La 6ème épidémie de fièvre hémorragique à virus Ebola déclarée début août 2018 à Beni dans la province du Nord-Kivu continue de faire des victimes. Selon le rapport de l’équipe de riposte contre l’épidémie rendue publique dimanche 7 octobre 2018, 78 malades atteints de la fièvre sont décédées (contre 33 morts lors de la précédente épidémie dans la province de la Tshuapa), alors que 50 guérisons sont enregistrées dans cette région comprenant les villes de Beni-Butembo et des agglomérations de la province voisine de l’Ituri. Le travail de l’équipe de riposte est rendu difficile, dans cette région plus que partout ailleurs où l’hémorragie a été déclarée en RD Congo, par l’extrême mobilité des populations, l’insécurité aggravée par l’activisme des rebelles Ougandais de l’ADF et des milices locales, essentiellement mai-mai. Mais aussi et surtout par les acteurs et les leaders politiques locaux soucieux de se constituer un électorat en attribuant les maux qui assaillent la région au pouvoir central.
Politisé, Ebola est gouvernemental à Beni
Dans la région de Beni-Butembo, les rebelles ADF dont l’activisme criminel s’est dramatiquement accru ces dernières semaines, autant que la fièvre hémorragique à virus Ebola sont le fait du gouvernement central qui mettrait ainsi en œuvre un plan d’extermination des populations. Pour la première fois en RD Congo, les populations ont été persuadées que le vaccin contre Ebola serait en réalité poison inventé aux fins d’extermination, et que la maladie n’existait pas. Un acteur politique en vue à Beni-Butembo, le député national UNC (l’Union pour la Nation Congolaise de Vital Kamerhe), Crispin Mbindule, s’est particulièrement illustré depuis quelques semaines par ces « campagnes-antidotes » contre le vaccin anti-Ebola. Au point de contraindre le clergé catholique local à dénoncer cette campagne d’intoxication extrêmement dangereuse pour les populations civiles.
Les conséquences immédiates de ces campagnes politico-sanitaires contre la riposte à Ebola ne se sont pas faites attendre. De la localité de Mandina à quelques encablures de la ville de Beni (plus ou moins 500 mille habitants), la fièvre a allègrement gagné la ville voisine de Butembo à une cinquantaine de km de là, forte d’à peu près 1 million d’âmes. Non seulement des malades se sont opposés à l’administration du vaccin, mais certains parmi eux, encouragés personnellement par Crispin Mbindule, se sont dérobés aux équipes de la riposte et ont fini par développer la maladie. Le rapport de l’équipe de riposte de dimanche 7 octobre 2018 fait état de 2 nouveaux décès, à Beni et à Tchomia en Ituri. Mais également 11 cas suspects en cours d’investigation, et deux cas confirmés à Beni (5.072 vaccinés) et à … Butembo où seulement 1.100 personnes ont consenti à recevoir le vaccin diabolisé.
Equipe de riposte agressée, dépouille contagieuse récupérée
Dimanche dernier à Tamende Ngongolio (Beni), une certaine Francine et son bébé ont succombé à la fièvre hémorragique à virus Ebola. Ces nouvelles victimes avaient auparavant refusé de se rendre aux centres de traitement de l’hémorragie, selon des sources locales. Et l’inhumation des corps par les équipes de la riposte s’est heurtée à la résistance de la population, persuadée que le cercueil en cours d’acheminement vers le cimetière était vide, selon une rumeur qui s’est répandue jusque dans les réseaux sociaux, c’est-à-dire, parmi des bénitiens alphabétisés (lettrés). L’incident autour de cet enterrement a été confirmée nos confrères de la Radio-Télévision Muungano de Beni : alors qu’il est formellement interdit de toucher le corps d’un mort d’Ebola, le cercueil de Beni a été ouvert pour vérification, et la dépouille exposée à l’observation de la foule. « Le corps se trouvait bel et bien dans le cercueil, enveloppé pour empêcher la communication », a rapporté au Maximum, dimanche tard dans la soirée, une source médiatique interrogée par téléphone à Beni.
Beni ne détient pas le monopole de l’agression des équipes chargées de la riposte contre la fièvre hémorragique à virus Ebola. A Butembo, le fief électoral de Crispin Mbindule, deux volontaires de la Croix Rouge ont fait les frais de ces rumeurs de « cercueils vides » le 4 octobre 2018. Des membres de famille d’un malade d’Ebola décédé les avaient carrément attaqué alors qu’ils procédaient à l’enterrement « digne mais sécurisé » requis pour éviter la propagation de la maladie. Selon Grégoire Mateso, le président national de la Croix Rouge, les volontaires n’ont eu la vie sauve qu’en prenant la fuite. Et en abandonnant la dépouille à ses « propriétaires ».
Le coup de colère de Julien Paluku Kahongya
C’en était trop, assurément. Un jour plutôt, le 3 octobre, le gouverneur de la province du Nord-Kivu, Julien Paluku Kahongya, a effectué le déplacement de Butembo et s’est fait vacciner contre l’épidémie en compagnie d’un groupe de députés provinciaux. Pour tenter d’enrayer la rumeur-antidote au vaccin et les résistances aux soins appropriés, pourtant gratuits. L’événement a eu pour cadre le centre de santé de Makasi (commune de Kimemi), « à la grande surprise de la population de Butembo », commentent des confrères sur place. Sensibilisant ses administrés sur ce qu’il a qualifié d’ »ivresse de lait » dans le chef de certains acteurs politiques, le gouverneur du Nord-Kivu les a exhorté à faire confiance aux experts. « Nous devons avoir honte de dire à la population qu’Ebola est une invention de l’Etat congolais, comme si en Guinée et en Sierra-Leone où des milliers de personnes ont péri de cette maladie, c’était toujours du business. Ce même élu s’est fait vacciner mais laisse la population dans l’ignorance totale », avait martelé Julien Paluku, faisant allusion au député Crispin Mbindule. Ce cadre de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) avait en effet irrémédiablement (jusqu’à présent) semé le doute dans les esprits en déclarant dans les médias locaux qu’Ebola avait été créé dans des laboratoires et déplacé de la province de l’Equateur vers Beni dans le but d’exterminer les populations.
Mbindule avait exorcisé l’épidémie avec du sang de poule
Contre l’évêque catholique de Beni-Butembo, Mgr Melchisédech Sikuli, qui avait dénoncé la politisation de l’épidémie, Crispin Mbindule officia, entouré de féticheurs, une cérémonie d’exorcisme au cours de laquelle du sang de poule fut répandu sur le sol, en signe d’antidote. Dans son quartier de Furu à Butembo, le député UNC fit échapper aux soins une électrice en détresse, venue de Beni où elle venait de perdre son fils mort d’Ebola. Seulement, ce cas suspect a fini par s’avérer positif, et Mbindule déclaré suspect de second degré pour avoir touché une personne atteinte de la fièvre hémorragique. Le député a dû se faire vacciner dans la plus grande discrétion à Katwa, mais demeure interdit de déplacement durant 21 jours, selon les principes de prévention de la propagation de la maladie.
Il reste que dans la région, les rumeurs contre le vaccin et les soins d’Ebola ont encore la peau dure. La campagne de riposte contre la fièvre hémorragique se heurte à l’antidote politicien et fétichiste contre le vaccin et les soins appropriés.
J.N.