Qui est Adolphe Muzito, ce nouveau candidat à la présidence de la République ? La question paraît inutile vue sa notoriété, mais bien intéressante lorsqu’il s’agit de décliner le profil de ce personnage politique qui en surprend plus d’un par sa démarche toute en zigzag et suscite des interrogations par rapport au relent d’opportunisme qu’elle charrie. Ancien de Kinshasa, Léon Kroegell s’est souvenu de Muzito sur qui il a un regard plutôt inattendu.
Né en 1957 à Gungu (province du Bandundu) en terre gizengiste, Adolphe Muzito Fumutshi est une figure politique bien connue dans les rangs du Parti Lumumbiste Unifié (PALU) où on lui attribue souvent une certaine visibilité grâce à sa proximité tribalo-régionale avec Antoine Gizenga. Même si cela ne se voit pas beaucoup de l’extérieur, il dispose, pendant plusieurs années, d’une certaine influence au sommet de cette formation politique aux allures d’un parti des prolétaires porté parfois sur le spiritualisme plutôt que sur l’idéologie. Aux élections de 2006, par exemple, les militants du PALU s’étaient passés le mot pour porter sur soi une motte de terre au moment du vote, sans quoi ils allaient subir les foudres de « mbuta Gizenga ».
Dans les années 80-90, j’ai personnellement connu Muzito comme inspecteur des finances qui jouissait d’une petite aisance matérielle que ne pouvaient justifier, à l’époque, que des pratiques évidentes dans une économie qui ne l’était même plus de nom. Muzito figurait pourtant parmi la crème des flics du fisc sélectionnés par la Banque Mondiale lors d’un recrutement dont firent également partie des figures comme Olivier Kamitatu. Mais sous les tropiques, ce genre de détails ne pèse pas toujours dans la pratique et la quête du bien-être…
La fortune après l’affaire « Khanafer »
Bref, cette aisance se renforce dans les années ‘94 au terme d’enquêtes internationales menées sur les filières des faux monnayages sous la primature de Kengo pendant la transition de Mobutu. Ayant figuré parmi les enquêteurs qui ont sillonné l’Europe, l’Asie et l’Amérique australe dans l’«affaire Khanafer ».
A la chute de la dictature et avec la relance des négociations politiques, Adolphe Muzito est, avec l’ingénieur Godefroid Mayobo, un des négociateurs du PALU pour le dialogue intercongolais qui se tient à Sun City. Il devient ensuite un des députés Palu sous la transition 1+4. La baraka – il faut le considérer ainsi – lui sourit lorsqu’en 2008, au terme de deux années d’exercice de la fonction de Premier ministre obtenue sur base d’une alliance politique passée avec Joseph Kabila entre les deux tours de la présidentielle de 2006, Antoine Gizenga jette l’éponge pour raison de santé. Le PALU – ou, nuance de taille, Antoine Gizenga -, qui détient la primature, le désigne pour reprendre ce poste.
Scandales sous la Primature
Muzito est alors premier ministre pendant quatre ans. Quatre années d’une saga à la primature d’où fusent de terribles scandales autour de la gestion des affaires publiques. Celui qui se fait désormais appeler « Mfumu mpa » affiche de subits signes extérieurs de richesse qui laissent pantois. En un clin d’œil, il se bâti un empire immobilier et crée une compagnie aérienne avec un avion, autant qu’il ouvre une chaîne de télévision connectée sur satellite et équipée de matériels de la dernière génération technologique.
On n’oublie pas cette photographie qui lui est attribuée et sur laquelle on aperçoit une liasse de dollars calée dans une chaussette contre son tibia…
A l’Assemblée nationale, l’homme est attrait par une motion à ce sujet, mais il en échappe belle grâce à la solidarité de la majorité présidentielle dont il fait partie. Pendant ce temps, sa famille biologique se distingue par des frasques financières qui soulèvent des tollés, notamment dans des aéroports européens et américains où sa femme et l’une de ses filles sont surprises avec des sommes très importantes d’argent en liquide par devers elles. Sans compter ses autres fils qui flambent dans des discothèques de Kin la curieuse et très bavarde capitale congolaise…
Le mandat de Muzito est ainsi rythmé jusqu’à sa remise et reprise avec Augustin Matata Ponyo à qui il lègue une économie en friche qu’il n’a pas su, tout licencié en économie de l’Université de Kinshasa qu’il est, faire décoller malgré l’atteinte du point d’achèvement de l’IPPTE qui a vu s’effacer près de 12 milliards Usd de la dette extérieure de la RDC. Pendant plusieurs mois et retourné à l’Assemblée nationale où il a repris son siège de député national, l’homme fait profil bas avant de s’engager dans une démarche qui se veut intellectualiste avec une série de lettres grandiloquentes qu’il s’amuse à faire publier à grand frais dans la presse écrite avant d’initier des cafés de réflexion dans le même genre.
A cache-cache au Palu
Ses initiatives en électron libre attirent l’attention, et le courroux, de son parti politique, le PALU, où l’on s’interroge sur la finalité de ses réflexions qui, à tout prendre, prennent à contre-pied l’alliance de ce parti avec la majorité présidentielle à travers son autorité morale, Joseph Kabila. Après une série d’interpellations sans succès, Adolphe Muzito est déchu de toutes ses responsabilités au sein parti où il est réduit au rang de simple membre, entraînant dans sa déchéance Lugi Gizenga, fils du patriarche et jusque-là N° 2 du Parti qui avait « mangé dans sa gamelle », selon un initié. La sanction semble, cependant, lui donner encore des ailes, puisque le penseur redouble d’ardeur dans ses productions pseudo politico-intellectuelles.
En 2017, Muzito revient brièvement aux affaires au sein du parti avant d’être à nouveau défenestré. Sans se décourager, il va plus loin et franchi le Rubicond pour s’auto-déclarer candidat à la prochaine présidentielle. Et très récemment, dans une interview sur Rfi, il se déclare également opposant « comme tout le peuple congolais » comme si tout un peuple pouvait penser de la même manière.
Depuis longtemps, Muzito ne se voilait plus la face pour tirer à boulets rouges sur ses partenaires politiques sous prétexte que l’alliance qui les unissait était « arrivée à échéance » et que chacun avait désormais pris ses libertés.
Chose que contredit Gizenga qui, les mois derniers, a eu des rencontres directes avec Joseph Kabila dans le cadre des perspectives électorales. Chose que contredit aussi la présence d’au moins deux ministres PALU, dont le ministre d’Etat Lambert Matuku Memas et l’inamovible Martin Kabwelulu, dans les gouvernements successifs depuis le départ de Muzito de la primature.
A quel moment donc Muzito peut-il situer la fin du mariage politique entre le PALU et la majorité par la voie de son autorité morale ? A quel moment cette éventuelle séparation tirerait-elle aussi un trait sur le bilan partagé qui, dans son discours, n’incomberait plus qu’au partenaire alors que lui-même a été, de notoriété publique, le plus grand bénéficiaire de cette alliance, même plus que Antoine Gizenga en personne ?
Escroquerie des alliances ?
Pour atypique qu’il puisse être, Adolphe Muzito ne se distingue nullement de tous ces dissidents de la majorité qui veulent aller au « lavoir » de l’opposition par simple opportunisme politique pour se positionner en perspective des prochaines élections. Dans cette logique, tout le discours qu’il a développé à travers ses tribunes aux relents d’une manipulation politicienne est teinté de malhonnêteté intellectuelle et d’inélégance politique.
C’est, en effet, à croire que dans ce pays de Lumumba, il suffit de prononcer le mot magique « opposant », et surtout d’y adjoindre l’autre mot « peuple », pour se parer d’une sainteté politique. En agissant ainsi, Adolphe Muzito aura porté la pire des insultes au lumumbisme dont il se réclame à longueur de journées, pire que Mobutu Sese Seko, celui-là même qui, après avoir été secrétaire d’Etat attaché au premier Premier ministre congolais assassiné en 1961, sera aux premières loges du complot pour son élimination physique pour ensuite se réclamer, toute honte bue, de son idéologie.
A sa place, et après certaines contradictions avec le PALU dont il fut également l’un des membres influents, le Professeur Daniel Mukoko Samba, avait quitté ce parti en janvier 2017. De manière plus élégante, il est vrai.
Le Maximum avec Congo Virtuel
Titre original : Léon Kroegell, « Adolphe Muzito : cursus d’un présidentiable atypique »