Membres des partis politiques des anciens seigneurs de guerre, ils ont usurpé en s’exprimant au nom de 16 non signataires de leur déclaration du 18 avril 2018.
Presqu’au même moment où le président de la République animait une rencontre politique avec les élus élargie aux communicateurs de la majorité présidentielle, lundi 16 avril 2018 à la Cité de l’OUA à Kinshasa, se tenait une plénière de l’Assemblée nationale dont l’ordre du jour prévoyait l’audition du ministre national de la défense, initiée par un député élu de l’opposition politique sur la situation sécuritaire à Beni au Nord Kivu. Dans sa communication aux élus de sa famille politique, dont 16 sont originaires de la région du Nord-Kivu, Joseph Kabila a épinglé la situation sécuritaire plus que déplorable à Beni et ses environs, et invité les députés à se constituer en commissions d’enquêtes multiethniques pour se rendre compte des réalités sur le terrain des affrontements, conscientiser les populations, soutenir les forces armées et, naturellement, proposer des solutions idoines à cette guerre asymétrique qui n’en finit pas de faire des victimes parmi les populations civiles et les éléments des forces armées. Selon des sources parmi les participants à la rencontre de la Cité de l’OUA, le Chef de l’Etat a également condamné la constitution des groupes armés ethniques qui prétendent « défendre les intérêts des populations autochtones ». Principalement, des groupes d’autodéfense Hutu et Nande sévissant dans la province du Nord Kivu qui compromettent gravement la convivialité entre ces deux ethnies. Le danger de la stigmatisation ethnique par de tels groupes armés est porteur de graves conséquences sécuritaires, avait expliqué Joseph Kabila, épinglant au passage l’incendie de sa résidence à Musienene, non loin de Butembo au Nord-Kivu, par des groupuscules mai-mai se réclamant de l’ethnie Nande.
Battus à la régulière à l’Assemblée Nationale
Le même jour à l’Assemblée Nationale, une motion incidentielle de la député MP (Majorité Présidentielle) Vicky Katumwa s’était fondée sur l’impératif du secret défense sur des opérations militaires en cours dans la région de Beni-Butembo pour inviter la plénière de l’Assemblée nationale à surseoir à toute interpellation retransmise en direct sur les antennes de la télévision publique du ministre de la défense. Après les débats d’usage sur la motion, la plénière avait décidé de surseoir à l’interpellation du ministre Crispin Atama Tabe.
La réunion de la Cité de l’OUA et cette décision de la plénière de la chambre basse du parlement ont suscité le courroux d’un groupe de députés de l’opposition originaire de la province du Nord Kivu. Dans une virulente déclaration aux médias, largement répercutée dans les réseaux sociaux, 13 des 29 élus de la province sont montés au créneau pour dénoncer ce qu’ils considéraient comme « la violation de l’article 148 de la constitution et des dispositions du règlement intérieur de la chambre basse du parlement relatives au contrôle parlementaire ». Dans la foulée ils ont présenté les propos du Chef de l’Etat comme ciblant exclusivement les populations Nande. « Le fait pour l’Assemblée nationale d’étouffer tout débat public sur le massacre des populations notamment à Beni, Lubero, Rutshuru, renforce le sentiment d’abandon total d’une partie du peuple congolais livré à l’holocauste des tueurs sans foi ni loi par les plus hautes institutions de la République », ont affirmé les 13 signataires de cette déclaration du 18 avril 2018. Qui ont insinué, aussi absurde que cela paraisse aux yeux d’une partie de l’opinion, que « c’est un débat parlementaire qui renforcerait le sentiment de solidarité avec les victimes de l’insécurité récurrente dans la région de Beni ». Une observation rejetée par un notable Nande responsable de la CCU (Convention des Congolais Unis) dans la ville de Beni s’adressant à nos rédactions.
Solidarité verbale télévisée pour Beni ?
Quant aux propos attribués à Joseph Kabila, les signataires de la déclaration du 18 avril 2018 dénoncent ce qu’ils présentent comme la stigmatisation du groupe ethnique Nande « … qui a toujours eu l’impression de faire l’objet d’une action punitive et destructive de la part du régime en place ». Stigmatisation ? Que non, assure un parlementaire ayant participé à la réunion politique de la Cité de l’OUA pour qui il s’agit là d’« une réaction totalitariste de type nazie qui ne dit pas son nom. Notre autorité morale a parlé des criminels et Hutu et Nande qui écument le Nord-Kivu sous prétexte de défendre leurs ethnies respectives. Les élus Hutu auraient été fondés de réagir, eux-aussi, si Joseph Kabila avait mal fait de dénoncer l’existence des groupes armés ethniques ! ».
La déclaration signée des honorables Lusenge K. Bonane, Muhindo Mulemberi, Paluku Malisse Malisawa, Arsène Mwaka, Balikwisha Juma, Kambale Kalimumbalo, Kiove Kola, Mbindule Mitono, Kiro Tsongo, Muhindo Nzangi, Paluku Syayipuma, Bakatshuraki Kavusa, et Kakule Shahetera, a été ramenée à sa quintessence et à sa portée réelle par de nombreux intéressés. Notamment, le caucus des élus PPRD, le parti présidentiel, de la province du Nord-Kivu ainsi que par un autre notable Nande membre du cabinet présidentiel à Kinshasa dès le 20 avril 2018. Ils lui ont opposé un argumentaire qui ne manque pas de pertinence.
Anciens des groupes rebelles
En effet, la déclaration des députés membres du caucus du PPRD fait ressortir le fait que les signataires de la déclaration polémiste du 18 avril représentent « … une petite frange de députés nationaux de l’opposition qui, pour la plupart, sont membres des partis politiques des anciens seigneurs de guerre d’avant le Dialogue intercongolais de Sun City … ». « C’est une forme de dénonciation du comportement nostalgique de ces acteurs politiques qui ont régné militairement dans la région et n’ont pas arrêté de faire le deuil des pouvoirs de potentats que le gouvernement central a récupéré », explique au Maximum un étudiant de l’Université de Kinshasa, originaire de la région de Butembo. La déclaration des députés PPRD signée par l’honorable Julien Malikidogo soutient que « la motion soulevée par la député nationale Vicky Katumwa avait été soumise aux débats et que c’est en toute souveraineté que cette plénière avait décidé démocratiquement dudit rejet ». Mais elle rappelle également que sur les massacres des populations civiles déplorés dans la région de Beni, il n’y a point étouffement de débat, en raison « … non seulement des procès publics à Beni pendant plus d’une année et des condamnations (qui ont été) prononcées publiquement dont certains condamnés sont proches des anciennes rébellions … ».
Elus nationaux ou élus ethniques ?
L’autre réaction contre la déclaration des 13 parlementaires nordkivutiens émane de Léonard Kambere, ci-devant originaire de la région de Beni-Butembo et néanmoins conseiller au cabinet du président de la République. Il est l’auteur d’une « lettre ouverte aux Députés du « Grand Nord Kivu » » dans laquelle il se déclare surpris de découvrir « que désormais vous détenez le mandat et la qualité d’engager la communauté Nande à laquelle j’appartiens. Information que je n’avais pas ». Et c’est parti pour une série d’observations : « Vous n’êtes pas, s’il vous plait, des députés des Nande, tout en étant des Nande, puisque vous n’avez pas été élus que par des Nande. Vous êtes Députés du peuple que vous devez engager et continuer à défendre. Lorsque vous commencez à ne vous occuper que de l’unique communauté, j’estime qu’il y a dérapage », soutient Léonard Kambere. « Pour ma part, ladite déclaration des Députés Nationaux a occulté l’essentiel : la mission parlementaire cosmopolite sur terrain, proposée par le Chef de l’Etat. Entre une motion d’interpellation et une enquête parlementaire, qu’est-ce qui est mieux ? N’est-ce pas une occasion d’or de permettre aux élus du peuple appartenant aux différents groupes ethniques confondus, de rencontrer les représentants attitrés des communautés citées (Hutu et Nande) sur terrain pour palper du doigt, la triste réalité et proposer des solutions idoines ? Objectif : Terminer les guerres, pour le bonheur de tous. J’espère qu’il n’y a pas une fuite en avant », poursuit l’auteur de la lettre ouverte, après avoir énuméré plus d’une dizaine de réalisations de Joseph Kabila en faveur de la communauté Nande.
Commentaire du responsable CCU (Convention des Congolais Unies/majorité présidentielle) à Beni au Maximum : « Les 13 parlementaires auront raté là une belle occasion de se taire. Leur déclaration n’aura en définitive été qu’un bruyant coup d’épée dans l’eau ».
J.N.