Vendredi 5 octobre 2018 sera sans doute inscrit dans les annales de l’histoire de la RD Congo. C’est le jour choisi par le comité Nobel Norvégien pour attribuer au médecin de Panzi dans la province du Sud-Kivu, le Dr Denis Mukwege, et l’Iranienne Nadia Murad, le prestigieux prix Nobel de paix pour l’année 2018. « Pour leurs efforts visant à mettre fin à l’utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre ». « Denis Mukwege, 63 ans, “a dédié sa vie à défendre des victimes de violences sexuelles en temps de guerre“, Il a “sauvé des milliers de patients victimes de tels assauts“, explique le communiqué de ce comité relevant du parlement Norvégien depuis Oslo.
Le prix Nobel de la paix, ce n’est en principe pas une petite affaire. Sur le continent, depuis sa création en 1901, seules quelques personnalités triées sur le volet l’ont obtenu. Notamment les Sud Africains Nelson Mandela et son « adversaire » du temps de l’apartheid, De Clerq, le premier demeurant sans doute le lauréat le plus célèbre de cette distinction. Mais il y eut aussi avant le père de la démocratie Sud-africaine, Chief Albert John Lutuli (1960) rétribué déjà à l’époque pour son combat contre l’apartheid ; l’Egyptien Anouar El Sadate, pour récompenser la signature avec Menahem Begin des Accords du Camp David qui lui valurent d’être assassiné quelques temps par la suite ; l’évêque anglican Desmond Tutu, également pour ses prises de position contre l’apartheid (1984) ; et le Ghanéen Kofi Annan, au nom de l’ONU en 2001. C’est tout dire : en Afrique subsaharienne, Denis Mukwege et la RD Congo sont les premiers à obtenir le prestigieux prix Nobel de la paix. Et on peut comprendre que de nombreuses voix se soient élevées pour féliciter l’heureux récipiendaire, parmi les autorités gouvernementales et au sein de la majorité politique au pouvoir autant que parmi les acteurs politiques de l’opposition.
Félicitations et congratulations unanimes
Du ministre de la Communication et Médias et Porte-parole du Gouvernement, Lambert Mende Omalanga, aux opposants Jean-Pierre Bemba Gombo et Martin Fayulu Madidi, en passant par Félix Tshilombo Tshisekedi, Moïse Katumbi et Vital Kamehre, tous ont tenu à adresser un mot de félicitation au médecin de l’Hôpital Général de Référence de Panzi. « Nous félicitons Denis Mukwege pour cette reconnaissance par l’Académie Nobel de Norvège du travail remarquable qu’il fait en faveur des femmes qui sont victimes de violences sexuelles dans le Sud-Kivu », a déclaré en substance Lambert Mende. Avant de nuancer « Il est évident que nous n’avons pas été toujours d’accord avec la tendance qu’il a prise parfois de politiser ce travail humanitaire important qui est reconnu aujourd’hui, mais nous saluons le fait qu’un compatriote soit reconnu dans ces efforts qui restent louables pour des victimes congolaises de violences inacceptables ». Tandis que l’ancien candidat à la présidentielle 2018, Moïse Katumbi Chapwe, postait sur son compte Twitter : « Félicitations compatriotes@Denis Mukwege pour ce prix Nobel. Quelle reconnaissance pour son travail pour les femmes et la justice. Il met la RDC à l’honneur sur le plan international. Il est temps qu’un nouveau leadership politique mette fin à la tragédie des femmes violées ». Une façon pour l’Italo-Zambien d’embrayer dans la politisation de l’action du médecin directeur de l’hôpital d’Etat de Panzi dénoncé par le gouvernement…
Aussitôt décerné, aussitôt polémiqué donc, le Nobel de Mukwege. Même si cela ne compromet pas tout bénéfice de l’attribution du prestigieux prix pour son pays, désormais placé sous les feux des projecteurs à travers le monde. De la Norvège où est attribué ce prix au terme de sérieux tamisage compte tenu de l’étendue des listes des candidats et nominés (331 candidats pour la seule année 2018), à la différence des Nobels scientifiques, la communauté rd congolaise était très flattée, selon des informations parvenues au Maximum. « A côté d’un immense portrait du Dr Mukwege, les visiteurs de l’Académie Nobel découvrent une grande partie de l’histoire de notre pays », assurait dimanche 7 octobre une source rd congolaise d’origine à Oslo.
Aussitôt décerné, aussitôt polémiqué
Vendredi 5 octobre 2018, le comité Nobel Norvégien a expliqué que le Dr Denis Mukwege a régulièrement condamné l’impunité des viols collectifs et « critiqué le gouvernement congolais et d’autres pays pour ne pas en faire assez pour faire cesser l’usage des violences sexuelles contre les femmes dans leur stratégie et comme arme de guerre ». Tandis que Nadia Murad, 25 ans, est « le témoin qui raconte les abus perpétrés contre elle et d’autres ». Elle a fait preuve d’un « courage rare en racontant ses propres souffrances et en s’exprimant au nom des autres victimes ». C’est l’une des 3000 femmes Yésidies qui ont été victimes de viol et d’autres abus de la part de l’armée de Daech. « Ces abus étaient systématiques et faisaient partie d’une stratégie militaire », ont estimé les membres du comité Nobel.
Berit Reiss-Andersen, la présidente du comité Nobel, a encore expliqué le 5 octobre qu’en 2018, le prix visait à « faire prendre conscience que les femmes représentent la moitié de la population et sont utilisées comme des armes de guerre. Elles ont besoin de protection et les auteurs de ces crimes doivent être poursuivis ». Il s’agit, a-t-elle soutenu, d’un « prérequis fondamental pour la paix ». Le prix Nobel de la paix est donc une distinction d’essence politique, à la différence des Nobels de Chimie, d’Economie ou encore de Littérature, déjà attribués cette année. Vendredi dernier, les Nations-Unies ont confirmé ce caractère tout à fait politique du prix attribué à Denis Mukwege et Nadia Murad en saluant une annonce « fantastique » qui, selon elles, « aidera à faire avancer le combat contre les violences sexuelles comme arme de guerre dans les conflits », selon les propos d’Alessandra Vellucci, porte-parole du bureau de l’organisation mondiale à Genève.
Critères d’attribution discutables
Ceci explique cela : les critères d’attribution du Nobel de la paix ne peuvent donc prétendre réunir l’unanimité. Des critiques sont perceptibles dans l’opinion mondiale, particulièrement en Afrique et en République Démocratique du Congo, qui fustigent l’accent mis sur un épiphénomène plutôt que sur les causes profondes des violences sexuelles réprouvées. Certes, les violences sexuelles qui sont indéniables sous les tropiques congolaises sont humainement inacceptables. Mais le fléau serait plus efficacement combattu s’il visait le mal à ses racines à savoir « ces guerres par procuration qui abiment plus que les sexes de nos mères et nos sœurs », selon ce professeur de droit international de l’Université de Kinshasa, interrogé par Le Maximum.
Dans le cas précis de la RD Congo, il n’aurait existé ni de « médecin réparateur de femmes », selon le titre évocateur d’un film dédié à l’œuvre de Denis Mukwege au Sud-Kivu par le cinéaste belge Thierry Michel, ni de fistules méchamment saccagées à réparer s’il n’y avait eues, depuis 1994, le tristement célèbre génocide Tutsi au Rwanda voisin et la cohorte de fléaux qu’il a drainé au Congo voisin. « Ce médecin Congolais, qui fait honneur à sa profession, doit, d’une certaine manière, sa récompense justifiée à sa lutte contre les conséquences au Kivu du génocide des Tutsi et de l’idéologie qui l’a sous-tendu », assure le bloggeur Français Emmanuel Cattier. «Ce que les tueurs rwandais du Hutu power ont fait subir aux femmes Tutsi, ils l’ont exporté dans leur fuite auprès d’autres tueurs du Zaïre-Congo, transformant le Kivu en un terrain de haute pratique du viol de guerre », explique-t-il encore, révélant que «le combat héroïque du docteur Mukwege (…) est un combat concret contre les conséquences d’une idéologie que la France, très présente au Rwanda lors de sa genèse, laxiste à cause de ses intérêts mal compris, a laissé prospérer au Rwanda … »
Le génocide tutsi est passé par là
Et, on s’arrêterait au beau milieu de ce chemin qui remonte aux sources de l’irruption salvatrice d’un « médecin réparateur » de fistules ravagées par des violeurs si on ne rappelait pas que la poursuite de la politique des viols de guerre a été par la suite l’œuvre de groupes armés notoirement soutenus et financés par des entreprises occidentales (derrière lesquelles se dissimulent des Etats Occidentaux, sans nul doute) gourmandes des minerais dits de sang dont les Kivu sont riches. Saluer et récompenser l’œuvre du Dr Denis Mukwege sans, en même temps, dénoncer la guerre et ses commanditaires est de nature à réduire le Nobel de la paix à une savante œuvre d’occultation et de dissimulation de la vérité.
Il y a donc dans cette attribution du prix Nobel de la paix 2018, comme une véritable instrumentalisation du médecin RD Congolais, qui est ainsi brandi par les vrais responsables, ou bénéficiaires, des atrocités commises au Congo-Kinshasa en paravent d’hôpital entre les victimes des viols qui méritent plus que la banale charité de réparations gynécologiques de bienfaisance usuelles, et les auteurs des malheurs dans lesquels s’empêtrent les habitants du pays de Lumumba que sont les Etats et les entreprises qui ont délibérément utilisé les auteurs de ces violences indicibles pour atteindre leurs objectifs politiques et économiques. Le médecin de Panzi, manifestement plus porté sur les colifichets de la gloriole occidentale, ne semble guère s’être préoccupé le moins du monde de cette instrumentalisation dont il fait l’objet. Pire : le docteur Denis Mukwege, excellent chirurgien par ailleurs, s’est volontiers prêté à ce rôle, non sans quelque zèle, ce qui justifie la persistance des virulentes controverses dont il fait l’objet.
Controverses autour du Nobel rd congolais
D’abord, parce que de médecins réparateurs de fistules de la guerre dans un pays en permanente insécurité entretenue par des groupes armées de tous acabits depuis les années ’98, il y en a beaucoup en RD Congo, et particulièrement dans les territoires miniers de l’Est du pays. Si l’Hôpital Général de Référence de Panzi au Sud-Kivu prétend avoir soigné quelque 2.700 femmes violées depuis 2003, c’est de près de trois fois plus de femmes, soit 7.000 victimes qui ont bénéficié de l’accueil et des soins de nature similaire que l’Hôpital Heal Africa de Lusi à Goma pendant la même période, selon Gabriel Kolongo, un député de l’opposition politique rd congolaise cité notre confrère Magloire Paluku de la radio Kivu One.
Ensuite, parce que les violences sexuelles ne sont ni la seule, ni la principale cause des fistules abîmées des filles et des femmes congolaises. « Les accouchements précoces dus aux mariages des mineures très fréquents dans un certain nombre de pratiques coutumières congolaises ou encore des accouchements mal effectués par un personnel insuffisamment outillé figurent en première place parmi les causes des dégâts que subissent les organes sexuels féminins dans ce pays », a confié à nos rédactions un spécialiste ès gynécologie. Dans les milieux médicaux et académiques en RD Congo, nombre de praticiens reprochent vertement à leur collègue Denis Mukwege d’avoir entretenu de l’amalgame sur la question dans le but trivial d’attirer l’attention des donateurs occidentaux. Ces dénonciations font rage, sur les réseaux sociaux particulièrement, depuis vendredi dernier. Il y a de la révolte dans l’air : « Un vrai patriote ne complote pas contre son propre pays. Un vrai patriote ne se lie pas avec des milieux étrangers pour salir les autorités et les forces de sécurité qui sont en place dans son pays. Un vrai patriote dit la vérité pour obtenir une estime incontestable devant tout le monde », écrit cet internaute. Un autre, qui assure vivre à Panzi, accuse le Dr Mukwege d’avoir grossi volontairement ses statistiques de femmes violées en faisant signer des « déclarations de viols » à la volée à toutes les patientes qui se rendaient pour des soins à Panzi « même pour une vague indigestion », en échange de soins gratuits destinés à soulager les vrais maux dont elles se plaignaient. Une véritable forfaiture…
Engagement politique inévitablement partisan
Ajouté à ces faits l’engagement politique résolument anti gouvernemental du médecin-directeur de l’hôpital de Panzi, la controverse autour du Nobel de Mukwege prend davantage de l’ampleur. Tout a commencé avec par cet attentat aux contours jusqu’aujourd’hui flous auquel aurait échappé le gynécologue un certain 26 octobre 2012. « Cinq personnes armées et en civil se sont introduites chez lui. Quand elles l’ont braqué, une personne a surgi et a crié. Les hommes armés se sont tournés vers elle et l’ont abattue », avait expliqué son chargé de la communication, Ephrem Bisimwa, à la presse… occidentale. Chanceux, le médecin aurait eu la vie sauve en fuyant à toutes jambes. De même que ses « agresseurs » qui, au lieu de le poursuivre, se seraient emparés de son véhicule pour disparaître à leur tour… Ce fut le tollé général dans l’opinion internationale, très émue en découvrant ainsi dans quelles conditions « héroïques » travaillait le « réparateur des femmes » de Panzi. De la lointaine Belgique, Didier Reynders, l’inénarrable ministre des Affaires étrangères, monta au créneau pour condamner et appeler les autorités de la RD Congo « à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer la sécurité du Docteur Mukwege, à rapidement présenter les auteurs de cette attaque à la justice, et à ne pas fermer les yeux face à l’indicible souffrance de la population ». L’accusation était à peine voilée. Même si cela n’avait pas été dit ouvertement, ce sont les forces de défense et de sécurité officielles congolaises qui étaient soupçonnées de cette agression. « Denis Mukwege s’était gardé de démentir ou de disculper les FARDC dans cette affaire d’attentat contre sa personne, car ces soupçons totalement infondées l’arrangeaient », à en croire un de ses confrères de Bukavu, écœuré. Après un bref exil en Belgique, le médecin regagnera du reste Panzi sans aucune précaution particulière : « ma place est ici, parmi ces femmes qui souffrent », déclara-t-il avec emphase à la presse… occidentale. Effet attendu : l’homme apparaissait aux yeux d’une certaine opinion européenne comme le parfait héros, tout entier dévoué à la cause des femmes, au mépris de sa propre sécurité personnelle. Et l’armée nationale congolaise qui guerroyait pourtant dans la région contre les groupes armés auteurs de violences sexuelles s’en sortait avec l’image d’une bande de soudards. Sans qu’aucune bonne âme ne se demande par quelle alchimie de tels malfrats sans foi ni lois étaient incapables d’abattre un homme qui passe librement ses jours et ses nuits à Panzi, et circule tout aussi librement entre l’Europe et son Sud-Kivu natal …
Cinq ans plus tard, force est de constater que la situation sécuritaire s’est améliorée en RD Congo, avec une diminution très significative des cas de violences sexuelles. Pour ne pas avoir à fermer carrément boutique, le médecin de Panzi s’est lancé dans un fundraising destiné à les étendre à l’ensemble du pays. En même temps qu’il s’offrait des ambitions politiques : après les fistules, Denis Mukwege, aiguillonné par les néo-libéraux au pouvoir à Bruxelles qui ont fait de Joseph Kabila leur bête noire, ambitionnait désormais de réparer … le pays lui-même. Le 3 septembre 2017 au cours d’une mémorable conférence de presse devant la diaspora rd congolaise à Paris, Denis Mukwege appelait le bon peuple congolais à l’unité pour « combattre et restaurer l’ordre constitutionnel. Je suis prêt à diriger la transition citoyenne qui va restaurer le retour à l’ordre constitutionnel si les élections ne sont pas organisées selon le prescrit de l’Accord de la Saint Sylvestre », avait-il déclaré après avoir adhéré à l’une des nombreuses organisations de lutte contre le pouvoir en place, quelques années plus tôt.
De fil en aiguille, certains, à Bruxelles et en RD Congo, sont persuadés que le prix Nobel de Mukwege, c’est la copie parfaite du Nobel attribuée à l’ancienne opposante Birmane devenue par la suite 1ère ministre dans son pays, Aung San Suu Kyi. « Ce n’était pas un Nobel de la paix, c’était un paravent des impérialistes contre le pouvoir Birman », estime encore ce professeur de droit international à l’Université de Kinshasa. Reste à savoir si Mukwege aura la même base que la célèbre dame birmane qui est, depuis son sacre, en délicatesse avec ses amis occidentaux pour n’avoir pas pris fait et cause avec suffisamment de virulence contre le régime en place en Birmanie.
J.N.