Ça bouillonne en RDC, particulièrement en cette période pré-électorale. Mercredi 25 juillet 2018, comme prévu, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a procédé à la réouverture des Bureaux de Réception et de Traitement des Candidatures (BRTC). Cette fois-ci, pour l’inscription des candidatures à l ‘élection présidentielle et aux législatives nationales. L’opération s’étendra jusqu’au 8 août, conformément au calendrier préalablement fixé par la centrale électorale. C’est l’étape la plus déterminante du processus électoral au terme de laquelle seront connus, notamment, les prétendants au ‘top job’ au pays de Lumumba. Elle sonnera aussi la fin des « préoccupations » exprimées à hue et à dia sur l’avenir politique du chef de l’Etat en place, qui constipent littéralement les relations entre Kinshasa et certaines capitales occidentales décidées coûte que coûte à infléchir le cours de l’histoire dans cet immense et riche pays au centre du continent africain dont ils n’ont jamais fait le deuil de la décolonisation depuis 1960.
Suspendus aux lèvres de Kabila
En attendant ces échéances, tout le monde, au propre comme au figuré, reste suspendu aux lèvres de Joseph Kabila, attendant qu’il dessine, lui tout seul, comme un monarque, l’avenir immédiat du pays. Une attente bien éprouvante, le jeune quatrième président rd congolais étant connu pour être taiseux, contrairement à la plupart de ses contemporains occupant de si hautes charges. « C’est déjà exceptionnel qu’il se soit exprimé publiquement à deux reprises la même année, en janvier et en juillet », a confié à nos rédactions une source à la présidence de la République. Qui explique qu’il s’est fait ainsi violence « en raison des enjeux cruciaux de cette année électorale et charnière dans l’histoire de notre pays ».
Le 19 juillet 2018, Joseph Kabila est sorti de son mutisme habituel pour se soumettre à l’obligation constitutionnelle de prononcer le traditionnel discours annuel sur l’état de la Nation devant les deux chambres du parlement réunis en congrès. A quelques mois des scrutins combinés provinciaux, nationaux et présidentiel prévus le 23 décembre prochain, les « maîtres autoproclamés de la planète » qui vivent les yeux littéralement rivés sur la RDC attendaient qu’il saisisse l’occasion pour se prononcer, comme ils le souhaitaient, sur son avenir politique personnel à l’issue de deux mandats présidentiels successifs au cours desquels il leur a fait avaler quelques couleuvres, la dernière étant celle de la promulgation d’un nouveau code minier en dépit de l’opposition de la haute finance internationale.
Pour dire les choses crument, de Joseph Kabila, il était attendu qu’il annonce qu’il cessera bientôt d’être à la tête des institutions nationales en ne posant pas sa candidature à la prochaine élection présidentielle, ainsi que l’en presse une certaine communauté internationale, autant qu’une frange de l’opposition radicalisée et stipendiée. Les uns et les autres se fondent sur la lettre de la constitution de la RD Congo en vigueur selon laquelle un président de la République ne peut pas postuler pour une troisième fois consécutive après deux mandats électifs successifs. Les voix qui s’étaient élevées ces derniers mois pour estimer qu’à la faveur de la dernière modification constitutionnelle qui avait réduit les tours de la présidentielle de deux à une seule, Kabila avait la latitude de briguer un mandat supplémentaire, les compteurs ayant été formellement remis à zéro en 2011, avaient jeté l’effroi parmi les détracteurs du chef de l’Etat.
Aucun mot sur le départ
Comme pour les narguer, le 19 juillet dans la salle des congrès du Palais du Peuple, Joseph Kabila n’a pas pipé mot sur sa personne, sur « son avenir politique », selon l’expression consacrée qui signifie en réalité que le Chef de l’Etat doit dire qu’ils quittent le pouvoir, sa famille politique et lui. Il s’est limité à donner de sérieuses indications, hermétiques à l’entendement de ceux qui veulent son départ sans autre forme de procès, même le plus démocratique de tous, les élections.
Le 9 juillet 2018, alors qu’étaient annoncés le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, et le président de l’Union Africaine, Moussa Faki, Kinshasa avait in extremis reporté gentiment la visite des deux représentants de la communauté internationale. A l’approche des élections, la visite était considérée comme inopportune aux yeux des souverainetistes congolais, a-t-on entendu dire, ou encore que Kabila se préparait à se prononcer sur des questions politiques cruciales et « ne souhaitait pas (donner l’impression de) se laisser influencer ». Il y avait sans nul doute du vrai dans ces explications de ce qui a été présente comme une esquive présidentielle, à en juger par les réactions à cette visite reportée (c’est ce qu’affirme un communiqué du ministère rd congolais des Affaires étrangères) dans certaines officines servant de caisses de résonnance à la fameuse communauté internationale interventionniste. Dans un communiqué, le 11 juillet 2018, Human Right Watch (HRW) que l’on présente comme une organisation non gouvernementale « internationale », publiait un communiqué larmoyant sur l’occasion ainsi ratée « d’exercer davantage de pression sur le président congolais pour qu’il ne se représente pas et n’influe pas négativement sur la bonne tenue des élections ». « L’annulation in extremis de cette réunion par Kabila – et son refus de rencontrer d’autres dirigeants régionaux et internationaux ces dernières semaines – n’est guère de nature à dissiper les craintes qu’il n’ait aucune intention d’abandonner le pouvoir conformément à la constitution congolaise, et de permettre la tenue d’élections crédibles », pouvait-on lire dans ce communiqué. Une attitude inexplicable objectivement parce que dans la région, la quasi-totalité des voisins de la RD Congo avait vu ses présidents de la République tripatouiller leurs constitutions pour proroger leurs séjours au sommet de l’Etat de plus de deux, voire trois mandats sans encourir les foudres de guerre d’organisations droits-de-l’hommistes et de puissances occidentales « charitables ».
Résistance aux pressions
Joseph Kabila a donc refusé, et refuse obstinément, de plier l’échine face aux pressions de tous genres et entend affirmer et mettre en avant l’idéologie qui a toujours fondé son action à la tête de son pays. « Je suis particulièrement heureux que cette tradition induise en elle-même, aujourd’hui, la paix, la stabilité politique et économique qui règnent sur le territoire national, fruit du dur labeur et des énormes sacrifices consentis, nuit et jour, avec le soutien de toutes les institutions de la République, afin que l’héritage nous légué par nos aïeux se consolide et vive à jamais », avait assuré le chef de l’Etat de la RD Congo, se félicitant de l’usage qui consiste à rendre régulièrement compte à la Nation. De fait, le discours sur l’état de la Nation du 19 juillet dernier fut à 80 % consacré à la situation sociale et économique du pays, donc aux préoccupations relatives au mieux-être de ses compatriotes. «Les conditions sociales de nos populations demeurent globalement préoccupantes, en raison du seuil important de pauvreté, particulièrement en milieux ruraux et semi-urbains. Elles devront donc rester au centre de toutes nos politiques publiques», avait, notamment, martelé Joseph Kabila dans un tonnerre d’applaudissements.
Seuls les deux derniers paragraphes du speech de quelque 50 minutes ont été consacrés à la situation politique. Pas assez pour lire l’avenir à livre ouvert, mais suffisant pour comprendre de quoi il y retourne dans le chef de l’orateur.
Le droit à la différence et à la souveraineté
En réaffirmant que la RD Congo était « … au plan géostratégique et économique, le centre de toutes les convoitises, des intrigues diplomatiques, voire même, des complots sordides », le Raïs (président en swahili) plantait le décor de son agir politique présent et à venir. Cela est suffisamment clair, puisqu’expliquait-il encore, « la position géographique de notre pays, au centre du continent, partageant 9 frontières avec des voisins directs, la diversité d’opinions politiques et la pluralité de nos tribus, sont certes des atouts, mais aussi malheureusement, des leviers sur lesquels les ennemis du Congo agissent régulièrement pour tenter de le déstabiliser, de le diviser et de se donner les moyens d’en exploiter les nombreuses ressources à ses dépens ».
Dans cet environnement à la fois enviable et déplorable, Joseph Kabila revendique haut et fort le droit à la différence, à l’indépendance et à la souveraineté. Ce dont ne sauraient sensément le blâmer les rd congolais. « Aujourd’hui, notre modèle démocratique a fait ses preuves. Et tous ceux qui tentaient de s’improviser en donneur des leçons, l’ont bien compris », a-t-il déclaré après s’être félicité de l’organisation de deux, et dans quelques mois trois élections démocratiques. Qu’on les apprécie ou non. Parce que « le Congo n’ayant jamais donné des leçons à personne, il n’est pas disposé à en recevoir dans ce domaine, surtout pas de la part de ceux qui ont assassiné la démocratie dans ce pays et ailleurs sur le continent ». Et, « ce ne sont ni des accusations gratuites et infondées ni des pressions ou menaces inconsidérées, et encore moins des sanctions arbitraires et injustes qui nous détourneront de la voie que nous nous sommes pourtant tracée nous-mêmes, volontairement et librement », ajoute Joseph Kabila, se révélant encore plus clair et précis dans son propos.
Constitution contre Accord politique
Le discours du 19 juillet 2018 a suscité moult réactions et critiques, comme on pouvait s’y attendre. Et notamment, que le président de la République n’avait fait nulle allusion à l’Accord politique intervenu le 31 décembre 2018 entre les acteurs politiques sous l’égide des évêques de l’église catholique romaine dont l’un des membres les plus éminents est occupé à l’heure actuelle à « sonder » l’opinion pour se jeter dans la bataille pour conquérir le ‘top job’ qui lui était passé sous le nez à la fin des années Mobutu à cause de la révolte des… Kabila, père et fils contre la dictature vermoulue du Maréchal.
Omission ou silence réel s’il en est effectivement, mais qui trouve sans conteste un fondement révélateur dans l’obligeante priorité accordée par le Garant de la Nation à la constitution de la République. Cela, on le comprend mieux en découvrant une autre des réactions de la fameuse communauté internationale, rendue publique le même jour.
Dans un communiqué au terme d’une consultation conjointe, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU et ceux du Conseil de paix et sécurité de l’Union Africaine disaient avoir pris note « des étapes clefs franchies dans le processus électoral (en République Démocratique du Congo) », mais s’inquiétent des « difficultés restant à surmonter pour renforcer la confiance dans le processus ». Des difficultés qui seront surmontées, à leur entendement, si « tous les partis politiques, leurs partisans et les autres acteurs politiques … (restaient) attachés à l’Accord du 31 décembre 2016, qui est la seule voie viable face à la situation politique actuelle ». «La mise en œuvre effective, rapide et sincère de l’Accord du 31 décembre 2016, notamment des mesures de confiance, et le respect des droits fondamentaux et des échéances électorales sont essentiels pour assurer la tenue d’élections pacifiques et crédibles, une passation de pouvoir démocratique et la paix et la stabilité dans le pays», expliquent-il encore, plaçant ainsi subtilement un accord politique sur le même pied d’égalité si pas au-dessus d’une Constitution adoptée par referendum par le peuple congolais tout entier.
Pas d’ombrage à la loi fondamentale
Le silence de Joseph Kabila sur cet accord du 31 décembre 2016 est expressif. Il veut dire, carrément, que le Chef de l’Etat ne laissera rien, plus rien, faire ombrage à la loi fondamentale de la RDC. Tout au moins, rien qui soit contraire à ce qu’elle stipule, ce qui risquerait de lui faire porter l’opprobre d’avoir commis un crime de haute trahison. On peut difficilement trouver attitude plus légitime, en réalité. «Notre engagement à respecter la Constitution demeure lui aussi non équivoque. Il s’agit pour nous, d’abord, d’honorer le sens de notre lutte ; ce pourquoi nous nous sommes tant sacrifiés avec tant d’autres compagnons tombés sur le champ d’honneur, à savoir : redonner la parole longtemps confisquée à notre peuple et libérer ses énergies en vue de rebâtir un pays souverain et indépendant», a-t-il déclaré à ce sujet.
Le président de la République a ainsi consacré plusieurs passages à démontrer la fidélité et le strict respect de la constitution qui ont caractérisé son séjour au Palais de la Nation. « J’ai également consacré, avec votre concours actif, l’essentiel de mon énergie, 12 ans durant, à installer tout le dispositif institutionnel posé par notre Constitution et à en assurer le fonctionnement régulier et harmonieux, au niveau tant national, provincial que local, sans omettre les Institutions d’appui à la démocratie », a-t-il déclaré en substance. Assurant ses compatriotes de sa ferme détermination à ce que « les prochaines élections, ouvertes du reste à tous ceux qui en réunissent les conditions légales d’éligibilité, soient un moment de célébration de la cohésion et de l’unité nationales ». Il va de soi que « les conditions légales d’éligibilité » se placent au-dessus des fameuses « mesures de confiance » dont l’extension élastique à leurs valets locaux est tant vantée par la fameuse communauté internationale (occidentale). Elles dissimulent en réalité des entorses à la constitution et aux lois de la République en prétextant de (faux) impératifs de paix et de sécurité.
J.N.