A trois semaines des élections du 23 décembre 2018, l’opposition politique rd congolaise est bien plus en mauvaise posture qu’il n’y paraît. Ses thuriféraires ont beau annoncer la victoire à venir, rien n’y fait. De plus en plus de voix s’élèvent des rangs des opposants eux-mêmes pour tirer la sonnette d’alarme. Alors qu’en face, dans le Front Commun pour le Congo (FCC) et de la majorité au pouvoir, on s’affaire à pousser Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat à la succession de Joseph Kabila, de l’avant. Plus que jamais auparavant.
Pour beaucoup dans l’opinion, c’est à Genève, le 11 novembre 2018, que tout s’est gâté : c’est en effet ce jour-là que dans un hôtel cossu de la ville helvétique l’opposition s’est véritablement tirée une balle au pied. Elle tente, depuis lors, de renaître péniblement de ses cendres, sous la forme de deux plateformes, Lamuka et CACH (Camp ou Cap pour le Changement), qui se combattent farouchement entre elles tout en se préparant à affronter la machine électorale du FCC. Ce n’est pas du meilleur augure qui soit. Ceux des opposants qui tentent péniblement de garder la tête froide donnent de la voix.
Des voix s’élèvent et se plaignent
« Tout ce que l’opposition va faire, elle est sûre de perdre les élections, qu’il ait un candidat unique, qu’il ait n’importe quel candidat de l’opposition, la machine FCC va battre celui-là. Pour ceux-là qui sont allés dans ce processus, ils y vont pour crédibiliser une parodie d’élection, aucune coalition ne peut gagner ces élections que Kabila a programmé ». Ce n’est pas un « communicateur » de la Majorité Présidentielle qui fait état de ces prédictions défaitistes. C’est l’UDPS Valentin Mubake, l’ancien conseiller politique d’Etienne Tshisekedi, connu autant pour son extrémisme que pour son franc parler. Ces propos datent du 27 novembre 2018, 6 jours après le retour « en fanfare » du candidat Lamuka, Martin Fayulu Madidi à Kinshasa, et 24 heures avant le triomphe réservé au tandem Vital Kamerhe-Félix Tshilombo du CACH dans la même ville. « Regardez l’équipe de campagne de Kabila comme la dernière preuve, vous avez le premier ministre et son gouvernement, le président de l’Assemblée nationale et tous les députés PPRD, les gouverneurs de provinces. C’est pour que Kabila perde les élections ? Il ne faut pas rêver », se désole anticipativement un des plus radicalisés des opposants qu’ait jamais compté la RD Congo.
D’autres, dans les mêmes travées de l’opposition politique, gardent espoir mais n’en perdent pas pour autant le sens des réalités. A l’instar de Delly Sessanga, le président d’un petit parti politique dénommé Envol mais néanmoins secrétaire général de « Ensemble pour le Changement », la dernière des plateformes électorales de Moïse Katumbi. Sur les antennes de nos confrères de Radio Top Congo FM, le 27 novembre 2018, il se répandait encore en jérémiades sur la nécessité de doter le camp opposant d’un candidat unique de l’opposition. Plus de deux semaines après que le conclave de Genève organisé à l’instigation de son mentor Katumbi eût fait voler en éclat ce qui restait encore de l’opposition politique en RD Congo en désignant un « poids mouche » pour la représenter à la présidentielle de décembre prochain. «Je suis un des rédacteurs de l’accord de Genève dont le draft a été présenté en Afrique du Sud. Nous cherchons le candidat commun pour unir nos forces. J’exhorte tout le monde à revenir à la raison pour que nous n’ayons qu’un seul candidat. J’en appelle à l’unité. Fayulu et Fatshi parlent le même langage», soutenait-il désespérément au micro de nos confrères. « Les erreurs du passé reviennent. Si on veut gagner les élections nous devons éviter les erreurs de 2006 et 2011. En 2006, Bemba pouvait gagner les élections. Mais, malheureusement, on était en ordre dispersé. En 2011, c’était pareil », avouait-il, prenant le contrepied de Félix Tshilombo Tshisekedi qui, à son retour à Kinshasa quelques heures plus tôt, ne s’était pas privé de faire le matamore en racontant à ses sympathisants que son défunt père avait remporté la présidentielle de 2011.
Le désarroi est profond, malgré les apparences
Ces déchirements au sommet de l’opposition politique ne sont que l’expression d’un désarroi plus profond encore, selon les observateurs, qui notent que depuis le lancement du processus électoral, les radicalisés ont accumulé défaites et déconfitures. Notamment, dans le combat engagé contre le processus électoral lui-même sous le couvert du rejet de la machine à voter. A trois semaines des scrutins, cette bataille principale est irrémédiablement perdue : l’ingénierie sud-coréenne d’inspiration rd congolaise sera bel et bien d’usage par les quelque 40 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales en RD Congo. Parce que ces pourfendeurs n’ont pas convaincu. Et peut être pire, ne méritent guère crédit.
Au bout de près d’un an de récriminations contre l’imprimante des choix des électeurs, introduite par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) pour économiser du temps (il fallait 3 mois pour commander et acheminer la paperasserie inhérente à l’organisation concomitante de 3 scrutins électoraux) et du papier, il s’est avéré que l’hostilité contre la machine à voter était en réalité une hostilité contre les scrutins eux-mêmes. Dont beaucoup d’opposants, mal préparés, ne voulaient pas.
Seulement, il en va de la machine à voter comme des élections elles-mêmes en RD Congo. En s’enrôlant plus que massivement, les populations avaient clairement indiqué qu’elles désiraient aller aux urnes et ne plus subir les « partages » de type mafieux de pouvoir qui ont le don de minimiser l’obligation de redevabilité des élus vis-à-vis de leurs électeurs. « Sur cet aspect de la réalité, les acteurs politiques de l’opposition se sont trompés : c’est la population qui a décidé d’aller aux élections, il fallait suivre et non pas tenter de s’opposer », explique un politologue de l’Université de Kinshasa au Maximum.
Les radicaux à la traîne depuis le lancement du processus électoral
Sur cette question hautement politique comme sur d’autres, l’opposition politique rd congolaise s’avère à la traîne littéralement. Les mots d’ordre hostiles à la machine à voter et au processus électoral en général fondent comme beurre au soleil.
C’est encore Delly Sessanga qui trahit les errements d’une opposition qui ne sait plus à quel saint se vouer au sujet de cette machine à voter et des enjeux des scrutins combinés présidentielle, législatives nationales et provinciales du 23 décembre 2018. Le secrétaire général de « Ensemble pour le Changement » assurait à ce sujet encore à nos confrères de Top Congo qu’il s’affairait à la recherche d’une majorité parlementaire pour sa plateforme. «Je travaille pour nos députés nationaux et provinciaux. Je travaille pour qu’Ensemble ait le maximum des députés. Nous avons aligné plus de 5 000 candidats. Ils doivent être élus. Ensemble a présenté le plus grande nombre de candidats». Des affirmations qui supposent que les électeurs katumbistes iront aux urnes, malgré la machine à voter. Mais cette position ne semble pas partagée par tous chez ces radicaux déboussolés. Ici, la cacophonie est à son comble.
C’est le jour et la nuit, entre Sessanga et…
Christophe Lutundula, par exemple, qui lui invite les combattants à « prendre leurs responsabilités devant la machine à voter », sans oser leur indiquer s’il faut voter, s’abstenir de voter ou « saboter » par des moyens violents cette MAV qui donne des insomnies aux radicalisés ; et entre Sessanga et Martin Fayulu qui exhorte les mêmes électeurs à ne placer dans l’urne qu’un bulletin qui ne sera pas sorti de la machine à voter. « Ces gens nous méprisent. A quoi cela sert-il de se déplacer jusqu’à l’urne et puis s’abstenir de voter ? Autant nous inviter à rester à la maison », se plaint ce jeune d’un quartier populaire à Kinshasa. Où une consigne plus réaliste s’impose mêmes aux plus pessimistes. Largement diffusée sur les réseaux sociaux est postule que « la consigne est simple et claire. Dès que vous finissez à voter à la machine et dès que le bulletin vient d’être imprimé avant d’aller glissez ça dans l’urne, vérifiez soigneusement le bulletin pour voir si la machine a réellement imprimé votre candidat qui est votre choix, car à l’heure du comptage des voix, on se référera de ce bulletin. Et dès que vous constatez que sur le bulletin ce n’est pas votre candidat qui est imprimé, revendiquez et trouvez solution avant de rentrer à la maison ». C’est déjà mieux que d’envoyer les électeurs déambuler en touristes dans les bureaux de vote le 23 décembre prochain.
Machine à voter : défaite et conséquences en cascade
La défaite de la bataille sur la machine à voter devrait manifestement entraîner de nombreuses réactions à la chaîne, peu favorables à l’opposition en général. Notamment, un taux élevé d’abstention (ou de bulletins nuls) qui devrait profiter au candidat du pouvoir en place et au candidat unique de l’autre camp, celui de la nouvelle plateforme kameriste-tshisekediste, le « Cap pour l’alternance ».
Sur la machine à voter, la défaite est donc cuisante, lourde de conséquences et définitive. Même l’opposition politique cléricale catholique, qui dissimule mal son hostilité contre le processus électoral, a fini par s’entremêler les pinceaux et jeter l’éponge. Les princes de l’église ont inondé l’opinion de déclarations pessimistes, voire, hostiles au processus électoral. Ils lui reprochent de ne pas épouser les formes de l’Accord politique de la Saint Sylvestre, signé sous leur égide le 31 décembre 2016. La dernière déclaration des évêques catholiques, le week-end dernier, se plaint encore du défaut de consensus sur la machine à voter, notamment. Mais les évêques se sont déjà engagés jusqu’au cou dans le même processus en percevant d’importants subsides d’organisations internationales pour assurer la formation des témoins électoraux. Impossible donc pour eux de reculer : ce sont donc bien quelques 40.000 observateurs que l’Eglise catholique romaine a formés et qui doivent être déployés sur le terrain. Impossible de reculer, machine à voter ou non. L’Eglise catholique en a été ainsi réduite à édicter un « code de conduite des ecclésiastiques et des agents pastoraux pendant la campagne électorale ». Qui leur interdit de donner la parole aux politiciens pendant les cultes ; de ne pas faire la propagande électorale d’un candidat ; de ne pas mettre les locaux à disposition des politiciens pour la campagne électorale, etc. Contre la machine à voter, aucune instruction cléricale.
Pour couronner de lauriers cette défaite prémonitoire de l’opposition aux prochaines élections, le Conseil Paix et Sécurité de l’Union Africaine abonde dans le même sens. Dans un communiqué, lundi 26 novembre, l’Union africaine a exhorté la CENI à renforcer la confiance entre les parties prenantes au processus électoral en poursuivant sans coup férir la campagne d’explication sur la machine à voter qui sera utilisée le 23 décembre 2018.
L’affaire est entendue et la bataille perdue. Mauvais présage.
J.N.