées ces derniers mois par un extraordinaire cadeau fait à Kigali par Paris. En effet, le Rwanda anglophone, qui a du reste formellement adhéré au Commonwealth, s’est vu offrir le strapontin du secrétariat général de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) dirigée aujourd’hui par Louise Mushikiwabo, l’ancienne ministre des affaires étrangères de Kagamé, à la stupéfaction générale.
L’impression générale que cela dégage est que l’Hexagone s’est acquitté ainsi d’une sorte de dette morale consécutive à son rôle dans le génocide rwandais de 1994. Il se confirme ainsi qu’à chaque fois que les deux Etats ont eu à régler leurs différends, c’est sur le dos de la RD Congo et de ses populations qu’ils le font.
Dans cette optique, pour rendre l’ascenseur à Emmanuel Macron, c’est une fois de plus sur la RD Congo que Kagamé s’est rabattu, tentant de refiler à ses nouveaux amis rien moins qu’un président de la République.
Aujourd’hui comme hier, le Congo et les Congolais demeurent les éternels dindons de la farce dans les relations franco-rwandaises.
J.N.