Des refoulements de ressortissants RD Congolais d’une telle ampleur n’avaient jamais été vécus auparavant. En l’espace d’un mois, c’est par centaines de milliers que des Congolais partis à la chasse au trésor en Angola voisin sont refoulés par grappes entières. 330.000 ont été rapatriés sans autre forme de procès depuis début octobre 2018, selon des chiffres onusiens. 500.000, selon l’alerte aussi hypocrite que tardive lancée par la très politisée Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) dont certains membres sont accusés d’avoir incité la Zambie, un autre des pays voisins de la RD Congo, à « sanctionner » d’une façon ou d’une autre son immense voisin dans le cadre des interférences extérieures destinées à faire plier Kinshasa aux volontés politiques occidentales. Dans un communiqué, la CENCO prétend cyniquement « craindre que l’ampleur des expulsions à quelques semaines des scrutins électoraux de décembre prochain ne perturbe le processus ». Le communiqué lu par l’inénarrable Abbé Donatien Nshole ajoute que « ces expulsions menacent également la paix entre la RDC et l’Angola qui partagent plus de 2000 km de frontière commune avec des nombreux groupes ethniques situés à cheval sur les deux pays ».
Pressions commandées par Bruxelles
Mais ce sont bel et bien des pressions que Luanda exerce, manifestement sur commande de pays occidentaux, sur son voisin. Le moins que l’on puisse dire est que les relations entre les deux capitales ne sont plus au beau fixe depuis notamment que le nouvel homme fort de Luanda, Joao Lourenço, s’est laissé mettre dans la tête l’idée qu’il avait une sorte de droit de regard sur la politique interne de son immense voisin, sous prétexte qu’elle influerait négativement sur la sécurité de son propre pays. Une « trouvaille » qui remonte à la visite du chef d’Etat angolais dans les pays de l’Union Européenne, notamment en France et en Belgique. Reçu à l’Elysée au cours d’une visite officielle en France fin mai 2018, Joao Lourenço et son hôte, Emmanuel Macron, s’étaient livrés, entre autres, à des projections anticipatrices négatives sur le processus électoral en cours en RD Congo, en faisant état d’ «une initiative régionale portée par l’Union africaine avec le soutien de l’Angola » pour y pallier efficacement. Que pareille initiative ait été prise en l’absence des autorités congolaises, premières concernées avait fortement déplu au plus haut niveau à Kinshasa qui le fit savoir sans mettre des gants.
C’était en fait le point de départ de revendications à peines voilés d’une politique de voisinage ‘sui generis’ fondée sur un droit de regard (et d’influence) accordé par des européens à l’Angola sur l’évolution de la situation politique interne d’un pays membre de l’UA, de la CIRGL et de la SADC, trois organisations régionales et sous-régionales auxquelles Kinshasa et Luanda appartenaient pourtant.
Moins d’une semaine plus tard, le 4 juin 2018, c’est en compagnie du Rwandais Paul Kagame que Joao Lourenço débarquait à Bruxelles où, entre deux discussions sur la crise économique dans son pays, il remettait pour ainsi dire le couvert en discutant également de la question rd congolaise hors de toute présence d’un quelconque représentant de ce pays. Au cours d’entretiens avec la presse, le Chef de l’Etat Angolais évoquait la situation chez son voisin rd congolais en soulignant sans ciller « l’importance de respecter les engagements pris par les Congolais eux-mêmes », au nom desquels il se permettait de stigmatiser, comme s’il s’agissait d’une affaire intérieure à son pays « la nécessité d’organiser les élections d’ici la fin de l’année ». Malgré les protestations du gouvernement rd congolais qui, par la voix de son porte-parole, le ministre de la Communication et Médias Lambert Mende Omalanga, avait lancé une sévère mise en garde à Paris, Kigali et Luanda en déclarant devant la presse que « sous les moyens seront mis en œuvre pour faire respecter la souveraineté de la RD Congo ».
Deux rencontres internationales au sommet à Luanda
Depuis l’escalade de la fin du premier trimestre 2018 entre Kinshasa et Luanda, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts des relations entre les deux pays sans infléchir notablement la politique étrangère angolaise vis-à-vis de son voisin rd congolais. Alors qu’il occupait la présidence tournante de l’organe de défense de la SADC, Luanda a organisé au moins deux rencontres internationales au sommet consacrées entre autres à la situation en RD Congo. Sans parvenir à retourner le sacro-saint principe de la souveraineté des Etats membres en faveur des intérêts étrangers, fussent-ils « sécuritaires ». Profitant d’une visite officielle à Luanda, le 2 août 2018, c’est un Joseph Kabila flanqué d’une impressionnante suite de plénipotentiaires des secteurs d’activités intéressant les deux pays (Hydrocarbures, énergie, transports, communications et voies de communication…) qui avait indiqué sans ambages à son hôte la voie à suivre, pour un avenir radieux dans les relations entre les peuples des deux pays.
Deux semaines plus tard, à la mi-août 2018, Luanda abritait une tripartite réunissant les Chefs d’Etat dirigeants de la SADC, de la CIRGL et de la CEEAC. Denis Sassou Ngouesso, Ali Bongo Ondimba et Paul Kagame ne purent que se féliciter de l’évolution de la situation en RD Congo en l’absence de Joseph Kabila qui avait boudé la rencontre, s’y faisant représenter par son chef de la diplomatie Léonard She Okitundu. Parce que dans l’entre-temps, le raïs rd congolais avait honoré ses « engagements » vis-à-vis de nul autre que son propre peuple de respecter la constitution de son pays en désignant son successeur à la présidentielle prévue en décembre 2018. « C’est une démonstration claire de sa détermination de placer les intérêts du peuple de la RDC au-dessus de toute autre considération », concluait le communiqué final sanctionnant les travaux des trois chefs d’Etats.
Si, comme d’aucuns le pensent, il avait reçu mission de ses nouveaux amis occidentaux d’infléchir la détermination de Kinshasa à organiser des élections sans s’encombrer d’atermoiements inconstitutionnels et illégaux suggérés par les néolibéraux au pouvoir en Belgique soucieux de faire le lit de leurs oiseaux de prédilection à la faveur des élections de décembre 2018 pour mettre le grappin sur les fabuleuses potentialités économiques du pays de Lumumba, Joao Lourenço avait lamentablement échoué. Mais le nouvel homme fort de Luanda semble n’avoir pas pour autant renoncé à jouer le rôle de nouvel interface de l’impérialisme européen occidental dans la région de l’Afrique Centrale que lui prêtent désormais nombre d’observateurs avertis.
Complot signé Reynders, Muzito, Bemba, Katumbi
Car la décision de frapper durement Kinshasa à travers l’expulsion brutale et massive de milliers de ses ressortissants vivant en Angola à quelques semaines des élections dans un contexte très fragile poursuit de toute évidence l’objectif de compromettre la tenue desdites élections prévues en décembre prochain. Des sources crédibles assurent à nos rédactions que l’opération aurait été mise sur pied début septembre 2018 lors des rencontres secrètes entre Didier Reynders, le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères Belge, Moïse Katumbi, Adolphe Muzito et Jean-Pierre Bemba, les trois invalidés pour inéligibilité à l’élection présidentielle de 2018 et qui sont réputés porter les ambitions néocolonialistes des nostalgiques à la manœuvre depuis la capitale belge. Les 10 et 11 septembre, le ministre des affaires étrangères belge était lui-même sorti du bois en se lançant dans une nouvelle opération destinée à torpiller un processus électoral qui, faute de participation de ses poulains, ne présentait plus d’intérêt pour lui-même et ses amis. « Le soutien du voisin angolais semble ne pas lui faire défaut dans cette nouvelle croisade visant, non plus les élections, mais l’instauration d’une nouvelle période de transition avant l’organisation de tout scrutin électoral pour permettre à ses pupilles dans la classe politique congolaise de faire modifier les textes des lois qui les tiennent à l’écart du processus », selon une source proche du dossier. Acculé par la presse après ses rencontres avec les autorités belges, Adolphe Muzito en avait laissé transparaître un pan en déclarant que « ce qui compte, c’est que nous puissions adopter un programme commun, que votre ministre des Affaires étrangères évoquera ensuite lors de son prochain voyage en Angola et à Brazzaville ». On sait aujourd’hui, à la suite des révélations de nos confrères de Congovirtuel, que ce programme commun n’avait rien d’un projet de gouvernance commune. Il s’agissait en réalité d’un plan de boycott en règle des élections, à la faveur de l’instauration d’un chaos généralisé. Les manifestations publiques contre la machine à voter, juxtaposées aux expulsions massives et sauvages des Congolais d’Angola font partie de ce plan machiavélique dont on est surpris et déçu à Kinshasa de voir un pays membre de la SADC soutenir.
Le communiqué final publié à l’issue de séjour angolais du chef de la diplomatie du Royaume de Belgique ne s’en cache pas, du reste : « cette visite vient concrétiser la volonté de la Belgique et de l’Angola de renforcer leur partenariat stratégique dans tous les domaines et d’entretenir une concertation étroite sur les questions régionales », écrivent les ministres Belges et Angolais des Affaires Etrangères. Il en ressort que, entre autres points de ladite concertation, Bruxelles avait été préalablement informée de la décision de “virer du Congolais de Luanda” pour mettre la pression sur l’indocile voisin. Un peu plus loin, le communiqué conjoint du 11 septembre 2018 ne se gêne même pas d’affirmer que « en ce qui concerne la situation en RDC en particulier, ils ont réitéré l’importance d’un processus inclusif qui puisse aboutir à des élections crédibles, libres et transparentes le 23 décembre 2018, conformément à l’Accord de la Saint Sylvestre et au calendrier électoral approuvé à cette fin, facteurs indispensables pour arriver à une stabilisation durable en RDC ». Derrière cette langue de bois réservée jusqu’à il y a peu aux seuls initiés se dissimule le pot-aux-roses : au cours de cette véritable croisade belge sur le continent qui avait vu Reynders se rendre également au Congo-Brazzaville et en Afrique du Sud, « il aurait été question de négocier un nouveau délai, à condition de ‘faire monter à bord’ les deux célèbres exclus qui ont leur QG à Bruxelles, à savoir Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi ». C’est notre consœur Colette Braeckman du quotidien belge Le Soir qui le révélait en septembre dernier.
Lourenço : fragiliser le voisin Congolais pour subsister ?
En prenant le risque de compromettre ses relations avec un voisin qui partage quelques 2000 kilomètres de frontière commune avec son pays, le président angolais Joao Lourenço joue gros. Très gros. C’est, semble-t-il à la mesure des problèmes économiques qui étranglent Luanda, et qu’il se serait juré de régler au plus tôt. Les séjours du nouvel homme fort de Luanda en France et en Belgique à la fin du premier semestre 2018 ont été, comme c’est de coutume, assaisonné de rencontres avec « les milieux d’affaires » occidentaux. Et de mirobolantes promesses d’investissements, comme de coutume aussi. Le 11 septembre dernier à Luanda, Reynders aussi a promis monts et merveilles pour soutenir une économie angolaise exsangue. « … Une conférence sur le diamant a été organisée au cours de la visite belge, par l’Ambassade du Royaume de Belgique à Luanda et le « Antwerp World Diamond Centre » (AWDC), en présence également de Son Excellence Diamantino Pedro Azevedo, Ministre des Ressources Minérales et du Pétrole de la République d’Angola », peut-on lire dans le communiqué conjoint publié à Luanda. Qui explique peut-être à lui seul les malheurs de ceux des RD Congolais qui ont émigré en Angola pour faire valoir leurs talents en matière d’exploitation diamantifère, mais aussi la cohorte d’autres ressortissants du même pays qui a gagné l’Eldorado de ce pays voisin du leur. C’est sous le couvert de « l’opération transparence » déclenchée pour combattre l’exploitation illégale du diamant et l’émigration clandestine que les RD Congolais sont boutés sans ménagements hors du territoire angolais.
Boucs émissaires de la crise économique angolaise
Luanda croit ainsi pouvoir sortir de la crise dans laquelle l’ont plongé la chute brutale des cours du pétrole dont les recettes du pays dépendent à 80 %. La dette publique angolaise se chiffre en effet à 70 milliards USD, selon les chiffres du ministère des finances angolais qui remontent à la semaine dernière. 22 de ces 70 milliards ont été contractés par l’Etat pour financer des projets liés à l’énergie, à l’eau, à la construction et au transport. Mais il y a aussi des emprunts réalisés auprès d’institutions financières internationales comme la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement ou encore la China Development Bank. Une ligne de crédit supplémentaire de 2 milliards USD a été contractée auprès de la Chine à l’occasion du récent sommet Chine-Afrique, qui vise la mise en œuvre d’un programme de stabilisation macroéconomique destiné à réduire le déficit budgétaire et le poids de la dette du pays, premier poste des dépenses de l’Etat depuis une dizaine d’années.
Le cauchemar économique du deuxième pays producteur de pétrole du continent africain remonte aux années 2014, marquées par la chute vertigineuse des prix du baril de pétrole. Jusqu’en 2013, Luanda vit sur un nuage avec un taux de croissance économique moyen de 12 %. Le pays atteint alors une production pétrolière de 2,5 millions de barils/jour qui lui rapportent 75 % de rentrées fiscales et plus 90 % des devises étrangères. Naturellement, le taux de croissance grimpe vertigineusement : 20,2 % en 2006 ; 24,4 % en 2007 ; 17 % en 2008 … le baril de pétrole étant passé de 20 à 140 USD de 2002 à 2014. Avant de dégringoler, tout aussi vertigineusement à 34 pauvres USD. Impossible de ne pas ressentir le coup jusqu’aux fins fonds des structures sociales du pays, faute d’avoir profité de la manne pétrolière pour réduire les inégalités sociales.
Malgré les taux de croissance économique extraordinaires, la moitié de la population angolaise vit avec moins de 2 USD/jour, selon les chiffres de la BM ; plus de 70 % des habitants d’une ville comme Luanda, par exemple, croupissait encore dans des bidonvilles jusqu’à il y a quelques années. Fournissant ainsi un terreau fertile aux exutoires de toutes sortes. Y compris la discrimination et la haine de l’étranger perçu dans ces conditions comme un envahisseur qui, à elles seules, peuvent justifier les atteintes aux droits de l’homme qui caractérisent les expulsions des RD Congolais d’Angola.
La vague des expulsions loin de s’arrêter
Vendredi 26 octobre 2018, un communiqué du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Réfugiés (HCR) dénonçait la participation des populations de l’ethnie Tchokwe aux expulsions des ressortissants rd congolais en collaboration avec les forces de sécurité angolaises, mettant en garde contre des risques de violences intercommunautaires. Tandis que le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) attirait l’attention sur le fait que les refoulés revenaient dans une province qui sortait à peine de graves troubles interethniques en 2016 et en 2018. Rien que dans les environs de Kamako où l’affluence des refoulés d’Angola est très élevée, le HCR avait rapporté en 2018 qu’au moins 9 sur 10 villages avaient été réduits en cendres lors d’affrontements Kamuina Nsapu de triste mémoire. Bruxelles, Luanda et les candidats invalidés à la prochaine présidentielle auraient voulu remettre le feu à la baraque à partir des frontières angolaises qu’ils ne s’y seraient pas pris différemment. Depuis samedi dernier, c’est par centaines que des nouveaux refoulés sont arrivés à Kamako par la frontière de Kalonda frontalière de la province angolaise de Lunda Norte.
J.N.