Il aura plus que fait sensation, l’acquittement prononcé par la chambre d’appel de la Cour Pénale Internationale (CPI), vendredi 8 juin 2018, en faveur de Jean-Pierre Bemba Gombo. Parce qu’il relance la polémique sur l’objectif réel de cet instrument juridique international que les puissances occidentales se sont procurées il y a quelques décennies. La Cour a décidé, à la majorité des voix de ses 5 juges (la décision judiciaire n’en paraît que plus démocratique) d’acquitter le sénateur rd congolais mais néanmoins ancien chef de guerre, des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour lesquels il avait été condamné 10 ans plus tôt, en mai 2010. Telle est la sentence revue, prononcée par la juge-présidente, Christine Van den Wungaert au l’audience publique. Même si deux de ses collègues, Sanji Mmasenono Monageng et Piotr Hofmanski ont voté contre cette décision de la cour et s’en sont expliqués, selon les usages. Ils ont été battus, comme à la régulière, par les votes favorables à l’acquittement exprimés par les juges Chile Eboe-Osuji, Howard Morrison et Christine Van den Wyngaert elle-même : « après examen de toutes les observations écrites des parties et des participants, ainsi que des observations présentées oralement lors d’audiences en appel tenues en janvier 2018, la Chambre d’appel a conclu, à la majorité, que la Chambre de première instance III avait commis des erreurs à deux égards importants : 1- Elle avait condamné à tort M. Bemba pour des actes criminels spécifiques qui étaient en dehors de la portée des charges telles que confirmées ; et ; 2- Lorsqu’elle a examiné la question de savoir si Jean‑Pierre Bemba avait pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher, réprimer ou punir la commission par ses subordonnés des autres crimes relevant de l’affaire, la Chambre de première instance a commis un certain nombre d’erreurs graves. Plus spécifiquement, la Chambre de première instance a commis une erreur dans son évaluation des motivations de M. Bemba ainsi que des mesures qu’il aurait pu prendre compte tenu des restrictions auxquelles il devait faire face, en tant que chef militaire éloigné de ses troupes déployées à l’étranger, pour enquêter sur les crimes et en poursuivre les auteurs ; de la question de savoir si Jean‑Pierre Bemba avait entrepris des démarches pour renvoyer les allégations de crimes devant les autorités de RCA ; et s’il avait intentionnellement limité le mandat des commissions et des enquêtes qu’il avait mises en place. En outre, de l’avis de la majorité de la Chambre d’appel, il y avait un écart entre le nombre limité de crimes entrant dans le cadre de l’affaire dont M. Bemba a été tenu responsable et l’évaluation par la Chambre de première instance des mesures que l’intéressé aurait dû prendre. Sur cette base, la Chambre d’appel a conclu, à la majorité, que M. Bemba ne saurait être tenu pénalement responsable, au sens de l’article 28 du Statut de Rome, des crimes entrant dans le cadre de l’affaire et qui ont été commis par les troupes du MLC pendant l’opération menée en RCA et qu’il doit en être acquitté », a estimé la Cour.
Dix ans de réclusion
Ainsi s’est clôturée la “saga judiciaire Bemba”, c’est-à-dire, aussi abruptement qu’elle avait commencé en mai 2008. Lorsque le candidat malheureux à la présidentielle qui s’est tenue dans son pays en 2006 est interpellé par la police belge le 24 mai à sa résidence cossue de Rhodes-Saint-Genèse, un quartier huppé de Bruxelles, ce n’est pas pour les crimes commis en RD Congo. Parce qu’après la proclamation des résultats de ces premières élections libres, transparentes et démocratiques, les partisans de l’ancien chef de guerre affrontent l’armée loyaliste en pleine ville de Kinshasa. Provoquant de nombreuses pertes en vies humaines, dont celle d’un célèbre et prospère cambiste kinois, Hugo Tanzambi. Mais non. Ce n’est pas pour ces troubles que JPB est arrêté et prestement transféré à Cour Pénale Internationale à La Haye, au Pays-Bas. C’est pour des événements qui s’étaient déroulés 5 ans plus tôt, lorsque l’ALC (Armée de Libération du Congo, la branche armée du MLC) a volé au secours du président Centrafricain Ange Patassé menacé par les rebelles du Général Bozize qui déferlaient du Tchad voisin. Sous les ordres de Moustapha Mukiza, le contingent bembiste diligenté à Bangui s’est rendu coupable d’exactions contre les civils, de pillages, de vols et de viols et d’assassinats, considérés comme relevant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Pour mettre le grappin sur l’ancien vice-président de la République en RD Congo comme on l’aurait fait du premier malfrat venu, le procureur de la CPI, Luis Moreno O’Campo, argue du fait que des informations en sa possession indiquent que Jean-Pierre Bemba s’apprête à filer vers un pays non signataire du Statut de Rome instituant l’instance judiciaire internationale. Deux ans après, le patron du MLC et de l’ALC est reconnu coupable en vertu du principe de la responsabilité pénale du chef hiérarchique. Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par les troupes de l’ALC en Centrafrique furent ainsi imputés à l’ancien chef-rebelle, même s’il était de notoriété publique qu’il se trouvait à quelques milliers de km du terrain des opérations militaires. Une condamnation de 18 ans de réclusion, annulée comme par enchantement vendredi 8 juin 2018, fut prononcée à son encontre.
Aucune responsabilité Centrafricaine
Pourtant, de l’autre côté de la rivière Ubangi, Jean-Pierre Bemba avait volé au secours d’un pouvoir légalement établi. Ange Patassé était le président de la République Centrafricaine légalement élu à l’époque des faits, et son adversaire, François Bozizé, qui prendra le pouvoir aussitôt les renforts de l’ALC retournés en RD Congo, un chef-rebelle dont les troupes ne furent pas exemptes de diverses exactions contre les populations civiles. Loin s’en faut. A Bangui, plusieurs mois après le coup d’Etat du Général François Bozizé, les exploits des rebelles venus du Tchad étaient encore sur toutes les lèvres. Elles faisaient état d’exactions allant jusqu’à l’existence de fosses communes, qui restaient à prouver, à certains endroits de la capitale. Mais rien n’y a fait.
Au procès contre Jean-Pierre Bemba à la CPI, Ange-Félix Patassé fut, lui aussi, poursuivi des mêmes chefs d’accusation. Mais aussi curieux que cela paraisse aujourd’hui, aucune charge ne fut retenue contre le défunt Chef d’Etat Centrafricain. Même pas après que Moustapha Mukiza, entendu comme témoin à la CPI, eût soutenu qu’il recevait les ordres du centre de coordination des opérations militaires dirigé par les officiers du président Patassé. Ni, non plus, lorsqu’un expert militaire Français également entendu par la Cour expliqua qu’«un chef des opérations, ça doit se trouver sur place pour prendre des décisions opérationnelles ». Il fallait coûte que coûte infliger une sanction exemplaire à l’ancien chef-rebelle rd congolais qui, selon certaines sources à Bangui, aurait porté sérieuses atteintes aux intérêts financiers français dans la capitale Centrafricaine.
Arrêts controversés
En condamnant Jean-Pierre Bemba à 18 ans de réclusion criminelle, puis en décidant de son acquittement pour les crimes dont il avait été convaincu il y a dix ans, la CPI n’aura pas réussi à redorer un blason qui empeste l’ingérence néocoloniale. La célérité avec laquelle les deux décisions judiciaires ont été prises prête le flanc aux reproches adressés à l’instance judiciaire internationale accusée de prononcer des sentences politiques enrobés de principes de droit. Jean-Pierre Bemba Gombo ne pouvait seul être condamné en vertu du principe de la responsabilité du chef hiérarchique, et Ange-Félix Patassé, le chef des armées malmenées par les rebelles de François Bozizé, s’en tirer comme un Général de l’Armée du Salut. Tout comme un fait malheureux demeure à l’issue de la sentence prononcée le 8 juin 2018 : à Bangui, des crimes avaient été commis qui avaient fait des victimes. L’arrêt rendu par la chambre d’appel n’en pipe mot et est, lui aussi, frappé du sceau de l’imperfection autant que celui prononcé il y a 10 ans. On ne sort pas de l’auberge.
Le droit semble répondre d’impératifs politiciens. Tout se passe comme si les motivations qui ont commandé l’arrestation suivie de l’incarcération de Jean-Pierre Bemba avaient suffisamment évolué pour le relaxer et le retourner dans l’arène politique en RD Congo. L’acquittement du patron du MLC a donc tout l’air d’un cadeau politique. Mais cadeau pour qui ? Pas pour JPB (au-delà de sa remise en liberté) ni pour le peuple Congolais, à l’évidence.
J.N.