Littéralement sonnée par les positions clairement exprimées en faveur du processus électoral en cours en RD Congo, l’opposition politique s’est brusquement réveillée à la faveur d’assauts contre la machine à voter et pour tout dire, les élections de décembre 2018 lancés par ses parrains européens au cours des dernières semaines. Mercredi 11 avril 2018, presque deux mois jour pour jour après la douche froide que furent les positions très fermes entendues au cours d’au moins deux réunions consacrées à la situation politique rd congolaise au conseil de sécurité des Nations-Unies, des acteurs de l’opposition dite radicale se sont mis d’accord … contre la machine à voter et, en fait, contre les élections prévues pour la fin du mois de décembre prochain. Au terme d’une réunion qui a mis ensemble autour d’une table Eve Bazaiba pour le compte du MLC de Jean-Pierre Bemba, Jean-Baudouin Mayo, N° 2 de l’UNC de Vital Kamerhe, Félix Tshilombo Tshisekedi de l’UDPS/Limete, ainsi qu’un représentant de Congo ya Biso du candidat à la présidentielle Muyambu Matungulu, les extrémistes de l’opposition se sont prononcés pour le rejet de la machine à voter. Autrement dit, pour le rejet de la tenue des élections le 23 décembre 2018, puisque la Commission électorale congolaise l’a dit dans toutes les langues, sans la machine fabriquée par l’entreprise sud-coréenne Mirus Systems, les trois scrutins prévus le même jour ne peuvent tout simplement pas se tenir à cette date. Ce disant, les opposants ont effectué « un retour à la case d’avant les différents dialogues politiques organisés pour baliser le chemin vers une transition pacifique au sommet de l’Etat », selon le commentaire d’un politologue de l’Université de Kinshasa, à bon escient.
Griefs vaille que vaille
Au-delà des griefs contre la machine à élire, les opposants critiquent, un peu à la vaille que vaille, les statistiques des électeurs publiés après la consolidation du fichier électoral, « intentionnellement inexacts », selon eux. Et qui « … dénotent du caractère peu sérieux du travail de la CENI ». Selon les « contre-statistiques » des opposants, dont nul ne sait encore comment elles ont été établies, les 40.287.386 millions d’enrôlés définitifs présentés par la CENI accusent un gap de 29,151 électeurs. S’appuyant sur cette différence, les radicaux estiment qu’un audit du fichier électoral et du serveur central s’impose. Presqu’aussi impérieusement que le remplacement en faveur de l’UDPS/Limete de l’actuel rapporteur et porte-parole de la CENI, qui a été présenté par l’UDPS mais continue à jouir de la confiance d’une des ailes de cette formation politique de l’opposition, celle de Bruno Tshibala Zenzhe. Le nombre, excessivement élevé selon les opposants, des doublons éliminés (près de 6 millions) considéré par la majorité des acteurs congolais comme la preuve du sérieux de l’administration électorale, constitue pour les opposants radicaux une raison de balayer les résultats du recensement des électeurs pour cause de… tentative de tricherie en amont (!) en s’abstenant de reconnaître que ladite tricherie, non imputable à la CENI, a été mise à jour grâce précisément au professionnalisme de l’administration électorale congolaise elle-même.
La décision la plus importante prise par les opposants radicaux mercredi dernier consiste au rejet de la machine à voter, parce qu’elle équivaut en réalité au rejet pur et simple de la tenue des scrutins électoraux arrêtés en fonction des performances de l’ingénierie sud-coréenne. Les raisons avancées contre cet appareil à choisir les élus et à imprimer les votes des électeurs, selon les explications d’un ancien directeur provincial de la CENI qui s’est confié au Maximum, sont exclusivement politiques, pour ne pas dire « politiciennes » et restent muettes sur ses performances techniques. Comme à l’accoutumée, les opposants ont plongé tête baissée dans les critiques émises par des partenaires occidentaux de la RDC et leurs alliés, en l’espèce, le gouvernement sud-coréen contre l’opération commerciales réussie par Mirus Systems. Sans Plus. Mercredi dernier à Kinshasa, ne craignant pas le ridicule, ils ont déclaré « prendre acte » de la position officielle du gouvernement sud-coréen et de sa commission électorale qui « … relèvent les risques de fraude à grande échelle liés à l’utilisation de la machine à voter ». Sans doute conscient de la faiblesse de cet argumentaire qui place sous éteignoir les risques de réussite à grande échelle liés à l’utilisation de la même machine, les Bazaïba, Tshilombo, Mayo et cie ont cru devoir en rajouter en déclarant sans rire que l’engin sud-coréen était purement et simplement… anticonstitutionnel. Encore que « …se prononcer sur la constitutionnalité en dehors des structures de la Cour constitutionnelle est en soi foncièrement anticonstitutionnel », selon les commentaires d’un professeur émérite de droit de l’Université de Kinshasa interrogé au téléphone mercredi 11 avril dans la soirée.
Les mêmes vieilles rengaines
Pour nombre d’observateurs de l’arène politique rd congolaise, la position rendue publique par les radicaux de l’opposition était plutôt prévisible. « C’est à contrecœur et la mort dans l’âme que les opposants ont tenté, manifestement sans grand succès, de se fédérer depuis quelques semaines. Il est clair qu’ils ne sont pas prêts pour les élections », a expliqué au Maximum un diplomate africain en poste à Kinshasa depuis plusieurs années. Les timides initiatives de constitution de plateformes furent le fait de la douche froide infligée à ceux qui se préparaient à boycotter les élections par le conseil de sécurité des Nations-Unies qui, en deux ou trois réunions extraordinaires consacrées à la situation rd congolaise, s’est prononcée sans ambages en faveur de la tenue des élections aux jours et dates convenues par la classe politique à l’issue du dialogue dit de la Saint Sylvestre. En lieu et place de l’hasardeuse idée d’une « transition sans Joseph Kabila », avancée par l’opposition katumbiste et soutenue par le cardinal-archevêque catholique, Laurent Monsengwo Pasinya. « Notre présence à ce rassemblement envoie un message fort d’engagement à des élections inclusives et crédibles en République Démocratique du Congo le 23 décembre 2018. Nous sommes réunis unis dans notre désir d’aider la RDC à faire avancer sa première transition pacifique et démocratique du pouvoir », assurait en effet le 12 février 2018 Nikki Haley, la très volubile représentante permanente US aux Nations-Unies.
Laisser passer l’orage puis revenir au même
Le temps écoulé depuis février dernier n’aura donc servi aux radicaux de l’opposition qu’à faire le dos rond pour laisser passer l’orage sans affronter de face la « communauté internationale » qui tient lieu de base politique à la plupart d’entre eux. Et attendre l’occasion d’attaquer l’édifice électoral de l’intérieur pour retourner à la case départ, qui leur a été offerte par la très occidentale Corée du Sud. « Derrière les critiques contre la machine à voter ou encore les statistiques de la CENI couvent les revendications habituelles des radicaux de l’opposition : l’accession au pouvoir avant toute élection en RD Congo », affirme un cadre de l’UDPS qui a préféré Bruno Tshibala (actuel premier ministre du gouvernement d’union) à Félix Tshilombo Tshisekedi. Ce point de vue est confirmé par les propos de l’opposant radicalisé Martin Fayulu, le patron d’un petit parti politique, l’Ecidé, dont il est l’unique député élu. « Nous, nous sommes en train de préparer les vraies élections. Avant ces élections, il faut un gouvernement de transition sans Kabila pour que finalement ce gouvernement puisse nous produire des élections crédibles, transparentes et apaisées. C’est toute à fait réaliste si les gens le veulent », déclarait-il sur les ondes de la Deutsche-Welle le 10 avril, soit 24 heures avant l’annonce du rejet de la machine à voter par ses collègues radicaux. Même si peu dans l’opinion publique tiennent l’élu de Kinshasa en 2006 puis en 2011 pour une lumière, l’attitude de Martin Fayulu sur le processus électoral en cours est symptomatique de la position de l’ensemble des acteurs politiques qui se réclament de l’opposition radicale en RD Congo. C’est longtemps avant l’annonce de l’utilisation de la machine à voter, dès les opérations d’enrôlement des électeurs à Kinshasa, que l’Ecidé s’était lancé dans une campagne de discréditation systématique de tout ce qui concourrait à l’organisation effective des élections en RD Congo.
Nouvelle croisade pleine d’incertitudes
Il n’est cependant pas certain que la dernière saillie des radicaux, comme celles qui l’ont précédée depuis quelques années, tienne la route longtemps. Faute de réalisme. Dans un rapport publié le 4 avril 2018 à Bruxelles, International Crisis Group, une ONG internationale que nul ne peut pas soupçonner de favoritisme envers le pouvoir en place à Kinshasa, a reconnu l’inéluctabilité de la tenue des élections en décembre prochain. Et recommandé avec insistance à l’opposition d’éviter tout boycott parce qu’il profiterait au pouvoir en place. En fait, les prétextes avancés par les radicaux de l’opposition en RD Congo sont loin d’être évidents et leur donnent l’air d’ouvrir des portes déjà ouvertes. Il en est ainsi des exigences formulées autour de l’audit du fichier électoral, du serveur central, et même de la machine à voter. La CENI s’étant clairement prononcée favorablement à ce sujet, on ne saisit pas bien la rationalité de pareille « ultimatum ». En effet, le 10 avril 2018, après le dépôt de l’avant-projet de loi portant répartition des sièges électoraux sur la table du ministre de l’Intérieur, Norbert Basengezi Katintima, le premier vice-président de la CENI, avait solennellement annoncé le lancement d’appels d’offres internationaux pour l’audit du fichier électoral et la certification de la machine à voter…
Les raisons pour boycotter les scrutins de décembre 2018 relèvent donc pour tout esprit objectif des caprices irrationnels.
J.N.