Encore une sortie de gongs qui n’améliorera guère l’image du cardinal archevêque de Kinshasa depuis qu’il a demandé à ses ouailles de se livrer à des tapages nocturnes puis de faire entrer le débat politicien dans les lieux de culte pour tenter d’aider ses amis à s’emparer du pouvoir d’Etat hors de tout processus démocratique. Laurent Monsengwo Pasinya s’est étalé, dimanche 8 avril 2018, lors d’une interview sur « sa » chaîne RTCE (radio télévision catholique Elikya) pour annoncer son implication personnelle pour que l’aide à collecter ce 13 avril à la réunion des donateurs sur la RD Congo à Genève parvienne à destination. « Je vais travailler pour que l’aide qui sera donnée soit remise aux gens qui souffrent », a déclaré en substance l’archevêque de Kinshasa, prenant ainsi délibérément en l’espèce le contrepied d’une position exprimée officiellement par le gouvernement rd congolais qui avait annoncé quelques jours plus tôt son refus de participer à ladite réunion à l’organisation de laquelle il n’avait pas été associée conformément aux usages diplomatiques et aux pratiques en vigueur dans les relations internationales. « On ne peut pas refuser quand on a les mains vides », a ponctué le prélat, sans doute pour stigmatiser ce qu’il considère comme l’incapacité du gouvernement de son pays à venir en aide aux sinistrés rd congolais.
Déclaration critiquée
Cette déclaration du cardinal Monsengwo, qui a pu paraître dictée par des impératifs de charité, prête pourtant le flanc à de sérieuses critiques. Comme la plupart des sorties médiatiques, plutôt intempestives du prélat octogénaire, quelques temps avant sa retraite, se jette à corps perdu dans le marigot de la politique politicienne. Sur cette question, comme sur beaucoup d’autres, l’envie de contrer « coûte que coûte » un pouvoir en place honni par le prélat semble l’avoir emporté sur la raison, selon nombre d’observateurs. « L’église catholique s’est toujours occupée de l’aide aux sinistrés de tous genres, souvent à l’initiative et avec les moyens lui fournis par les pouvoirs publics. Le cardinal se serait tu sur cette question que cela n’aurait rien changé à la situation. C’est encore une occasion de se taire qui a été loupée », estime ce prêtre catholique, curé d’une paroisse relevant de la province ecclésiastique de Kinshasa sur laquelle trône le cardinal. Qui rappelle qu’une franche collaboration existe entre l’Etat et l’église catholique romaine en RD Congo, qui est concrétisée notamment par une convention permettant à des membres du clergé de gérer d’importantes dotations du budget national de l’enseignement ainsi que par des exonérations douanières et fiscales accordées aux œuvres caritatives de l’église catholique. « Ce que le cardinal a voulu dans cet interview, c’est étaler une sorte de mauvaise volonté du gouvernement quant aux secours aux populations en détresse. Et ça, c’est de la politique politicienne. Tout se passe comme s’il voulait léguer à ses successeurs un héritage empoisonné sous la forme d’un conflit dont les populations et l’institution catholique elle-même seront les premières à faire les frais », selon un autre prêtre, expatrié celui-là, qui vit en République Démocratique du Congo depuis plus de deux décennies.
Sindika Dokolo à l’école du prélat
Dans la classe politique rd congolaise, peu d’acteurs ont, pourtant, osé s’aventurer aussi loin que le cardinal Monsengwo sur cette question de l’aide humanitaire internationale. C’est seulement de Luanda, la capitale angolaise, qu’une voix a été entendue. Celle de Sindika Dokolo, le jeune gendre de l’ancien Chef de l’Etat angolais, Eduardo Dos Santos, à la tête du mouvement anti-gouvernemental « Les Congolais debout » depuis l’année dernière. Epoux d’Isabel Dos Santos, la fille de l’ancien président angolais qui est présentée par la presse spécialisée comme la femme la plus riche du continent noir et est poursuivie dans son pays par une affaire de mégestion de la société d’Etat Sonangol, le jeune Sindika s’était fait connaître de ses compatriotes en volant au secours des réfugiés kasaïens dans son pays d’adoption au milieu de l’année 2017, plutôt avec tambours et trompettes. Même si des années durant, ce fils d’un banquier central kongolais mis en faillite par la dictature mobutiste et s’était refait une santé financière plus que florissante en épousant la fille de l’ex. président angolais n’avait pas levé le plus petit doigt contre les expulsions brutales des millions de ses compatriotes d’Angola, rappellent ses détracteurs. Sindika Dokolo a écrit au secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, pour dénoncer le refus des autorités rd congolaises à participer à la conférence des donateurs prévue ce 13 avril à Genève en Suisse. « Nous dénonçons l’attitude de non-assistance au peuple en danger manifestée par les autorités congolaise », soutient le courrier du fils Augustin Dokolo Sanu. Sans élaborer.
Justifications gouvernementales pertinentes
Pour le reste, l’essentiel de la classe politique rd congolaise semble avoir observé un mutisme prudent sur la position gouvernementale, manifestement parce qu’elle ne manque pas de sens. Mais aussi et surtout parce qu’en fin de compte, le gouvernement avait obtenu gain de cause sur ses revendications plus que justifiées. Dans une lettre au même secrétaire général des Nations-Unies, le 31 mars 2018, Léonard She Okitundu, le chef de la diplomatie rd congolaise, a expliqué les raisons du refus de Kinshasa de participer à la Conférence des donateurs de Genève. Parce qu’elle était consécutive à la décision des organismes des Nations-Unies de placer la RD Congo au niveau le plus élevé dans l’échelle des besoins humanitaires, soit le L3. C’était le même niveau que les autrement plus gravement sinistrés que la Syrie, le Yémen … ; mais également parce que Kinshasa avait relevé des désaccords entre les statistiques des sinistrés en RD Congo produites par les organismes des Nations-Unies et celles produites par le Gouvernement, qui exigeaient une harmonisation avant toute chose ; et aussi parce que le gouvernement rd congolais n’avait nullement été impliqué dans l’organisation de cette conférence des donateurs qui pourtant la concerne au premier chef. Ce d’autant plus que des instruments juridiques internationaux établissent la responsabilité première de chaque Etat dans la gestion des aides humanitaires.
Engrenage sous-développementariste
En termes moins diplomatiques, le refus du gouvernement de la RD Congo est un refus de cautionner l’exploitation des misères de la population par les organisations humanitaires internationales qui, dans le fond, ne règlent pas définitivement les fléaux dénoncés, parce qu’elles n’y ont pas intérêt. La répartie cinglante d’un onusien à qui on reprochait la mollesse des casques bleus sur le terrain des affrontements est édifiante à cet égard : « No Nkunda, no job », avait-il répondu. Comme pour expliquer que la fin de la rébellion menée par le Général renégat renverrait les casques bleus onusiens au chômage. Non seulement les sinistres rd congolais sont pourvoyeurs d’emplois pour de nombreuses organisations humanitaires, mais en plus, il est de notoriété publique qu’une importante partie des fonds récoltés au nom des sinistrés reste dans les pays donateurs sous forme de salaires, achats d’équipements, etc. De là soutenir que l’aide aux sinistrés entretient les sinistres, il n’y qu’un pas, que beaucoup franchissent sans hésiter. Comme ces scientifiques avérés qui soutiennent que l’aide en général entretient le sous-développement des Etats du continent noir.
La dernière saillie antigouvernementale du cardinal Monsengwo est d’autant plus discutable que Kinshasa a obtenu gain de cause auprès de l’ONU sur l’organisation de la conférence des donateurs de Genève. Jeudi 5 avril 2018, Mark Lowkock, le secrétaire général de l’ONU chargé des questions humanitaires a annoncé la désactivation d’ici le 20 avril du niveau d’urgence extrême attribué à la RD Congo. Et le 6 avril, les Emirats Arabes Unis, un des pays organisateurs de la Conférence humanitaire de Genève, ont soutenu la position de la RDC et décidés de ne pas y participer tant que le principal pays concerné ne s’y prononcerait pas favorablement.
Entretenir le cordon ombilical de la dépendance
Nombre d’observateurs rangent donc les réactions de Monsengwo, de Sindika Dokolo et autres, parmi ces tendances de reconstitution des filières néocolonialistes qui consistent à entretenir la dépendance des rd congolais à l’égard de pourvoyeurs étrangers en « dons divers ». En cette matière, l’église catholique, toute entière dépendante de Rome jusqu’à il y a peu, n’est pas ce qu’on pourrait considérer comme un exemple d’autonomisation, d’autosuffisance et d’indépendante, loin s’en faut. Dans une récente homélie, l’évêque de Goma au Nord Kivu, révélait et se plaignait encore du fait que les frais de fonctionnement du diocèse envoyés de Rome soient « charcutés » par la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), et ne permettent pas de régler tous les problèmes construction de la nouvelle basilique. Encore que l’église catholique romaine rd congolaise ne dépende pas seulement de Rome mais aussi de nombreuses organisations caritatives confessionnelles autant des chrétiens européens en général, qui la pourvoient régulièrement en une multitude d’« aides destinés aux pauvres de toutes sortes », qui peuvent aller des produits pharmaceutiques aux sous-vêtements, chaussettes et chaussures usées. « Si on ne peut pas sensément reprocher à l’église catholique de solliciter ces aides qui soulagent les souffrances d’un certain nombre de gagne-petits rd congolais, à un gouvernement responsable, on ne peut pas reprocher de promouvoir le développement, les investissements, l’autosuffisance, l’indépendance et la dignité pour son peuple », estime cet intellectuel chrétien, enseignant à l’Université Catholique du Congo à Kinshasa. « Le cardinal n’est pas fondé à ramener l’Etat aux dimensions de l’église catholique éternelle demanderesse. Par essence, l’Etat a vocation à émanciper sa population. Ce qui n’est pas nécessairement le cas de l’église catholique », explique-t-il avec un sourire furtif.
Réduction de l’Etat aux dimensions de l’église
C’est peut-être cette propension viscérale à réduire l’Etat aux dimensions de l’église catholique qui mine les convictions politiciennes du cardinal-archevêque de Kinshasa. Poser des conditions de transparence et d’exigence du rôle des autorités nationales à l’évaluation des besoins d’un pays avant la participation gouvernementale à la conférence des donateurs de la RD Congo est donc loin de signifier le refus d’assistance aux populations sinistrées. Derrière ce refus se trouvent à la fois le souci de s’assurer des meilleures conditions d’octroi de cette aide aussi bien celui du respect de la dignité des assistés ainsi que des Intérêts Nationaux qui passent par une lutte contre le misérabilisme qui, si il fait l’affaire de l’église catholique, habituée à tendre la main pour des oboles, agit comme un repoussoir pour les investisseurs qui répugnent à mettre leurs capitaux dans un pays présenté (fallacieusement) comme en déliquescence avancée. Encore que selon ses moyens, si maigres soient-ils, le gouvernement assiste bel et bien les sinistrés congolais sur le territoire national. Comme cette décision d’affecter quelque 100 millions USD à la réinsertion des refoulés, retournés, réfugiés et déplacés internes rd congolais pour une période de 18 à 24 mois, annoncée au terme du conseil des ministres extraordinaire du lundi 9 avril 2018. « Avoir les mains vides n’est pas antinomique avec la dignité », estime-t-on au gouvernement.
J.N.