Week-end très politique pour le cardinal-archevêque de Kinshasa. Laurent Monsengwo Pasinya a poursuivi ses rencontres avec les acteurs politiques de l’opposition en recevant, jeudi 22 mars au centre Lindonge de Limete Félix Tshilombo Tshisekedi, puis samedi 24 mars, Martin Fayulu de l’Ecidé. A en juger par le tweet posté par l’élu kinois, l’entretien avec le prélat a tourné sur l’urgence d’une rupture… avec le régime au pouvoir en RD Congo. Reste à savoir par quels moyens le cardinal et ses nouveaux disciples dans la classe politique active essentiellement à Kinshasa et dans les grandes agglomérations du pays vont s’y prendre pour assurer cette rupture. Et surtout, si c’est encore possible avant les élections fixées à la fin de l’année en cours, c’est-à-dire dans quelques mois.
Une chose est certaine : à la veille de son départ à la retraite, le vieux cardinal (79 ans), ne désarme pas et ne renonce pas. Dimanche 25 mars 2018, à l’occasion de la messe dite des rameaux célébrée en réminiscence de l’entrée de Jésus-Christ à Jérusalem (semaine sainte), l’archevêque de Kinshasa a rassemblé les jeunes de toutes les paroisses de la capitale au Stade Tata Raphael dans la commune de Kalamu. Au cours de cette eucharistie à laquelle on n’a pas beaucoup aperçu son coadjuteur Fridolin Ambongo, présent à sur les lieux, qui n’a pas été présenté à la foule, Monsengwo a donné l’impression de vouloir rectifier le tir en fonction des échecs des manifestations organisées à l’appel du Comité Laïc de Coordination (CLC). Les tentatives insurrectionnelles de décembre 2017, janvier et février 2018 ont, à l’évidence, souffert du peu d’engagement de la jeunesse catholique qui n’a guère répondu aux appels à marcher du cardinal et de son CLC. Ce n’est plus qu’un secret de polichinelle, les quelques fidèles qui avaient tenté de braver les forces de l’ordre au cours des marches organisées par le CLC n’étaient pas des catholiques. Il s’agissait essentiellement des combattants des partis politiques de l’opposition, plus précisément ceux de l’UDPS/Limete, à en croire son secrétaire général, Jean-Marc Kabund a Kabund, qui s’était exprimé sans équivoque là-dessus dans la presse.
Aux quelques dizaines de milliers des jeunes paroissiens de la capitale, le cardinal a donc tenté d’inoculer le venin de la révolte violente, en les appelant à « prendre vos responsabilités ». Sans élaborer. « Il nous a dit de ne plus suivre les aînés s’ils ne se comportent pas bien », rapporte au Maximum, laconique, Gauthier M., un finaliste des humanités âgé de 18 ans. Si les propos rendus ne sont strictement les mêmes, des confrères présents à la manifestation confirment le thème abordé par le prélat devant les jeunes dimanche au Stade Père Raphaël de la Kethule. « L’archevêque de Kinshasa a demandé aux jeunes de dépasser le stade de la critique et de s’impliquer activement dans tous les secteurs de la vie du pays », écrivent, en effet, des confrères en ligne. « Jeunes de Kinshasa, l’avenir du pays est entre vos mains. L’avenir du pays vous appartient. Certes, vous avez le droit de reprocher aux aînés et aux hommes politiques d’avoir sacrifié votre génération. Vous avez raison de reprocher aux politiciens et à la classe dirigeante de notre pays d’avoir échoué. Mais qu’entendez-vous faire pour redresser la barre ? Le pays a besoin de vous dans les secteurs de la vie politique, économique, sociale et culturelle, religieuse. Etes-vous prêts prendre en mains les destinées de la nation et à assumer vos responsabilités ? » a, en substance, tonné Monsengwo. Et cela ressemble bien à une version cléricale des invitations à battre le pavé et à casser, propres aux acteurs politiques de l’opposition radicalisée.
L’allusion aux aînés et aux hommes politiques est sans équivoque, fait observer au Maximum un professeur de sciences politiques à l’Université de Kinshasa. De même que l’appel à redresser la barre. « Monsengwo incite les jeunes à la révolte contre les anciennes générations. Il oppose les Congolais entre eux. Cela est particulièrement dangereux pour la paix sociale car la révolte qu’il prêche ainsi peut commencer au niveau des familles, mettant aux prises les jeunes contre leurs propres parents qui auraient failli, selon les propos du cardinal. Que deviendrait ce noyau de la vie sociale que l’église a pourtant mission de protéger ? », s’interroge, désabusé, ce fidèle catholique, psychologue et enseignant à l’Université Pédagogique National (UPN).
Même sur le départ (vers Rome où de nouvelles responsabilités l’attendent auprès du Pape François), le cardinal-archevêque de Kinshasa tente encore d’amorcer une sorte de bombe à retardement à Kinshasa. Casse cou jusqu’au bout.
J.N.