Au terme d’une rencontre d’échanges avec les candidats à la présidentielle 2018, jeudi 4 octobre 2018 à Kinshasa, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) a annoncé une réunion, strictement technique selon Corneille Nangaa son président, qui s’exprimait au nom du bureau et de l’ensemble des candidats. La réunion avait permis aux visiteurs de marque de l’administration électorale de se faire briefer sur l’évolution du processus électoral, après la publication des listes des candidats aux différents scrutins. L’étape du déploiement des matériels électoraux, déjà en cours, est doublée de la publication dans les différents sites des listes des électeurs pour permettre aux parties prenantes de dénoncer d’éventuelles anomalies, à temps.
La réunion technique qui se tiendra à une date encore à fixer a été proposée en raison des inquiétudes de la plupart des candidats au sujet de la machine à voter et des enrôlés sans empreintes digitales qui figurent sur les listes électorales. Sur 21 candidats présents ou représentés, 17 se sont prononcés contre l’utilisation de la machine à voter et ont été conviés à se faire accompagner de leurs techniciens pour faire valoir leurs arguments devant les techniciens de la CENI à la prochaine réunion. Mais des sons discordants au sujet de ces échanges que la centrale électorale veut exclusivement technique – l’institution d’appui à la démocratie émanant du parlement qu’est la CENI n’est pas légalement fondée de discuter d’options politiques mises en œuvre, en fait – se font entendre depuis jeudi dernier. Les candidats à la présidentielle opposés à l’utilisation de la machine à voter font valoir une sorte de principe démocratique selon lequel leur nombre suffirait pour imposer le rejet de cette imprimante des choix des votants.
Une énorme usurpation de pouvoir et de légitimité, en fait. Parce que la CENI met en œuvre, techniquement, les options politiques exprimées par les élus qui détiennent la légitimité populaire depuis les dernières élections organisées en RD Congo. Les candidats à la présidentielle sont des simples citoyens comme tous les autres RD Congolais et ne détiennent aucune légitimité, ni un droit quelconque à imposer leur refus à l’administration électorale. C’est de l’usurpation de qualité et de pouvoir, estiment les observateurs.
Seth Kikuni : Deuxième sortie médiatique catastrophique
Parmi les candidats opposés à l’utilisation de la machine à voter, le tout premier d’entre les candidats à la présidentielle dans l’ordre de dépôt des dossiers à la CENI, Seth Kikuni, s’est longuement exprimé dimanche 7 octobre à Kinshasa. Pour sa seconde sortie médiatique remarquée, le jeune Seth Kikuni s’est tiré une seconde balle dans le pied de suite, qui ne devrait pas améliorer son image dans l’opinion. Autant du reste que celle de la plupart de ces jeunes acteurs politiques qui convoitent le top job en RD Congo et dont on doute, non sans raison, de la maturité et de l’expérience requise pour la charge.
Après avoir provoqué un tollé général dans l’opinion en annonçant qu’une de ses premières actions à la tête de la RD Congo serait de mettre en vente la Radio-Télévision Nationale du Congo (RTNC), la chaîne publique. Seth Kikuni a proprement récidivé au cours d’une émission sur la radio Top Congo FM, pourtant manifestement conçue pour lui permettre de se rattraper de sa bévue. La chaîne publique fonctionne grâce au contribuable RD Congolais, a-t-il déclaré. Il est anormal qu’elle soit réservée au service d’un groupe de gens au pouvoir. En guise d’illustration de ces griefs, le jeune candidat à la présidentielle a déploré le fait que la chaîne nationale (il parlait de la télévision, en fait) n’ait pas diffusé des informations autour des tueries de Beni. Mais aussi, qu’elle se soit contenté d’une brève évocation (selon lui) du prix Nobel de la paix décerné vendredi 5 octobre au médecin RD Congolais Denis Mukwege auquel la chaîne avait du reste consacré son « dossier de la rédaction » du jour.
Le candidat-président en ignore trop, manifestement
Ce candidat opposé fort candidement à la machine à voter a ainsi étalé l’étendue de son inexpérience. En s’imaginant que des faits de guerre se racontent à l’opinion comme cela se fait au sujet de l’évolution de la bourse de Hong-Kong ou de Tokyo. « Le jeune Kikuni ignore qu’il existe un délit sanctionné en droit congolais qui consiste en la diffusion d’informations de nature à décourager l’armée », par exemple, s’étonnait dimanche dernier un passager qui suivait la prestation du candidat dans un taxi à Kinshasa. Encore que Seth Kikuni ne s’est pas arrêté, entre de nombreuses évocations de ses aptitudes à gérer ses entreprises privées, le candidat à la prochaine présidentielle a condamné le peu de cas fait par la chaîne nationale de l’attribution du Nobel de la paix à Denis Mukwege. Comme si la chaîne publique était obligée de véhiculer sans réserve valeurs et idéologies occidentales. Derrière le prix Nobel de la paix 2018 dissimule les raisons profondes des viols et de beaucoup d’autres crimes perpétrés en RD Congo jusqu’à ce jour. La chaîne nationale ne doit pas plonger tête baissée dans une tentative de révisionnisme historique qui tend à reléguer derrière une distinction honorifique les guerres d’agression qui ont entraîné la bagatelle de 5 millions de morts directes et indirectes depuis les années ’94.
Au sujet de la machine à voter aussi, Seth Kikuni verse dans les considérations fétichistes de la vieille classe politique en la récusant sans avancer le moindre argument technique ou politique. « A la réunion avec les candidats, Corneille Nangaa s’est adressé à nous comme s’il s’adressait à des écoliers ». « Nous n’avons pas décidé de la tenue d’une réunion technique, c’est lui-même qui en a ainsi décidé », a notamment déclaré Seth Kikuni sur Top Congo dimanche dernier. Le jeune candidat à la présidentielle semble donc persuadé que c’est à un candidat à la présidentielle qu’il revient de s’adresser au président d’une institution technique d’appui à la démocratie comme à son élève !
Dès qu’elle a reçu des acteurs politiques les options fondamentales à mettre en œuvre dans l’organisation des élections, la CENI est indépendante. Et ça, Kikuni ne paraît pas très au courant. Ces candidats président de la République, bonnet blanc, blanc bonnet ?
J.N.