S’en réjouir ou s’en plaindre ? La question se pose avec intérêt et pertinence au vu de la course-poursuite sans faux-fuyants des représentants des puissances économiques de la planète sur le continent. Le soudain intérêt des Etats-Unis de Donald Trump, de l’Angleterre de Theresa May, de l’Allemagne d’Angela Merkel, est proprement impressionnant. Et susceptible d’éclairer sous un jour plus vrai les enjeux économiques qui guettent le devenir d’un continent où européens, Français, Britanniques, Belges et autres ne sont pas en reste pour le disputer aux asiatiques, Chinois, Indiens, Japonais, etc. Parce que les anciennes puissances colonisatrices d’expression française ont développé depuis les années des indépendances en 1960, d’astucieux mécanismes pour « libérer » les colonies en y demeurant, insidieusement et sournoisement.
Ça ressemble à s’y méprendre aux croisades de la fin du siècle précédent pour se partager le continent, ce qui s’est passé sous les feux de la rampe les dernières semaines du mois d’août 2018. C’est la chancelière Allemande, Angela Merkel, qui a subitement donné le ton en se rendant en visitant certains pays Africains, dès mercredi 29 août 2018, dans le cadre d’une tournée qui l’a conduite au Sénégal, au Ghana et au Nigeria. 24 heures plus tard, Theresa May, la première ministre britannique, prenait pour sa part la tête d’une véritable expédition à destination … du Nigeria, de l’Afrique du Sud et du Kenya.
Des babioles pour nègres-sauvages
Dans les bagages de l’une comme de l’autre dirigeante de deux de ces pays du Groupe de 7 (7 plus grandes puissances économiques mondiales), il n’y avait certes pas un amoncellement de babioles à offrir aux bons petits nègres sauvages, mais c’est tout comme. Dans l’aéronef emportant l’Allemande vers le continent africain, c’est bien une dizaine de capitaines d’industrie allemands qui avaient confortablement pris place. Et, quelques heures après leur arrivée à Dakar, Macky Sall, le Chef de l’Etat Sénégalais annonçait avec bonheur l’électrification par énergie solaire de 300 villages de son pays grâce à un financement … allemand.
Ces babioles allemandes pour nègres-sauvages ne sont pas gratuites. Pas tout à fait, comme de tous les temps. En échange, le pays de Merkel entend « tirer profit » (comme cela se dit en terme civilisés !) du dynamisme croissant de l’Afrique, ce continent connu, de tous les temps aussi, pour disposer d’importantes ressources en matières premières.
La britannique Theresa May ne s’est pas, elle non plus, encombrée de poupées, bonbons, brillants divers, dans son périple sur le continent noir. Dans ce qui fut la toute première visite d’un chef de gouvernement de Sa Majesté Elisabeth II en Afrique depuis 5 ans, ce ne sont pas des membres de gouvernement mais une délégation d’hommes d’affaires et d’acteurs financiers qui ont accompagné Mme May : 29 dirigeants d’entreprises britanniques dont le directeur exécutif du célèbre London Stock Exchange, David Schwimmer, et le directeur du groupe Standard Chartered pour les marchés émergents, Bill Winters.
Le pays d’origine d’Henry Morton Stanley, l’explorateur qui « découvrit » l’embouchure du fleuve Congo pour le roi des Belges Léopold II, n’a pas fait dans la dentelle puisqu’en même temps qu’elle se rendait en Afrique du Sud, Mme May avait délégué sa ministre en charge des questions Africaines, Hariet Baldwin, au Ghana et en Afrique de l’Ouest, signer des contrats … commerciaux pour 20 millions de Livres Sterling.
300 millions de Livres Sterling d’investissement britanniques
Le montant total des accords d’investissements en Afrique annoncés par le Royaume Uni se chiffre à 300 millions de Livres Sterling. « Les accords annoncés aujourd’hui (jeudi 30 août 2018) démontrent les liens commerciaux et d’investissement déjà étroits entre le Royaume-Uni et les pays africains, et le potentiel qui existe pour d’autres entreprises britanniques de tirer le meilleur parti des opportunités croissantes sur le continent. », lit-on sur le communiqué officiel publié à cet effet. « D’ici 2022, je veux que le Royaume-Uni devienne le premier investisseur des pays du G7 Afrique », a déclaré Theresa May aux hommes d’affaires en Afrique du Sud, annonçant par la même occasion une réunion pour les investissements en Afrique en 2019 à Londres.
Allemands et Britanniques ne sont les seuls au monde à s’engager dans le nouveau chassé-croisé des puissances économiques de la planète vers l’Afrique. Les Etats-Unis de Donal Trump, qui ne s’encombrent plus de vieilles considérations protectionnistes héritées des conquêtes colonialistes, sont loin de croiser les bras. Lundi 29 août 2018, le Chef de l’Etat américain organisait la visite à la Maison Blanche du second Chef de l’Etat du continent depuis son accession au pouvoir. Au Kenyan Uhuru Kenyata, Trump a annoncé une visite de conseillers américains pour évoquer le « Doing Business in Africa » et plaidé la cause de l’une ou l’autre entreprise de son pays dans cet Etat de l’Afrique de l’Est. Particulièrement, pour Betchel, l’entreprise US en course pour la construction d’une autoroute kényane. Le total des promesses et engagements pris par le locataire de la Maison Blanche en faveur de Nairobi se chiffre à quelque 900 millions USD, selon la presse.
Une goutte d’eau dans un océan de misère, par rapport aux Chinois
Mais, c’est du menu fretin, en rapport au volume d’échanges commerciaux entre le continent noir et la Chine, qui se chiffre lui à quelque 170 milliards USD pour la seule année 2017, par exemple. En effet, c’est ce qu’a annoncé, mardi 28 août 2018, Qian Keming, le vice-ministre Chinois du commerce à l’occasion d’une conférence de presse en prélude au Forum sur la Coopération sino-africaine qui se tient depuis le 3 septembre à Beijing. Rien qu’au 1er trimestre de cette année 2018, ce volume d’échanges a augmenté de 16 %, atteignant 98,8 milliards USD. Les investissements directs annuels de l’Empire du milieu se sont quant à eux maintenus à environ 3 milliards USD au cours de ces trois dernières années, a encore annoncé le plénipotentiaire Chinois. L’Afrique disposera ainsi de 30.000 km de nouvelles routes, de 85 millions de tonnes de capacité portuaire par an, de plus de 9 millions de tonnes de capacités de traitement de l’eau potable chaque année, autant que de près de 20.000 mégawatts de capacités de production d’électricité et de plus de 30.000 km de lignes de transmission et de transformation d’énergie.
En matière de « babioles » pour les pays africains, difficile de faire mieux et plus durable, voire, « gagnant-gagnant », comme on dit. Même si les Occidentaux, Etats-Unis en tête, disposent de nombreuses ficelles astucieusement entretenues pour continuer à pomper les ressources de leurs anciens empires coloniaux. Dont ils ne semblent pas pouvoir se passer sans sombrer dans une grave crise économique. Certes, il n’est plus question de se lancer dans une guerre à visage découvert, comme en Indochine en 1946-1954, ou encore en Algérie en 1954-1962. Mais c’est tout comme, et même pire : il suffit de faire obstruction à toute indépendance et à toute souveraineté effective des Etats dont les ressources sont convoitées. Et de téléguider de temps en temps des guerres hybrides et « asymétriques », ces affrontements récurrents entre sauvages sans foi ni lois ou présentés comme tels, dont de substantiels profits sont tirés au vu et au su de tout le monde.
En RD Congo, ils ne se précipitent pas, ils y sont depuis 20 ans
Le cas de la RD Congo est symptomatique à cet égard. « Les blancs se sont emparés de ce pays », selon des propos attribués l’ancien Chef de l’Etat Zimbabwéen, Robert Mugabe, dont chacun sait qu’il n’avait pas sa langue dans la poche. « Ils ont créé la MONUSCO, une mission des Nations-Unies, pour maintenir la paix, là-bas paraît-il », a-t-il ajouté avec un rire narquois. Ils dépensent 3.500.000 USD/jour. Ils sont là depuis à peu près 20 ans, déjà. De fait, la fameuse mission onusienne en RDC dépense un budget annuel de 1,3 milliards USD pour 22.000 hommes alors que le Congo a un budget de 4 milliards USD pour une population de près de 80 millions d’habitants. Et cela révolte certains esprits à travers le monde, mais pas tous. Robert Mugabe compte parmi ceux que l’enfer rd congolais ne laisse pas indifférent. « Comment est-ce que cela est possible ? », s’était-il étranglé. « Un groupe d’étrangers vient dans votre pays, sous prétexte de maintenir la paix, chose qu’ils n’ont jamais faite ! Ils s’y installent pendant 2 décennies sans apporter une seule solution aux problèmes du pays et utilisent un budget 4 fois plus élevée que celui que le pays utilise pour toute sa population qui croupit sous le seuil de la pauvreté. Ce budget, ils se le partagent le coffre comme suit : les USA envoie 28% et recevront en retour selon leur contribution ; le Japon 10%, l’Allemagne 7%, la France 7%, le Royaume Uni 6%, l’Italie 4%, la Russie 3% … Où va tout cet argent ? », interroge Mugabe. Telle est la situation, certes quelque peu caricaturée, de la RD Congo et de certains pays du continent où ne se précipitent guère les représentants des plus grandes puissances économiques de la planète. Parce que ces puissances y sont déjà installées sous une forme ou une autre.
J.N.