48 heures après le lancement de la campagne électorale 2018 par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), l’église catholique romaine de Kinshasa la capitale a livré une prestation de haute facture au Stade des Martyrs de la Pentecôte, à l’occasion de la célébration eucharistique inaugurale de son nouvel archevêque, Mgr Fridolin Ambongo Besungu. Occasion pour près de 70.000 fidèles des paroisses catholiques de la capitale ont envahi les gradins de l’antre du football à la fois pour saluer et communier avec le nouveau patron de l’église. Tout a été mis en œuvre pour la réussite de la manifestation : dans une lettre-circulaire plusieurs semaines auparavant, la chancellerie de l’archidiocèse de Kinshasa avait prévenu les fidèles du fait qu’« il n’y aura pas de célébrations eucharistiques dans nos paroisses le dimanche 25 novembre 2018 pour que nous nous retrouvions au stade des Martyrs … ».
Homélie conciliante, mais …
« Oui, je serais parmi vous le Pasteur de tous et de toutes sans distinction ni exclusion. J’ouvrirai mes mains pour servir tous et toutes. Oui, libre à l’égard de tous, je serai au service de tous et de toutes. A la suite du Christ Bon Pasteur, je me mettrai à l’écoute des appels du Peuple de Dieu qui sont aussi les appels de Dieu lui-même, afin d’accompagner, de réconforter, de soulager et d’affermir sa foi », a déclaré le nouvel archevêque kinois au cours de l’homélie prononcée à l’occasion de sa messe inaugurale. Des paroles voulues rassurantes qui furent suivies d’autres, toutes aussi prometteuses : « Serviteur de l’unité du peuple de Dieu, je travaillerai sans relâche à proclamer l’Evangile de la joie de notre Seigneur dans la proximité avec ceux qui sont dans la pauvreté et l’exclusion, ceux qui aspirent à la justice et à la libération, ceux qui militent pour la sauvegarde de la dignité humaine et la promotion de la paix et ceux qui s’investissent pour la protection des familles, sanctuaire de la vie et la promotion de l’éducation de qualité, gage pour un meilleur avenir », a encore assuré Fridolin Ambongo. Mais il fut impossible pour le nouvel archevêque d’ignorer le contexte politique marqué par la campagne pour les élections combinées du 23 décembre prochain, même si l’église catholique romaine, son église, n’a pas toujours brillé par la neutralité qu’il sied à « une église au milieu du village », comme on dit : « Je lance un vibrant appel à la conscience patriotique de notre peuple à ne pas céder à la provocation et à la violence surtout verbale pendant cette période de campagne électorale. Une différence d’opinion politique ou de conviction religieuse ne fait de l’autre un ennemi à dénigrer ou à abattre. Nous devons apprendre à nous respecter et à respecter l’autre dans sa différence légitime », a exhorté le nouveau pasteur kinois, sans convaincre tout le monde, en réalité.
Fidèles … politiquement divisés
Dimanche au stade des Martyrs, il n’y eût pas que les fidèles catholiques à la messe d’inauguration de l’épiscopat de Mgr Ambongo. Outre les représentants des confessions religieuses, de nombreux officiels ont rehaussé de leur présence la célébration eucharistique co-officiée avec son prédécesseur au trône, le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya. Ainsi que des acteurs politiques parmi les plus en vue par ces temps de campagne électorale. Catholique pratiquant, le candidat du Front Commun pour le Congo, Emmanuel Ramazani Shadary, a effectué le déplacement du stade des Martyrs, entouré par de nombreux cadres de la méga plateforme kabiliste. Egalement présents, le candidat de la plateforme katumbiste Lamuka, Martin Fayulu Madidi, qu’entouraient Adolphe Muzito et Freddy Matungulu, deux des membres de son équipée tribale vers le top job en RD Congo.
Unité de l’église : la difficulté de la tâche
La topographie des lieux et la psychologie des foules fut révélatrice des difficultés de l’ouvrage qui attend le nouvel archevêque. Et notamment, que l’unité des fidèles et de l’église, dont rêve Mgr Ambongo, ne sera pas facile à rétablir. Parce trop malmenée ces dernières années par les princes de l’église eux-mêmes. Mgr Fridolin Ambongo y compris. Au stade des Martyrs, les fidèles ont ovationné à tour de rôle les candidats à la présidentielle Martin Fayulu, porté par une partie des princes de l’église dont le cardinal archevêque de Kinshasa ; et Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat de la famille politique mal aimée par l’église catholique de la capitale. La fracture fut nette et sans bavure, entre les fidèles eux-mêmes, partagés entre deux postulants au top job en RD Congo. Mais aussi entre ces fidèles et ces princes de l’église dont tous ne partagent plus les orientations politiques.
Sans doute conscient de la difficulté de sa tâche, Fridolin Ambongo a exhorté les fidèles catholiques et ses compatriotes en général à la tolérance politique. « Je lance un vibrant appel à la conscience patriotique de notre peuple à ne pas céder à la provocation et à la violence surtout verbale pendant cette période de campagne électorale. Une différence d’opinion politique ou de conviction religieuse ne fait de l’autre un ennemi à dénigrer ou à abattre. Nous devons apprendre à nous respecter et à respecter l’autre dans sa différence légitime », a déclaré l’ancien archevêque de Mbandaka Bikoro. Sans réussir à faire oublier l’incroyable intolérance dont l’église catholique elle-même a fait preuve depuis la mi-2018, en sous-traitant des manifestations politiques partisanes à Kinshasa et même pire, en appelant au jihad contre la famille politique de Joseph Kabila au pouvoir en RD Congo. La messe inaugurale de l’épiscopat de Mgr Fridolin Ambongo ne s’est pas totalement départie de ces partis-pris qui ont le don de placer l’église catholique romaine rd congolaise aux premiers rangs de l’opposition politique, ou en une sorte de contrepoids du pouvoir politique établi. Exhortant les politiques à prendre exemple sur Jésus-Christ, Fridolin Ambongo a soutenu dimanche au Stade des Martyrs que « le geste de Jésus inaugure ainsi une nouvelle sagesse, une nouvelle éthique, une nouvelle culture : la culture du « faire comme Jésus ». “Vous êtes mes amis, dit-il, si vous faites ce que je vous commande. En cela le Christ Roi de l’Univers nous livre un message prophétique : le pouvoir est un service, l’humble service des autres pour leur accomplissement et pour la réalisation de toute la société. Si tous, moi-même en premier, nous accueillons ce message de vérité et nous le mettons en pratique, nous allons réellement transformer notre société et le Congo sera plus beau qu’avant ». Une déclaration qui n’enlève rien à la confusion des genres et des tâches qui doit régir les rapports en société en RD Congo. Jésus commande l’église, son église. Pas le pays dont son église n’est qu’une partie et une des composantes. Et en RD Congo, en principe, l’Etat est laïc. Aussi longtemps que les princes de l’église catholique romaine rd congolaise se croiront investis de la tâche de tout régenter indistinctement au nom du Christ, ils le disputeront avec ceux que les lois et textes légaux accordent les mêmes droits. « A César ce qui est à César … «
J.N.