En RD Congo, religion, foi, esprit fétichiste … font plutôt bon ménage avec la politique. Et, on ne peut pas dire que ça soit pour le plus grand bien des RD Congolais, habituellement menés en bateau par toutes sortes de gourous, patriarches, et demi-dieux. Même les partis politiques de plus récente création, comme le Mouvement de Libération du Congo de Jean-Pierre Bemba Gombo, semblent vouloir noyer leurs militants dans ces eaux mystérieuses : « Avec Dieu nous vaincrons », vante le slogan principal de l’ex mouvement rebelle converti en parti politique dans les années ‘2003. Près de 18 ans après, la rhétorique mlcienne reste d’autant plus teintée de cette espèce de foi en l’impossible qui « soulève des montagnes » que son leader, Jean-Pierre Bemba Gombo, a été quasi miraculeusement acquitté des crimes dont il était poursuivi à la Cour Pénale Internationale de la Haye (CPI) après 10 ans de détention à Scheveningen. Ça n’était encore jamais arrivé à personne.
Dossier en cours ?
Mais le dossier Bemba à la CPI est loin d’être totalement clos. Sur l’affaire principale portant sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par ses troupes en République Centrafricaine en 2002 a germé une autre relative à la subornation de témoins. Dans l’affaire Procureur Générale près la CPI c/ Jean-Pierre Bemba Gombo et csrts, le chairman du MLC a été formellement condamné pour avoir influencé la déposition de 14 personnes lors du procès principal. L’homme qui s’est rendu à Kinshasa mercredi 1er août 2018, profitant de son premier séjour au pays depuis une décennie pour se rendre à Gemena avant de revenir sur Kinshasa et y déposer formellement son dossier de candidature à la présidentielle, est encore un détenu de la CPI en liberté provisoire dont le sort reste suspendu à la fixation de la peine dans l’affaire de subornation de témoins, et qui doit préalablement signaler à la cour le moindre de ses déplacements. Quoique l’on prétende dans les cercles du MLC, son parti politique.
Dernière audience
Mercredi 29 août 2018, la CPI a communiqué la date de la dernière audience dans l’affaire Procureure Générale près la CPI c/ Jean-Pierre Bemba Gombo et csrts, fixée au 17 septembre 2018. Et relancé les débats autour du sort de l’ancien vice-président de la République dont le dossier de candidature à la présidentielle a été retoqué (avec 5 autres) par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) en raison de sa condamnation dans cette dernière affaire. De Bruxelles où il séjourne dans l’attente de cette fixation de peine, Jean-Pierre Bemba lui-même a vivement réagi à cette élimination de son dossier en accusant la CENI de politisation. « Une lettre du ministre de la justice a suffi pour que la CENI s’exécute », avait-il accusé au lendemain de l’invalidation de sa candidature le 25 août 2018. A Kinshasa, la secrétaire générale du parti bembiste, Eve Bazaiba, crie elle aussi à l’injustice et reproche à la CENI d’avoir outrepassé ses prérogatives en fondant sa décision d’invalidation sur une décision de condamnation frappée d’appel. Réagissant à la programmation de la dernière audience dans l’affaire de subornation de témoins, la secrétaire générale du MLC y voit la preuve que la CENI s’est trompée parce que le second procès Bemba n’était pas encore clos.
Fixation des peines, pas révision de la sentence
Seulement, le même mercredi 29 août 2018 à Kinshasa, la représentation locale de la CPI a tenu à fixer l’opinion en précisant que l’audience du 17 septembre prochain sera strictement consacrée à la fixation des peines pour les 5 condamnés dans l’affaire de subornation de témoins : Jean-Pierre Bemba, Me Aimé Kilolo, Jean-Jacques Mangenda Kabongo, Fidèle Babala Wandu et Narcisse Arido. Le 19 octobre 2016, les cinq accusés ont été reconnus coupables d’atteintes à l’administration de la justice par la chambre de première instance VII. « La Chambre conclut en l’existence de motifs substantiels de croire, au regard des preuves à charge, que les cinq accusés avaient commis des infractions de subornation de témoins (article 70-1-c du Statut), de production d’éléments de preuve faux (article 70-1-b du Statut), et de faux témoignage (article 70-1-a du Statut) portant atteinte à l’intégrité et à l’efficacité des procédures devant la Cour », énonce l’arrêt rendu à cet effet. Le 22 mars 2017, la chambre condamnait Jean-Pierre Bemba Gombo à une peine totale d’une année d’emprisonnement qui s’ajoutait à la peine de l’affaire principale (sans déduction du temps passé en détention) ainsi qu’à une peine d’amende de 300 000 euros qui sera transférée au Fonds au profit des victimes ; Aimé Kilolo Musamba à deux ans et six mois d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende (qui sera également transférée au Fonds au profit des victimes), toutefois, la Chambre a décidé de suspendre cette peine d’emprisonnement ; Jean-Jacques Mangenda Kabongo est condamné à une peine totale de deux ans d’emprisonnement (avec déduction du temps déjà passé en détention) avec suspension du reste de la peine à purger dans les mêmes conditions que pour Aimé Kilolo ; Narcisse Arido à une peine totale de onze mois d’emprisonnement, sa peine étant considérée comme purgée par la Chambre, eu égard au temps déjà passé en détention ; tout comme Fidèle Babala Wandu, condamné à une peine totale de six mois d’emprisonnement. Au cours d’une audience en appel de ces condamnations, la chambre a rejeté, le 8 mars 2018, soit 3 mois avant l’acquittement de Jean-Pierre Bemba dans l’affaire principale, les appels interjetés par la défense de l’inculpé et confirmé la plupart des accusations retenues. Le 4 juillet 2018, s’est tenue l’avant-dernière audience dans l’affaire Jean-Pierre Bemba et Cie qui a vu le bureau du procureur de la CPI requérir 5 ans de prison contre le chairman du MLC à l’appui d’un nouvel arsenal argumentaire, tandis que sa défense sollicitait sa relaxe pure et simple. Il ne restait donc plus aux juges qu’à fixer la peine à encourir par les condamnés dans cette affaire. Et non pas à revenir sur verdict déjà prononcé, ainsi qu’on le fait croire au MLC.
L’autorité et la crédibilité de la CPI, ou ce qui en reste
Dans l’opinion en RD Congo, l’affaire de subornation de témoins, certes secondaire par rapport à l’affaire principale qui a conduit Jean-Pierre Bemba dans les geôles de la CPI, n’est pas loin d’être considérée comme du menu fretin. Au cours d’une intervention sur RFI, Léon Kengo, un ancien procureur général de la République qui dirige le sénat, avait soutenu que les peines dans cette affaire secondaire auraient dû être annulées en raison du fait que le prévenu avait été acquitté dans la cause principale. Mais ce n’est pas le point de vue de la CPI où les entraves à l’administration de la justice sont prises très au sérieux parce qu’elles sont de nature à fausser le procès et à menacer ainsi l’autorité et la crédibilité de l’institution, selon des études judiciaires de la CPI. Il en est ainsi de la subornation de témoins : dans le dossier Bemba et csrts, la chambre a examiné l’intention de l’auteur de procéder à l’exercice d’une « influence corruptrice sur un témoin (corruptly influencing a witness) », expliquent les mêmes sources.
La culpabilité de Jean-Pierre Bemba et csrts dûment établie, il reste le problème de la détermination des peines relatives à la subornation de témoins, qui ne peuvent excéder 5 ans de détention. Mais l’appréciation et la fixation de la peine, en ce qui concerne le chairman du MLC, paraissent plutôt compliquées, compte tenu du fait qu’il ne faut pas que le régime de détention soit en décalage avec l’infraction, notent les spécialistes. Pour une infraction passible d’une peine de 5 ans d’emprisonnement, l’ancien vice-président de la République a déjà purgé 10 ans de détention, quoique dans le cadre de l’affaire principale. C’est probablement en raison de ces considérations tout à fait techniques que certains juristes estiment qu’à la rigueur, Jean-Pierre Bemba ne pourrait être condamné qu’à quelques mois de détention supplémentaire (6 mois, selon certaines estimations publiées dans les médias). « Une mise en détention pour un procès qui dure depuis le 20 novembre 2013 serait-elle équitable alors que la peine encourue ne peut dépasser 5 années ? ». Tel est le genre de question auxquelles doivent répondre les juges le 17 septembre 2018.
J.N.