En RD Congo, les 40 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales pour les scrutins du 23 décembre 2018 ont échappé, de justesse, à un nouveau « glissement » du calendrier électoral. Jusqu’au week-end dernier, les acteurs politiques, prompts à se répandre en imprécations plus ou moins hypocrites contre ce qu’ils présentent comme une dictature ou encore contre la Commission électorale nationale indépendante (CENI) espéraient encore faire durer leur plaisir. En obtenant in extremis une rallonge de la période prévue pour déposer les candidatures aux scrutins provinciaux. Si presque tous avaient bruyamment annoncé leur détermination à déposer les listes de leurs candidats avant la date limite des dépôts prévue dimanche 8 juillet 2018 à 16 heures 30’, en réalité, très peu parmi eux s’étaient montrés aptes à se soumettre à l’exigence objective et démocratique élémentaire de respect de cet engagement souscrit en âme et conscience.
Heures supplémentaires
Pourtant, depuis vendredi 6 juillet 2018, la Direction Générale des Recettes Administratives et Domaniales (DGRAD) qui est chargée de percevoir les cautions dues au titre des élections avait mobilisé ses services, leur imposant même de longues heures supplémentaires pour donner une dernière chance aux acteurs politiques retardataires. Samedi 7 juillet 2018 et dimanche 8 juillet, jours ordinairement fériés, les agents de ce service public relevant du ministère des Finances ont dû se rendre à leurs lieux de travail pour ne pas fournir un prétexte de plus aux acteurs politiques décidément plus versatiles que conséquents.
Jusque dimanche dans la mi-journée, seulement un dossier de candidature aux provinciales du 23 décembre 2018 était enregistré en bonne et due forme au BRTC de Ngaliema à Kinshasa, par exemple. Contre 12 dossiers à la Gombe, 3 à Lemba, et seulement 2 à Ndjili, ce quartier à forte densité populaire qui a vu les plus grands partis politiques de l’opposition radicale organiser moult rassemblements et manifestations publics pour appeler aux élections devant faire partir Joseph Kabila du pouvoir. A se demander où étaient passées les grandes gueules vedettes des radios et télévisions kinoises et périphériques qui se recrutent essentiellement dans les rangs de cette opposition où elles crient à longueur de journées leurs aptitudes à mieux gérer la République que quiconque sur la terre des hommes. Où s’amusent à dramatiser à outrance le moindre petit geste de « visibilité politique » réussi…
Politique-fiction : plus de candidats que des sièges pour l’UNC ?
A Lubumbashi dans le Haut-Katanga, le G7 Kyungu wa Kumwanza a rameuté une foule pour aller déposer la liste des candidats de « Ensemble pour le changement », la plateforme électorale katumbiste. Ancien président de l’Assemblée provinciale de l’ex province du Katanga, l’ex mobutiste, professionnel de la politique politicienne et artisan d’un nettoyage ethnique anti-kasaïen de triste mémoire, était pourtant attendu au tournant. « Tout le monde savait celui qui continue à se faire appeler ‘baba wa Katanga’ incapable de ne pas postuler et c’est sans doute pour ne pas perdre ce pion indispensable à sa propre survie dans le landernau politique congolais que Moïse Katumbi a été contraint d’autoriser du bout des lèvres la participation de ses affidés à des scrutins auxquels il ne pourra pas lui-même participera, à cause notamment de sa nationalité douteuse et de ses ennuis judiciaires », explique un élu provincial local à nos rédactions. Mais ce fut presque tout pour cette province dont est pourtant originaire le dernier gouverneur du Katanga, candidat prématurément déclaré à une présidentielle dont les portes semblent lui être irrémédiablement et définitivement closes.
Il est vrai que de partout ailleurs sur l’étendue de l’immense RD Congo, l’opinion n’a pas été gâtée par les nouvelles relatives au dépôt des listes des candidatures. Pas autant que furent décriées d’innocentes opérations électorales comme l’enrôlement des électeurs, ou encore la loi sur la répartition des sièges électoraux.
Dans les rangs de l’opposition radicale, l’UNC (Union pour la Nation Congolaise) de l’ancien speaker de l’Assemblée nationale Vital Kamerhe, on a vanté le dépôt, en fin de semaine, d’une liste de 1.115 candidats députés provinciaux. La formalité administrative est présentée comme un exploit de coupe du monde de football : « A 2h20’, le Président Vital Kamerhe a terminé et envoyé les fiches à la cellule électorale UNC où Maître Eustache et Molendo Sakombi ont supervisé le scanning jusqu’au petit matin. L’UNC a relevé le défi d’être le premier parti à expédier ses fiches à travers la RDC », écrit Michel Moto sur compte twitter. Encore que ces dépôts paraissent relever d’un mensonge cousu de fil blanc car, pour reprendre les mots d’un expert de la centrale électorale, « comment un parti peut-il se targuer d’aligner 1.115 candidats alors que la totalité des députés provinciaux sur les 26 provinces de la RDC est de 780, y compris les chefs traditionnels cooptés par leurs pairs » ?
Discrètes demandes de glissement
Du côté de la Majorité présidentielle, c’est l’ABCE Kin Kiey Mulumba qui s’est signalé en assurant que « J’ai tenu à déposer moi-même ce dimanche 8 juillet 12.00 tapantes, dans le délai, dans le respect du peuple souverain, en compagnie de mes équipes, les dossiers de candidature de notre regroupement au BRTC de la CENI à Masimanimba », propos de cet ancien ministre national, sociétaire de la majorité au pouvoir.
Pour le reste, le silence restait assourdissant dimanche après-midi.
En réalité, la CENI n’a pas chômé durant la période prévue depuis le 5 novembre dernier pour le dépôt des listes des candidats aux provinciales. La centrale électorale et ses animateurs croulaient sous des demandes de glissement. Du délai des dépôts, et donc aussi de la date des élections fixées au 23 décembre 2018. « Un véritable piège à cons de politiciens qui prétendent tenir aux dates fixées alors qu’ils font tout pour qu’il n’y ait pas des élections », se plaignait à notre reporter le préposé d’un BRTC de la capitale, très amer.
Samedi 7 juillet 2018, à quelques heures de la fermeture officielle des BRTC prévue dimanche 8 juillet à 16 h 30, le président de la CENI, Corneille Nangaa, a fini par céder aux demandes insistantes de prorogation des délais reçues en catimini. En accordant au vu et au su de tout le monde une longue entrevue aux acteurs politiques retardataires de la majorité présidentielle et de l’opposition radicale. Aux premières loges, l’Ecidé Martin Fayulu Madidi, le président extrêmement braillard d’un petit parti politique de l’opposition dont il est un des seuls deux élus nationaux depuis 2006. Mais aussi, Delly Sessanga, patron et unique élu de son petit parti politique, l’Envol, entre autres. Ainsi que Guy Mikulu, ministre et membre du secrétariat général de la majorité au pouvoir un peu en avance sur la date limite de dépôt des candidatures.
Technocrates accrochés aux principes
Néanmoins, les technocrates de la CENI se sont refusés à tout glissement politicien. Dans la salle de presse du siège de la centrale électorale, samedi dernier, Nangaa a rappelé le caractère « incompressible » du délai de 15 jours accordé aux acteurs politique pour le dépôt des listes des candidats aux provinciales. Il n’était donc pas question de le prolonger sans bousculer l’ensemble de l’édifice calendaire, d’autant plus que plus de 7000 formulaires avaient d’ores et déjà été retirés à un jour de la fin des opérations. « Les échanges ont permis aux deux parties de trouver un modus vivendi aux trois préoccupations suivantes des partis et regroupements politiques : les précisions sur les modalités pour remplir correctement les formulaires C2 et C5 par les Présidents des partis et/ou regroupements politiques ; les facilités à accorder aux candidats quant au paiement de la caution au niveau des représentations de la DGRAD et la présentation, dans le délai, des originaux des bordereaux de paiement au niveau des BRTC des circonscriptions électorales de tous les candidats inscrits sur les listes », rapporte une dépêche de la CENI. Et pas de glissement. Seulement une rallonge plus ou moins informelle et très technique : à l’heure de la fermeture des BRTC, ceux des délégués des partis politiques (présents dans la salle) qui auront reçu des jetons bénéficieront de 48 heures supplémentaires pour déposer leurs listes. C’est ce mardi 10 juillet 2018 à minuit que prend fin ladite rallonge technique accordée aux partis et regroupements politiques par la CENI.
Les dépôts de la dernière heure
Dimanche 8 juillet 2018 à 23 heures (heure de Kinshasa), le nombre de dossiers réceptionné avait grimpé à 449 candidatures, dont 152 venant des partis politiques, 281 des regroupements politiques et 16 des indépendants. Et de ces dossiers reçus, seulement 382 étaient soutenus par des preuves de paiement de la caution exigée.
Le dépôt des logos souffre, lui aussi, d’un grand retard. Sur les 600 partis politiques officiellement reconnus, seulement 367 ont déposé leurs logos officiels à la CENI. Ils ont été invités à le faire au plus vite, samedi dernier. Tout comme a été levée l’option de (re)mettre en place un cadre de concertation permanent CENI-partis et regroupements politiques. La structure avait en fait fonctionné jusqu’au… lancement des opérations pré-électorales, lorsque l’opposition radicalisée l’a dédaignée pour s’en aller en campagne dans les contre le processus électoral.
La première réunion de ce cadre de concertation (re) mis en place se tient est prévue pour ce mardi 10 juillet « afin de maintenir une interaction au profit d’un processus électoral consensuel et apaisé », selon la CENI.
J.N.