Ils ont finalement eu lieu, les obsèques de Rossy Mukendi, l’activiste des droits humains, ainsi qu’on présente désormais cette victime des tentatives insurrectionnelles fomentées par le Comité Laïc de Coordination (CLC), créé par le cardinal Laurent Monsengwo, mort par balles en caoutchouc tirées à bout portant par un policier le 25 février 2018.
Vendredi 18 mai, la dépouille mortelle de l’homme de 35 ans a été levée de la morgue de l’hôpital général de référence de Kinshasa autour de 11 heures. Le cortège funéraire, entourée d’une escouade d’activistes et de militants de mouvements dits citoyens, de membres de sa famille et d’au moins deux jeeps de la police, a gagné la place Assanef dans la commune de Lingwala près d’une heure plus tard, à 12 heures environ. Sans encombres donc, malgré l’atmosphère pesante que la pluie fine qui arrosait la capitale de la RD Congo ce jour-là n’atténuait guère. Vêtus de T-Shirts à l’effigie du défunt, signe d’une organisation financière plus ou moins élaborée, les activistes, scandant des chansons et des slogans en hommage à Rossy Mukendi, appelaient à « la vengeance ».
Requiem, une célébration de plus, vendredi 18 mai
Conformément au communiqué de presse publié jeudi 17 mai par le CLC, une messe de requiem à laquelle avait été conviés « …tous les frères et sœurs dans le Christ, croyants, membres des mouvements citoyens, hommes et femmes de bonne volonté », en fait les manifestants de tous acabits « habitués des casses publiques politiquement motivées », selon le commentaire de cet élu de la majorité au pouvoir à Kinshasa, a été célébrée à la cathédrale Notre Dame du Congo, à quelques encablures de la place Assanef. Un peu comme pour mobiliser et requinquer des « troupes » plus ou moins ramollies avant l’assaut, l’officiant du jour avait, d’une voix de stentor, lancé du haut de la chaire que « le peuple gagne toujours », un slogan attribué au disparu et qui, selon le prélat, renfermerait « une dimension divine qui est une invitation à l’amour véritable de chaque vie ». Ce fut tout ou presque, en ce premier jour de ces obsèques attendues depuis plus de deux mois, pas le jour suivant, samedi 19 mai 2018.
Aux derniers adieux à Rossy Mukendi se sont invités en masse des acteurs politiques de l’opposition radicalisée rd congolaise, en plus de nombreux « participants ». Au point d’éclipser malencontreusement cet autre frange d’acteurs politiques que l’on désigne sous le terme d’activistes des mouvements citoyens, dont le défunt se réclamait. « Cher camarade Rossy. Nous t’élevons au rang de héros national par ta qualité de vie », s’était écrié l’un d’entre eux, frénétiquement applaudi par ses pairs. Mais ce n’était rien par rapport à l’assaut en règle d’acteurs politiques avides de visibilité au point d’éclipser totalement la famille du défunt dont les parents ont même manqué de place sur les travées de la cathédrale, vendredi soir.
CLC : appel au suicide déguisé en oraison funèbre
A commencer par le fameux CLC. Les affidés de Laurent Monsengwo se sont fendus d’un appel au suicide digne des djihadistes déguisé en oraison funèbre lorsqu’ils se sont mis à louer les « attitudes d’un courage inoubliable … jusqu’à refuser de capituler en plein milieu de la bataille » ; « Tu l’avais prédit : « nous allons colorer le sol congolais de notre sang, pourvu que nos enfants ne vivent pas esclaves dans leur propre pays », ont-ils fait dire au défunt ; promettant que « ce combat là ne s’arrêtera pas tant que les libertés publiques seront confisquées, les biens publics et les ressources nationales privatisés et l’avenir de toute la communauté, sacrifiée à l’autel des ambitions démesurées de quelques fils égarés et inconscients ».
L’inénarrable Martin Fayulu, président d’un petit parti de l’opposition radicale qui ne compte pas plus d’un député à la chambre basse du parlement, déjà présent à l’arrivée du corps du défunt à la Place Assanef vendredi en début d’après-midi s’était pour sa part lancé dans un commentaire de son cru en soutenant que « le combat de Rossy Mukendi m’inspire que le peuple gagnera et que Kabila partira, qu’il le veuille ou pas », ajoutant avec des trémolos dans la voix : « Ce que je peux promettre c’est de continuer son combat qui a commencé depuis Kimbangu, Lumumba et tant d’autres. Il y a d’autres qui sont dans les charniers de Maluku et partout dans les 26 provinces de notre pays, c’est totalement inadmissible ». Avant de transcrire dans le livre des condoléances disposé à cet effet : « On ne peut pas accepter au 21ème siècle qu’on arrache les gens comme ça et qu’on tue à bout portant quelqu’un qui veut la démocratie dans son pays ».
Plus fantasque que jamais, Jean-Marc Kabund, le même qui revendiquait la « propriété » des supplétifs qui, comme Rossy Mukendi, remplissaient les rangs des fidèles du CLC de Monsengwo, en a profité lui aussi pour s’offrir en spectacle. Un peu plus sobrement, il est vrai car il s’est contenté de déclarer que la meilleure façon d’honorer la mémoire du défunt était d’obtenir la mise en œuvre de l’Accord du 31 décembre 2016 « pour que nous ayons les meilleures élections dans ce pays ».
Cortège funèbre politique et sacrilège
Samedi dernier, les esprits ainsi suffisamment échauffés, le cortège funèbre de Rossy Tshimanga pouvait s’ébranler. Non pas directement vers sa dernière demeure, au cimetière dit de la Nécropole entre ciel et terre, à une trentaine de kilomètres de la Place Assanef, mais pour une procession à pieds à travers les artères de la capitale. Transporté par des « sportifs », le cercueil avait gagné le boulevard Triomphal à hauteur du Palais du Peuple, plus de 1.000 mètres plus loin, perturbant la circulation très dense, lorsque la police a décidé de mettre un terme à cette procession non prévue au programme en dispersant tout ce beau monde à l’aide de gaz lacrymogène. « On était bien parti de la cathédrale. Lorsque nous sommes arrivés au niveau du Triomphal, on nous a interdit l’accès au Palais du peuple. C’est là qu’on nous a lancé des gaz lacrymogènes. Ils nous ont obligés de déposer le corps par terre, et son cercueil est resté pendant 30 min sur le sol. La police est venue après avec plusieurs jeeps, ils ont mis le corps dans le corbillard », rapporte une jeune activiste éploré qui avoue le but des agitateurs : vandaliser le siège de l’Assemblée nationale et du Sénat.
En réalité les obsèques tournaient cirque révolutionnaire lorsque les forces de police sont intervenues. Interrogé par la presse, le patron de la PNC ville de Kinshasa, le général Sylvano Kasongo, assure qu’en concertation avec la famille, ses éléments avaient plutôt sécurisé le corps du défunt. « Arrivé au niveau du boulevard Triomphal, ils voulaient faire entrer le corps au Palais du Peuple. C’est tout simplement impensable. Il y a eu altercation avec la police qui devrait mettre de l’ordre. C’est comme ça que nous avons négocié avec la famille, puis on les a escortés jusqu’au cimetière. Ils ont inhumé eux-mêmes leur fils dans la dignité et sans problèmes. La police n’a à aucun moment récupéré le corps. La police a sécurisé le corps de Rossy Mukendi comme elle en a le devoir », a-t-il déclaré. Plus tranchant que le général policier, un criminologue interrogé par Le Maximum assure qu’« ils ont voulu profiter de l’émotion causée par la vue du cercueil renfermant le corps de la victime pour canaliser un mouvement de révolte et initier une insurrection qui aurait pu tourner au drame ».
Surexploitation politique
De Rossy Tshimanga, qui est allé à la rencontre de la mort en délaissant sa paroisse de la commune de Ngaba pour la paroisse St Benoît de Lemba plusieurs kilomètres plus loin, et l’esprit et le corps auront été ainsi surexploités à des fins politiciennes. Suffisamment pour que certains parmi les organisateurs des obsèques du défunt s’en révoltent, publiquement. Mercredi 23 mai 2018, les activistes de la Lucha ont publiquement dénoncé le comportement d’acteurs politiques de l’opposition aux obsèques d’un des leurs. «Nous nous approchons des élections et nous savons que les politiques sont rusés. Même au deuil, les opposants nous ont démontré qu’ils partent en ordre dispersé. Pourquoi ils n’ont pas fait un discours commun comme nous. Ils se sont affichés à la messe pour leur propre publicité. Ils sont venus pour faire une compassion de façade et non de fond. A l’Église ils se sont précipités pour occuper les premières places alors que même les parents du pauvre Rossy Mukendi ont manqué de place. Cela justifie le fait qu’aucun d’entre eux n’ait été visible pendant l’office religieux », déplore un de ces activistes. Une duperie éventrée.
Les récupérateurs de la mort de Rossy Mukendi auront dédaigné les vrais et derniers adieux, à la Nécropole entre ciel et terre. De même qu’ils n’ont envisagé aucune suite à ce qui est devenu l’affaire Rossy Mukendi, qui se poursuivra sans eux. Le procès autour du décès du « chrétien » de la paroisse St Benoît de Lemba s’ouvre ce vendredi 25 mai 2018, apprend-on de sources judiciaires à Kinshasa. En fait, dès le 26 février dernier, la police avait annoncé l’arrestation d’un des suspects du tir qui a coûté la vie à Rossy Mukendi, survenu à l’occasion d’une des marches non autorisées organisées à l’appel du CLC. Mi-mars, la justice militaire ordonnait une seconde autopsie du corps du défunt pour déterminer s’il avait succombé à une balle réelle ou à une cartouche à blanc tiré à bout pourtant, selon les premières hypothèses de la police. Une affaire à suivre.
J.N.