A la réunion du conseil de sécurité des Nations-Unies consacrée à la situation politique en RD Congo, la représentante des Etats-Unis d’Amérique, l’ambassadeur Nikki Haley a livré le point de vue de son pays sur un aspect technique de l’organisation des prochaines élections qui ont fait polémique. Croyant pouvoir se prononcer sur l’option prise par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) d’utiliser une machine à bulletin de vote électronique, Nikki Haley a carrément déclaré que « ces élections doivent être tenues par des bulletins de vote papier, de sorte que le peuple congolais ne conteste pas les résultats. Les Etats-Unis n’ont pas envie de soutenir un système de vote électronique ». « Il va sans dire que l’utilisation d’une technologie inconnue pour la première fois lors d’une élection cruciale constitue un risque énorme. Il a le potentiel de miner sérieusement la crédibilité des élections que beaucoup ont travaillé dur pour voir se produire », a estimé la représentante des Etats-Unis.
En RD Congo, des acteurs politiques de l’opposition dite radicale qui ne font plus mystère de leur préférence pour une nouvelle période de transition négociée tant ils abhorrent la tenue des scrutins électoraux en décembre 2018, ont sauté sur l’occasion pour abonder dans le même sens que la diplomate américaine. L’UNC Vital Kamerhe, notamment, a embrayé sur les propos de Nikki Haley en assurant à des confrères en ligne que la machine à voter était en fait « une machine à tricher qui ne doit pas être utilisée aux prochaines élections ». Cet acteur politique est connu pour son incapacité viscérale à dire et à parler vrai. En réalité, comme nombre de ses pairs de l’opposition, Kamerhe ne veut pas d’élections à la fin de l’année en cours. Et sa réaction vise à faire reculer les échéances, de l’avis de diplomates en place à Kinshasa et d’une grande partie de l’opinion.
Sur la question hautement technique de l’utilisation d’une machine à voter qui, selon la CENI, présente l’avantage de minimiser les coûts des opérations électorales comme souhaité « expressis verbis » par l’accord de la Saint Sylvestre, en même temps qu’elle facilite le vote de l’électeur par la réduction de la taille des bulletins de vote, Nikki Haley a fait preuve d’un déficit criant de maîtrise du sujet. « Elle s’est laissée abusée par les lobbyistes de l’opposition aux Etats-Unis », a confié au Maximum une source dans la représentation de la RD Congo aux Nations-Unies. Corneille Nangaa, le président de la CENI qui a pris part en qualité d’experts aux délibérations du Conseil de sécurité lundi 12 février dernier (lire le texte de son intervention ci-après) a promptement recadré la représentante permanente de l’administration Trump aux Nations Unies en rappelant l’indépendance de l’administration électorale rd congolaise, conformément à la constitution en vigueur. « Les élections en RDC ne sont pas une affaire des Etats-Unis ou du Conseil de sécurité. La Céni entend faire respecter son indépendance », a déclaré Corneille Nangaa à nos confrères de l’Afp. Expliquant que « sans machine à voter, il n’y aura pas d’élections le 23 décembre 2018 », compte tenu des délais supplémentaires que prendraient l’impression des bulletins de vote particulièrement volumineux pour les élections en RD Congo ainsi que du nombre des candidats aux différents scrutins. « S’il faut recourir exclusivement aux bulletins papier, les élections devraient être organisées en juillet 2019 » a encore précisé le président de la CENI.
Egalement interrogé sur les déclarations de l’ambassadeur Nikki Haley, Lambert Mende Omalanga, le porte-parole du gouvernement de la RD Congo a indiqué qu’« il ne suffit pas de dire que la machine à voter est mauvaise, il faut aussi proposer à la Céni une solution de rechange à la place. Il s’agit notamment de savoir combien ceux qui rejettent ce mode mettent sur la table comme moyens », faisant sans doute allusion aux coûts financiers exorbitants qu’impliquent l’utilisation juxtaposée au transport des masses de bulletins de vote papier et de la réticence manifeste des partenaires occidentaux de la RD Congo à mettre la main à la poche pour faciliter l’organisation des élections.
De fait, selon les experts de la commission électorale rd congolaise, l’utilisation de la machine à voter permettrait d’économiser la bagatelle de 122 millions USD sur un coût global de 554 millions USD prévus pour les opérations électorales au titre de l’année budgétaire 2018. Jusqu’ici, la RD Congo finance seule son processus électoral, et lundi dernier au Conseil de sécurité des Nations-Unies à New York, Léonard She Okitundu, a, après avoir entendu le délégué de l’Union européenne promettre, du bout des lèvres et sous une multitude de conditions 22 millions d’Euros, réaffirmé la volonté de son pays de « compter sur ses propres moyens financiers pour financer ses élections », une éventualité rendue possible grâce à l’amélioration de la production minière combinée à la tendance haussière des cours des principales matières extraites du sous-sol congolais…
Ci-après, l’intervention du président de la CENI à la plénière du Conseil de sécurité sur la RD Congo.
J.N.
Monsieur le Président,
Excellence Mesdames, Messieurs en vos titres et qualités respectifs, tout protocole observé,
Le processus électoral en République Démocratique du Congo atteindra son point culminant le 23 décembre 2018 avec la tenue de trois scrutins combinés au suffrage universel direct, pour la première fois, conformément à l’Accord Politique Global et Inclusif du Centre Interdiocésain de Kinshasa et de la Décision N°065/CENI/BUR/17 du 05 nov. 2017 portant publication du calendrier des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales publié le 5 novembre 2017.
Il s’agit d’organiser le même jour 3 scrutins :
Présidentiels devant consacrer pour la première fois une passation démocratique du pouvoir après 57 ans d’indépendance;
Législatives nationales pour la troisième législature ;
Provinciales pour le renouvellement des assemblées provinciales et au second degré, du Senat et des Gouverneurs en poste depuis 2007.
En termes d’évaluation, les faits rendent mieux compte de l’évolution dudit processus. Les activités suivantes ont été réalisées :
Finalisation de la cartographie électorale de la République Démocratique du Congo avec la production de l’atlas électoral ;
05 novembre 2017 : le calendrier électoral a été rendu public ;
25 novembre 2017 : le processus administratif et technique d’acquisition du système AFIS / ABIS de la déduplication des électeurs a été entamé. Les approbations des autorités compétentes ont été obtenues et le traitement ainsi que la consolidation des données des électeurs sont en cours pour le respect du principe de l’unicité de l’électeur dans le fichier électoral, fichier répondant aux normes et standards internationaux ;
24 décembre 2017 : la loi électorale adoptée au parlement a été promulguée. Cette loi définit entre autres le principe de la répartition des sièges pour tous les scrutins à venir;
31 janvier 2018 : l’opération de révision du fichier électoral a été clôturée. Statistiques brutes donnent: 46.057.894 électeurs inscrits sur la liste électorale dont 52% hommes et 48% femmes.
Ainsi, comme vous le voyez, le calendrier électoral est en train d’être exécuté comme prévu. Les efforts sont concentrés désormais sur :
La publication des statistiques des électeurs par entités administratives ;
L’adoption et la publication de la loi portant répartition des sièges ;
L’audit du fichier électoral ;
La convocation de l’électorat et l’inscription des candidatures ;
L’identification et enrôlement des Congolais résidant à l’étranger ;
L’acquisition et le déploiement du matériel sensible et non sensible ;
L’identification, le recrutement, la formation et le déploiement de près de 650.000 agents électoraux ;
La tenue des 3 scrutins le 23 décembre 2018.
Ceci dit, il y a encore des défis à surmonter pour atteindre l’objectif du 23 décembre 2018. Ils sont d’ordre légal, financier, technico-logistique, sécuritaire et politique.
Défis légaux :
La tenue des scrutins prévus dans le calendrier électoral reste tributaire de la loi attendue portant répartition des sièges.
La CENI attend aussi du Gouvernement, la liste des partis politiques et surtout, en date du 26 mars, la liste de regroupements des politiques conformément à la loi électorale.
Défis financiers :
La constitution du fichier électoral a couté USD 400 821 568 Cette opération a été entièrement financée par le Gouvernement Congolais.
Le coût initial de trois scrutins combinés était évalué à USD 554 925 751. Il est à USD 432 642 693, grâce à l’option prise par la CENI de recourir à un dispositif d’impression in situ des bulletins de vote par chaque électeur avant de le glisser dans l’urne.
C’est de cette procédure dont il est question lorsqu’on parle de la machine à voter.
Le gouvernement s’est solennellement engagé à s’acquitter de ses obligations à cet égard. Un plan de décaissement est en discussion à cet effet entre la CENI et le Gouvernement avec un décaissement mensuel oscillant 30 à 40 millions USD.
Défis technico-logistiques :
La logistique de l’opération d’identification et d’enrôlement des électeurs a été faite de manière intégrée par la CENI et la MONUSCO. En effet, 3 346 tonnes de matériels ont été déployées des 3 hubs principaux (Kinshasa, Lubumbashi et Mombassa au Kenya) par la MONUSCO vers les 16 hubs logistiques du Pays. Une partie de ce matériel, soit 1 597 tonnes, a été déployée jusqu’aux sites de formation à partir des hubs logistiques.
La CENI, quant à elle, a déployé le restant de matériel des sites principaux, des hubs logistiques et la totalité de ce matériel des sites de formation vers les 17 768 Centres d’Inscription.
Je voudrais ici saluer l’accompagnement de la MONUSCO évalué à un tiers des besoins logistiques de l’opération de révision du fichier électoral que nous venons de clôturer sur le terrain.
Avec plus de 45 000 000 d’électeurs, les 3 scrutins combinés le même jour imposent plus de 23 000 centres de vote, éclatés en environ 90 000 bureaux de vote et de dépouillement. En termes de personnel, plus ou moins 640 000 agents temporaires sont à identifier, à recruter, à former et à affecter avec le déploiement d’un volume important de matériels dans un pays sans infrastructures de communication appropriées.
Le budget adopté par la CENI prend en compte l’ensemble de ces opérations électorales. L’option prise de recourir à la machine à voter permet de réduire l’ensemble des matériels à déployer de 16 000 tonnes à moins de 8 000 tonnes.
La Résolution 2348 du Conseil de sécurité de l’ONU donne à la MONUSCO le mandat d’apporter un soutien logistique aux élections en République Démocratique du Congo. Les discussions en cours pour fixer les modalités pratiques dudit soutien, évoluent bien. La Commission Electorale Nationale Indépendante espère qu’il sera effectif et que l’expérience malheureuse de 2011 ne se renouvellera pas.
Défis sécuritaires :
La sécurité a un impact direct sur le processus électoral. La longueur du temps consacré à la constitution du fichier électoral a été tributaire des facteurs sécuritaires. Dans ce contexte, la CENI a perdu 27 agents dont 3 ont été tués par décapitation. Il est donc important que soit préservé un environnement sécuritaire stable pour garantir des élections apaisées, crédibles, démocratiques et transparentes.
Défis politiques :
En parlant d’élections apaisées, nous engageons la responsabilité des acteurs politiques. A l’analyse des faits, on pourrait se demander si certains ne travaillent pas en fait contre les élections, en contradiction avec leur discours quotidien. Il est important, pour tous, que le cap soit définitivement fixé sur la date du 23 décembre 2018 pour la tenue des élections et soient abandonnées à cet égard toutes les actions et manœuvres qui tendent à semer le doute dans l’esprit des électeurs.
Au regard de tous ces éléments, la CENI attend des partenaires un accompagnement et un franc soutien aux efforts fournis pour atteindre l’objectif du 23 décembre 2018, et non la résistance et des actions négatives auxdits efforts, comme on le constate souvent.
Tout en relevant le besoin pour la CENI de collaborer avec les parties prenantes, institutions et organisations tant nationales qu’internationales, personne ne doit pas perdre de vue le principe constitutionnel de son indépendance vis-à-vis de toutes et de chacune à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
La Commission Électorale Nationale Indépendante se félicite du fait que les discussions sur le groupe international d’experts aient évolué dans ce sens.
Sur ce fond de bonne foi des uns et des autres, en sachant séparer les impératifs techniques des stratégies politiques, nous pouvons être sûrs de la tenue des élections comme prévu le dimanche 23 décembre 2018.
Je vous remercie.
Corneille NANGAA YOBELUO
Président de la CENI/RDC