Rentré à Kinshasa mercredi 1er août 2018 après son acquittement dans le dossier des crimes de guerre et crimes contre l’humanité par la Cour Pénale Internationale (CPI), le candidat malheureux à la présidentielle 2006, Jean-Pierre Bemba Gombo, a postulé à la présidentielle 2018. Jeudi 2 août 2018, le patron du MLC, le mouvement rebelle converti en parti politique, a déposé formellement sa candidature à la Commission Electorale Nationale Indépendante avant de se rendre à Gemena, son fief électorale, au cours du week-end.
La candidature de Jean-Pierre Bemba à la prochaine présidentielle suscite commentaires et polémiques autant qu’elle révèle à quel point le destin de la RD Congo est « manipulé ». « Il est évident que l’ancien chef rebelle a été relaxé pour jouer un rôle précis dans son pays », assure une source diplomatique dans la capitale belge, quelques heures avant le retour à Kinshasa du chairman du MLC. Dans les capitales africaines où l’évolution de la situation en pays de Lumumba est intensément suivie, la candidature de l’ancien vice-président de la République, « placé au frigo » avant d’être relâché dans la nature, fait partie de ce rôle.
Mais l’affaire n’en paraît que plus compliquée, en réalité. Le blanchiment par la justice pénale internationale n’a pas réussi à disculper totalement Jean-Pierre Bemba. Sa condamnation dans l’autre dossier instruit à la CPI, celui de la subornation des témoins demeure. « On n’attend plus que la fixation de la peine », explique une source à la représente de l’instance judiciaire internationale à Kinshasa. Formellement condamné, Jean-Pierre Bemba ne peut donc jouir de la totalité de ses droits et n’est pas éligible en RD Congo.
Au cours d’un point de presse la semaine dernière, le porte-parole de la Majorité Présidentielle rd congolaise, Alain-André Atundu, soulevait une tempête de protestations des sympathisants du MLC et de l’opposition politique en rappelant que le sénateur condamné ne pouvait postuler à la prochaine présidentielle et en l’invitant à fixer l’opinion sur ce dossier en toute loyauté. Répliques, ci et là d’exégètes en tous genres : la subornation des témoins n’existerait pas en droit positif rd congolais. Et que donc, Jean-Pierre Bemba ne peut être privé de ses droits civiques en vertu d’une infraction qui n’est pas prise en charge par le droit pénal de son pays.
Faux, rétorque-t-on du côté de la Majorité Présidentielle. Alain Atundu l’avait déjà relevé la semaine dernière : la RD Congo est partie aux Statut de Rome créant la CPI et à ce titre, doit se soumettre à ces décisions judiciaires.
Un scientifique, le pénaliste Nyabirungu Mwene Songa, est venu conforter ce point de vue. Au cours d’un point de presse au début le week-end dernier à Kinshasa, ce professeur émérite et ancien doyen de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa a assuré qu’«il n’y a pas de mur entre subornation des témoins et corruption ». Parce que même si l’infraction de subornation des témoins n’apparait nommément pas dans le Code pénal rd congolais, le titre 3, article 129, section 5 (Du faux témoignage et du faux serment) stipule néanmoins que « le coupable de subornation de témoins est passible de la même peine que le faux témoin … ». Et aussi, parce que « le droit pénal congolais en vigueur ne se limite aux dispositions du Code pénal congolais, et, comme le précise clairement la constitution du 18 février 2006 telle que révisée par la loi constitutionnelle n°11/002 du 20 janvier 2011 en son article 153, alinéa 4: les cours et tribunaux, civils et militaires, appliquent les traités internationaux dûment ratifiés, les lois, les actes réglementaires pour autant qu’ils soient conformes aux lois ainsi que la coutume pour autant que celle-ci ne soir pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ». Or, selon ces traités internationaux ratifiés par la RD Congo (Nyabirungu cite la convention des Nations unies de 2003 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption ; la convention de l’Union Africaine du 11 juillet 2003 sur la prévention et la lutte contre la corruption ; et le Traité de Rome portant création de la cour pénal internationale), la subornation des témoins est une forme de corruption. « La subornation des témoins, qui est une entrave à la justice, est déjà une infraction au code pénal, en son article 129, et que toute autre formulation non prévue au code pénal est applicable par le juge congolais, civil et militaire, du fait de la ratification de la convention et des dispositions pertinentes de celle-ci », estime le professeur Nyabirungu.
Quels que soient les points de vue sur cette question, une chose est claire : la candidature de Jean-Pierre Bemba à la prochaine présidentielle semble pour le moins prématurée. Elle est problématique dans tous les sens du terme.
J.N.