C’est par Jean-Pierre Bemba Gombo, l’ancien vice-président de la RD Congo et candidat malheureux à la présidentielle 2006, que la subornation de témoins, une infraction sanctionnée par la Cour Pénale Internationale de la Haye, s’incruste dans le vocabulaire juridique en RD Congo. Même si c’est sous la forme de débats, plutôt passionnés, entre partisans et adversaires de l’assimilation de la notion de subornation de témoins à la corruption. Cette dernière infraction est, elle, prévue et sanctionnée par le Code Pénal rd congolais. Les discussions sur la question tournent autour du fait que pour les uns, Jean-Pierre Bemba Gombo est frappé d’inéligibilité du fait de sa condamnation formelle pour subornation de témoins par la CPI. Et pour les autres, ses partisans, l’ex. chef-rebelle poursuivi puis acquitté des crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis par ses troupes en Centrafrique reste éligible du fait que la subornation de témoins n’est pas sanctionnée par le Code pénal rd congolais.
Blaise Pascal Zirimwabagabo, juriste, avance un argumentaire qui ne devrait pas enchanter le tenants de la thèse de l’éligibilité du président du Mouvement de Libération du Congo (MLC) qui a formellement déposé sa candidature à la présidentielle prévue le 23 décembre 2018. Le scientifique soutient qu’« il est vrai que la subornation de témoins est différente de la corruption, mais on ne peut pas s’arrêter à ce niveau ». Dans un entretien avec des confrères en ligne, il explique qu’à travers l’article 10 de la loi électorale, le législateur a voulu exclure une catégorie de personnes de la compétition électorale. A son entendement, seules les personnes qui ont « les mains propres » peuvent solliciter les suffrages des rd congolais : c’est « la ‘ratio legis’ de l’article 10 de la loi électorale ».
Blaise Pascal Zirimwabagabo note que les points 2 et 3 de cet article reprennent certaines infractions en raison de leur gravité, qui rendent inéligibles les personnes condamnées. On peut y trouver les crimes graves du droit international (crimes de guerre, crimes de génocide et crimes contre l’humanité), le viol, l’exploitation illégale des ressources naturelles, la corruption, le détournement des deniers publics, l’assassinat, la torture, la banqueroute et les faillis.
« Dans cette énumération, il est curieux de ne pas y trouver d’autres infractions pourtant aussi graves : la rébellion, l’atteinte à la sureté de l’État, le meurtre, l’usurpation des fonctions officielles etc. Est-t-il logique de frapper d’inéligibilité le violeur, le faillis, le corrupteur et le corrompu et permettre aux meurtriers, aux rebelles par exemple d’être éligibles ? Ce n’est pas possible. S’agissant du cas de Jean Pierre Bemba, il est vrai que la subornation de témoins est différente de la corruption, mais on ne peut pas s’arrêter à ce niveau. La réflexion juridique n’est pas aussi simpliste. N’en déplaise ! Si on applique le raisonnement téléologique qui visa à chercher la volonté du législateur, le « pourquoi » d’une règle de droit, la subornation de témoin, à l’instar du meurtre ou de la rébellion et d’autres infractions graves mais non listés à l’article 10 de la loi électorale doivent aussi être considérées comme des causes d’inéligibilité. Il n’est pas concevable selon l’esprit de cette loi, d’admettre qu’une personne qui a porté atteinte à l’administration de la justice par subornation des témoins puisse prétendre diriger le pays. Mais pour ça, il faut avoir des juges qui ne font pas seulement une application mécanique du droit mais qui cherchent à faire évoluer la règle de droit pour que celle-ci atteigne sa finalité. Je ne sais pas si la question sera posée à la Cour constitutionnelle. On verra comment les juges de cette Cour vont y répondre si la question venait à leur être posée » conclut-il.
AVEC “LA PRUNELLE DE MES YEUX”