Ils sont nombreux, assurément, ceux qui dans l’opposition rêvaient il y a quelques encore d’une probable unité des leaders politiques qui se réclament de l’opposition à Joseph Kabila et à son immense famille politique. Mais ils doivent déchanter. A trois semaines des scrutins de décembre 2018, plus de réunification possible. Malgré les vœux de Félix Tshilombo Tshisekedi qui, entre deux bourdes politiques, s’est plutôt montré « grand seigneur ». Accueilli par des dizaines de milliers de sympathisants à son retour de Nairobi en compagnie de son nouvel alter ego, Vital Kamerhe, mardi 27 novembre 2018 à Kinshasa, le « candidat unique » du CACH (Camp du Changement) n’en a pas moins appelé à l’unité de l’opposition face au camp Kabila. Un appel qui a sans doute été interprété comme une sorte de tentative de débauchage … de combattants de l’opposition. Puisque 24 heures après, Lamuka, la plateforme de l’autre « candidat unique » réagissait avec véhémence à l’appel du pied.
C’est Jean-Bertrand Ewanga, un des porte-paroles de Martin Fayulu, qui s’est chargé de fixer les esprits sur l’impossible entente entre les deux « candidats uniques ». «Maintenant, je vous dis clairement que c’est trop tard», a-t-il proclamé sur les antennes d’une radio très suivie à Kinshasa. Une proclamation qui a choqué plus d’un dans l’opinion favorable à ces forces qui se disaient acquises au changement il y a quelques mois encore. Parce que comme le « candidat unique » qu’ils se sont choisis le 11 novembre à l’Hôtel Warwick de Genève, l’homme qui fait ainsi taire les espoirs de milliers de combattants de l’opposition « ne pèse guère plus qu’une mouche », selon les propos d’un vieux combattant de l’UDPS/T, qui prétend connaître « comme sa poche » cet ancien du parti tshisekediste dans les années Mobutu. Peu d’analystes accorderaient à l’ancien gouverneur de l’ex province de l’Equateur plus que le poids politique d’un député provincial … dans sa province d’origine. Mais Genève l’a révélé : ce sont les petits qui sont élevés dans la nouvelle plateforme de l’opposition, pas les grands. « Martin Fayulu a déjà une longueur d’avance dans le pays. Tout devait être fini à Genève. On est déjà avancé avec Fayulu. Comment faire marche arrière ? », s’insurge cet ancien cadre débauché des rangs de l’UNC de Vital Kamerhe. Par Moïse Katumbi.
Le dernier gouverneur du Katanga s’est lui-même révélé à ceux qui l’avaient pris pour le sauveur de l’opposition politique. Sans s’encombrer de quelque considération que ce soit, comme à ses habitudes. « Je reste dans le camp de Martin Fayulu » a-t-il annoncé dans les colonnes de nos confrères de Jeune Afrique, le jour même du retour triomphal du tandem Vital Kamerhe-Félix Tshilombo à Kinshasa, le 27 novembre 2018. Ce n’est donc pas de triomphe de l’opposition que voulait cet homme qui s’est scandaleusement enrichi en deux mandats à la tête de l’ex Katanga. C’est derrière son propre triomphe que celui qui se présente depuis 4 ans comme le meilleur des opposants à Joseph Kabila et à son ancienne famille politique se voue. L’exploit passe par l’émiettement de l’opposition pour faire place nette à cet ancien candidat à la candidature à la présidentielle 2018, pourtant dûment débarqué de la course. De toute évidence, le prétendu sauveur de l’opposition politique n’était qu’un fossoyeur. C’est ainsi qu’apparaît aux yeux d’un nombre de plus en plus croissant de ses compatriotes, l’homme qui a réussi une véritable OPA sur l’opposition radicale de la RD Congo à coups de billets verts après avoir démissionné du PPRD et de la majorité présidentielle en septembre 2015.
L’arrivisme de l’ancien gouverneur katangais dans les rangs de l’opposition se révèle aujourd’hui tel qu’il est en réalité : plus assassin que salvateur. C’est à peine si on peut encore sérieusement parler de l’existence de cette frange de l’opposition radicale en RD Congo où les rangs des contestataires se sont distendus à l’infini. De l’UDPS, ce parti politique connu pour sa longue lutte contre la dictature mobutiste dans les années ’90, à l’Union pour la Nation Congolaise du versatile Vital Kamerhe, le sud-kivutien arrivé 3ème à l’issue de la présidentielle 2011 en passant par le Mouvement de Libération du Congo de l’ancien pensionnaire des prisons de la Cour pénale internationale, Jean-Pierre Bemba Gombo (2ème de la présidentielle 2006) en passant par les petits partis politiques à un ou deux élus nationaux, aucun leader sérieux n’a pu émerger des fatras katumbistes : le G7, le RASSOP (Rassemblement des Forces politiques et sociales acquises au changement), Ensemble pour le Changement. Parce que tels n’étaient pas les desseins de leur instigateur principal.
Fédérer ou atomiser l’opposition
Au départ de son action politique, pourtant, Moïse Katumbi Chapwe a donné l’impression de n’être animé que par la volonté de « fédérer les forces de l’opposition politique de la RD Congo contre le pouvoir de Joseph Kabila et sa majorité présidentielle ». Le richissime ex. gouverneur se garde jusque-là de créer un véritable parti politique. La plate-forme qui comptait 7 partis politiques avant le départ de Dany Banza suffit à son bonheur depuis le dernier trimestre 2015. Ce sont les 7 qui l’ont « coopté » (hors délai) comme leur candidat à la prochaine élection présidentielle, sans se donner la peine de quérir l’opinion des leaders des autres formations politiques de l’opposition qu’il prétend vouloir fédérer. De points de vue autre que le sien, « Monsieur tiroir-caisse », ainsi qu’on a désigné le nouveau « partront des opposants », n’a que faire en réalité. Les billets de banque qu’il distribue à profusion plaident en sa faveur. Des rangs de nombre de partis-mallettes d’une opposition émiettée, du beau monde ont accouru ventre à terre, incitant Katumbi à lancer l’idée de primaires pour désigner le candidat unique des opposants à la présidentielle.
Mais le projet a coincé. Du côté de l’Union pour la nation congolaise (UNC) dont la tête d’affiche, Vital Kamerhe Lwa Kaningini, était déjà candidat à la dernière présidentielle. L’élu national de Bukavu en 2006 (2ème député national le mieux élu du pays après … Moïse Katumbi à Lubumbashi) a jugé l’idée saugrenue, allant jusqu’à le clamer tout haut : « elle ne consolidera pas l’unité de l’opposition ». Ni celle de son propre parti politique, comme il s’en rendra compte 3 mois plus tard.
Le piège mortel de Bruxelles-Genval
Du 8 au 10 juin 2016 s’est tenu à l’hôtel du Château du Lac à Genval, à une vingtaine de km au sud de Bruxelles, le conclave consacrant la création d’une grande plateforme de l’opposition rd congolaise. Sur ce site idyllique qui avait déjà abrité le mariage de Moïse et Carine Katumbi Chapwe avaient été conviés à ses frais, presque tout le gratin de l’opposition politique et de la société civile rd congolaise, à l’exception notable du MLC de Jean-Pierre Bemba et de l’UNC de Vital Kamerhe, dont néanmoins deux principaux lieutenants grassement rétribués par le richissime ex.gouverneur katangais accepteront de participer intuitu personae : André-Claudel Lubaya et Jean-Bertrand Ewanga Is’ewanga. « C’est une rencontre qui aurait tout aussi bien pu se tenir à l’Hôtel du Fleuve à Kinshasa », dénoncera mollement Kamerhe que des chroniqueurs soupçonnent d’avoir bénéficié d’une partie du pactole…
Au terme des assises de Genval, le 10 juin 2016, un comité de suivi des résolutions est créé, c’est le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement (Rassop), dont une sorte de présidence honorifique est confiée à Etienne Tshisekedi (la présidence du comité des sages). Le vieil opposant, déjà très malade avait également pris part aux travaux. Le 30 août 2016, Jean-Bertrand Ewanga, jusque-là secrétaire général du parti politique de Vital Kamerhe, rendra publique sa démission, de ses fonctions seulement, assurait-il. Quelque 72 heures plus tard, André-Claudel Lubaya, son alter ego, annonçait sur les réseaux sociaux avoir lui aussi adressé une lettre de démission au président de l’UNC. C’était le début d’une saignée sans précédent qui verra le parti de Kamerhe perdre ses plus fines lames : Sam Bokolombe (élu national et ancien patron de la Direction générale des Impôts pour le compte du MLC), le député Alain Mbaya Kakasu, la juriste Odette Babandoa (ex. ministre des transports et communication sous Mzee Laurent-Désiré Kabila) … tous ont déserté le radeau rouge et blanc (les couleurs de l’UNC).
La déroute de l’UNC
L’UDPS d’Etienne Tshisekedi n’échappera pas, elle non plus, aux ravages des billets verts de Katumbi, malgré les premières apparences. Les fonctions de président du comité des sages du Rassop confiées au vieux ‘lider maximo’ de la naguère « fille aînée de l’opposition » ne dépassaient guère le seuil du symbolique, selon la plupart des participants au Conclave de Genval pour lesquels « il avait fallu taire les ambitions des présidentiables pour préserver l’unité de l’opposition ». A nos confrères du quotidien Le Monde, le chef d’un parti politique de l’opposition avait cyniquement confié à ce propos que « Monsieur Etienne Tshisekedi n’est pas capable, physiquement, d’être président du Congo ». L’avenir politique taillé sur mesure pour le vieil opposant au Maréchal Mobutu semblait donc, dès le départ, limité à faire place nette pour Moïse Katumbi, le vrai tireur de ficelles du conclave de Bruxelles-Genval.
Bravant les conseils de ses médecins, c’est un Tshisekedi pourtant astreint au repos nécessité par les soins palliatifs lui prodigués à la clinique Sainte Elisabeth d’Uccle qui rapplique à Kinshasa par l’aéroport international de Ndjili mercredi 27 juillet 2016. Il va littéralement épuiser ses dernières forces dans la lutte politique au corps-à-corps (meetings populaires, mobilisations des actions de rue…) pour faire vaciller Joseph Kabila et sa majorité au pouvoir avant tout dialogue politique. Le vieil opposant mettra 5 heures pour fendre la marée humaine venue l’accueillir et gagner sa résidence de la commune de Limete, à une vingtaine de km de l’aéroport. 4 jours plus tard, le 31 juillet 2016, le président du conseil des sages du Rassop présidera un long meeting populaire sur boulevard Triomphal dans la commune de Kasavubu. La prestation publique révèle un homme plus entamé par la maladie et l’âge que jamais : expression hésitante et hachée, à la limite de l’incohérence, répétition automatique de phrases et d’expressions ressassées depuis une vingtaine d’années. Pas besoin d’être médecin pour comprendre que cet homme-là est, à l’évidence, manipulé comme une marionnette : le discours du boulevard Triomphal fut celui d’un acteur de théâtre qui a oublié son texte et se le fait souffler. Sur tout ce qui fait appel à la mémoire, Etienne Tshisekedi a failli, se trompant de dates, d’échéances politiques et d’événements. C’est le même Tshisekedi qui prendra part au dialogue politique facilité par les évêques de la Conférence Episcopale Nationale (CENCO) au Centre interdiocésain de Kinshasa, ponctués par la signature de l’accord dit de la Saint Sylvestre le 31 décembre 2016.
L’UDPS perd les pédales et son chef
In cauda venenum. C’est dans la mise en œuvre des mesures d’application de l’accord signé fin décembre 2016 que se révèle le plan machiavélique de Moïse Katumbi. Il consiste à la fois à écorner le pouvoir de Joseph Kabila avant la tenue des nouvelles élections et à partager quasiment le pouvoir d’Etat avec le Président de la République en s’emparant de l’exécutif (la primature, en fait) et du comité national de suivi (CNSA) chargé de surveiller la mise en œuvre de l’accord.
Epuisé par cet activisme politique aussi démesuré qu’imprudent des derniers mois, Etienne Tshisekedi doit être ramené en avion médicalisé à Bruxelles avant d’y rendre l’âme début février 2017 « seul et abandonné par ses proches » selon son vieil ami Soriano Katebe Katoto, demi-frère de Moïse Katumbi. Sans états d’âme, ce dernier poursuit la manœuvre et le fait remplacer par le G7 Pierre Lumbi, l’ancien conseiller spécial de Joseph Kabila en matière de sécurité désigné cavalièrement président du CNSA par Félix Tshisekedi, le complice de Katumbi, au grand dam d’une partie de l’UDPS, du MLC et de l’UNC qui tous lorgnaient sur le poste.
En même temps qu’il assène un coup mortel au parti d’Etienne Tshisekedi que le président du TP Mazembe drible post mortem en pesant de tout le poids de ses prébendes pour faire exiger par les évêques facilitateurs du dialogue de décembre 2016 la désignation sans autre forme de procédure de son fils, Félix Tshisekedi, 1er ministre du gouvernement d’union prévu dans l’accord de la St Sylvestre. Ce sera le coup de grâce pour l’UDPS qui a, depuis cet épisode, volé en éclats. Inexpérimenté, sommairement instruit et plutôt maladroit, Félix Tshilombo Tshisekedi ne présente que l’avantage d’être manipulable à souhait par Moïse Katumbi. Le richissime ex gouverneur lui avait entretemps collé aux basques un secrétaire-général, Jean-Marc Kabund, dont le principal trait de compétence réside dans sa proximité avec… le liquidateur de l’UDPS. Le duo Tshilombo-Kabund se lance aussitôt dans une véritable chasse aux sorcières contre le dernier carré des fidèles du leader décédé le 2 février 2017, qui présentent l’inconvénient de faire obstruction à l’accession à la primature du gouvernement d’union de l’héritier Tshilombo Tshisekedi.
Le 4 mars 2017, Bruno Tshibala Zenzhe, proche collaborateur et porte-parole d’Etienne Tshisekedi jusqu’à son décès est « auto-exclu de l’UDPS ». Un mois plus tard, le 5 avril 2017, Jean-Marc Kabund le nouveau secrétaire général du parti signe un communiqué constatant l’auto-exclusion de l’ingénieur Valentin Mubake, le conseiller politique de tous les temps qu’Etienne Tshisekedi avait personnellement chargé de représenter le parti au dialogue du centre catholique interdiocésain. L’UDPS-Tshisekedi avait rendu l’âme. Et avec elle, ce qui restait de l’opposition politique radicale en RD Congo.
En 4 ans, Moïse Katumbi Chapwe aura réussi l’exploit d’atomiser totalement l’opposition politique en lui faisant perdre aussi bien son existence concrète que toute crédibilité auprès de l’opinion publique.
J.N.