Terre de promesses et d’espoirs multiples, l’Afrique est vue comme le continent du futur. Comme pour confirmer ces espérances, le continent noir enregistre depuis plusieurs années une accélération de sa croissance économique, et cette tendance devrait se maintenir pour les prochaines années. Pourtant, l’accroissement de la richesse des nations africaines, ces dernières années, pourrait sembler de la « poudre aux yeux », tant elle peine à atteindre les populations même. A cet effet, certains des indicateurs les plus frappants, restent ceux du chômage et du sous emploi, dont la résorption ne suit pas le rythme effréné des croissances africaines…
Chômage et sous-emploi
Selon le Bureau International du Travail (BIT), le chômage est la situation de « toute personne âgée de plus de 15 ans, sans travail, immédiatement disponible pour occuper un emploi, qui recherche activement du travail », c’est-à-dire qui a effectué au moins un acte positif de recherche. Quant au sous-emploi, il pourrait être défini comme la situation de personnes « qui travaillent involontairement moins que la durée normale du travail dans leur activité et qui étaient à la recherche d’un travail complémentaire ou disponibles pour un travail supplémentaire ».
En Afrique, le fléau touche principalement les jeunes qui représentent déjà plus de 60% de la population.
Pour la plupart des experts, cette situation serait principalement due à une inefficacité des politiques publiques mises en place par les différents gouvernements africains depuis le début des indépendances. La rigidité des règlementations existantes dans les pays, réduisent la capacité des entreprises à créer à beaucoup d’emplois. De plus l’inadéquation entre l’offre et la demande du marché de l’emploi constitue également l’une des causes majeures de la croissance du chômage et du sous-emploi en Afrique.
La plupart des jeunes diplômés sortis des universités et centres de formations, ne répondent généralement pas aux besoins du marché de l’emploi. Ainsi, les écoles africaines formeraient plus de jeunes travailleurs aux sciences sociales, qu’aux sciences techniques.
A titre illustratif, Dramane Haidara, cadre de l’Organisation Internationale du Travail affirmait « Les économies africaines sont rurales à 80%, et pourtant il n’y a pas un seul lycée agricole digne de ce nom en Afrique ».
L’inadéquation entre l’offre et la demande du marché de l’emploi.
Selon les statistiques, si 10 à 12 millions de chômeurs arrivent sur le marché du travail chaque année en Afrique, seuls trois millions d’emplois sont créés, ce qui laisse environ 7 à 9 millions de chômeurs. Ainsi, non seulement le rythme de création d’emplois formels n’évolue pas au rythme des jeunes entrant sur le marché du travail, mais un nombre important de ces derniers, reste peu qualifié pour répondre aux exigences du marché du travail.
La quasi inexistence de l’adéquation formation-emploi, couplée au manque de vision des décideurs locaux expliqueraient donc le peu d’opportunités disponibles pour la jeunesse africaine qui se voit concurrencée par une ancienne génération plus « expérimentée » et généralement peu encline à laisser la place aux jeunes.
Des chiffres peu rassurants…
Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les pays de la région nord-africaine détiendraient le record des taux les plus élevés de chômage, parmi toutes les régions du monde. En 2017 le taux moyen du chômage dans la région était de 11,7% soit 8,7 millions de chômeurs. Cette situation s’expliquerait non seulement par le contexte géopolitique très tendu de la région, mais également par une prédominance, au sein de la population, des jeunes et des femmes qui sont les plus touchés par le phénomène. C’est le cas notamment de la Tunisie qui a enregistré un taux 15,4% au premier semestre 2018, soit plus que la moyenne régionale pour toute l’année 2017.
Si les chiffres de l’Afrique subsaharienne sont nettement moins élevés, il faut remarquer par contre que la courbe du chômage dans la région s’est inscrite dans une phase ascendante. Ainsi, en 2017, la région a connu un taux de chômage de 7,2% et ce chiffre devrait rester stable cette année selon l’OIT, mais monter d’un cran en 2019 pour atteindre 7,3%. Ceci implique donc que, de 29,1 millions de chômeurs enregistrés en 2017, la région devrait connaître une hausse de ses chômeurs à 30,2 millions en 2018 et 30,3 millions en 2019.
Malgré des taux croissance impressionnants (4,7% en moyenne entre 2000 et 2017) les pays africains restent donc marqués par des niveaux de chômage inquiétants, touchant à la fois les pays les plus riches comme les plus pauvres du continent. A titre illustratif, le taux de chômage en Afrique du Sud était de 27,7% en 2017 et la tendance devrait aller crescendo dans les prochaines années selon les prévisions de l’OIT. En Afrique centrale, la création nette d’emplois est négative dans le secteur formel depuis 2015, selon un récent rapport de l’Union Africaine (UA).
Les emplois de qualité se font de plus en plus rares pendant que l’informel prospère
Non seulement les économies africaines enregistrent de forts taux de chômage, mais les emplois précaires ne cessent de s’accroître sur le continent au fil des années. Ainsi, selon l’OIT, trois travailleurs africains sur quatre auraient un emploi vulnérable.
Dans un rapport publié récemment, l’UA indique que 282 millions de travailleurs africains ont un emploi vulnérable. Si les tendances actuelles persistent, la part de l’emploi vulnérable en Afrique restera à 66 % jusqu’en 2022 ; loin de l’objectif de l’Agenda 2063 de l’UA visant à atteindre moins de 41 % d’emplois vulnérables d’ici 2023.
D’un autre côté, la majeure partie des travailleurs africains sont généralement employés dans l’informel. Selon les statistiques de l’OIT, la part de l’informel dans les économies d’Afrique subsaharienne se situerait dans l’intervalle de 34% (l’Afrique du Sud) et de 90,6% (Bénin). La part importante du secteur informel caractérisé généralement par des niveaux élevés de pauvreté, d’inégalité et d’emploi de « faible qualité », traduisent ainsi le manque criard d’opportunités d’emplois formels auquel font face les demandeurs d’emplois africains.
Malheureusement, cette situation a de lourdes conséquences sur les perspectives de développement des nations africaines.
Un phénomène à fort social
L’impact le plus visible du taux de chômage en Afrique, se remarque sur le plan social. Ainsi, la persistance des phénomènes du chômage sur le continent, alimente bien souvent le flux important de migration, non seulement sur le continent africain, mais également hors du continent. Engendrant un accroissement de la pauvreté le chômage crée des climats de tensions sociales élevées (comme en Tunisie), qui sont favorables au développement du terrorisme et du banditisme.
Ces situations ont entraîné ces dernières années une accumulation des migrants clandestins africains en partance pour l’Europe. En 2017 par exemple, 17 millions de migrants auraient quitté la terre africaine dans « l’espoir de trouver un travail mieux rémunéré », selon un rapport de la Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED). Même si ces migrants contribuent au PIB des économies africaines grâce aux fonds qu’ils envoient à leurs familles au bout de leurs périples, leurs exodes constituent néanmoins une « fuite de la force de travail » qui reste préjudiciable aux économies africaines.
Les recettes sont pourtant connues
Multiplier les projets d’investissement nécessitant les compétences de la main d’œuvre locale, implique de mettre en place des programmes de formation, disponibles actuellement, mais également de penser aux plus jeunes, qui constitueront la prochaine génération de demandeurs d’emplois (23 millions de nouveaux demandeurs d’emplois d’ici 2050 selon l’ONU). Il est également nécessaire de mettre en place un système social permettant de garantir la pérennité de ces actions.
De plus la croissance doit être véritablement inclusive. Afin de bénéficier du fameux « dividende démographique », les pays africains doivent développer des programmes économiques ajustés à la croissance démographique.
En définitive, ce sont les modes même de gouvernance des Etats africains qui doivent être réadaptées afin de constituer une véritable réponse au problème du chômage, du sous-emploi et du développement économique. Un combat loin d’être gagné d’avance, surtout à l’ère des révolutions technologiques, où les machines semblent être de plus en plus menaçantes pour les emplois humains.
AVEC Moutiou Adjibi Nourou