Les commentaires vont bon train sur la nomination de Mgr Fridolin Ambongo Besungu, le 2 février 2018, comme archevêque coadjuteur de la province ecclésiastique de Kinshasa. Une décision du Pape François annoncée par le Cardinal archevêque de Kinshasa, Laurent Monsengwo Pasinya, en personne. Le prélat, on le savait, avait dépassé de près de 4 ans l’âge canonique de la retraite et attendait l’acceptation de sa démission par le Pape qui l’avait, entretemps, désigné parmi les membres du C9, organe consultatif de cardinaux chargés de le conseiller au Vatican. D’une manière ou d’une autre donc, le patron de la juridiction de l’église catholique romaine de Kinshasa était partant au plus tard en mars prochain, selon des sources autorisées au Saint Siège. Il a manifestement tenu à livrer comme un baroud d’honneur contre le régime au pouvoir à Kinshasa qu’il a toujours exécré et qu’il combat ouvertement depuis fin décembre dernier. Début janvier, Un Comité laïc de coordination créé par des affidés du cardinal avait appelé les fidèles catholiques à des marches sans coordination. Après l’échec de cette manifestation, Monsengwo était sorti du bois pour se jeter lui-même dans la bataille en demandant au peuple de « dégager les médiocres » au pouvoir à Kinshasa…
Connu pour ses prises de position contre la majorité kabiliste au pouvoir en RD Congo, le nouvel archevêque coadjuteur de Kinshasa a été aussitôt présenté par certaines sources comme un continuateur de l’œuvre belliqueuse de celui qu’il est appelé à succéder bientôt.
Engagement politique partisan et contreproductif
Quelques semaines auparavant, à l’occasion du jubilé de l’Abbé Donatien Nshole, secrétaire général de la CENCO que l’on dit parent du Cardinal Monsengwo, Mgr. Fridolin Ambongo avait déclaré à la presse le soutien de tous les évêques congolais à un Monsengwo dont l’activisme politicien ne faisait notoirement pas l’unanimité parmi les calottes sacrées. Sans convaincre grand monde : l’église catholique romaine rd congolaise s’était, de toute évidence trouvée fortement divisée de l’engagement politicien radical et partisan du vieux cardinal kinois. Outre les prélats qui tous avaient refusé d’engager leurs prêtres dans des marches pour « dégager » du pouvoir de Joseph Kabila à l’exception notable de l’évêque de Kilwa-Kasenga, réputé proche de Moïse Katumbi, dans le Sud du Katanga, à Kinshasa même, les injonctions politiciennes de l’archevêque avaient connu des fortunes diverses dans les paroisses. « Moins de 10 % sur les quelque 150 que compte la capitale ont obtempéré et manifesté les 31 décembre 2017 et le 21 janvier 2018 », a fait observé au Maximum un jeune prêtre membre du courant dit de « la dissidence novatrice » très critique à l’encontre des « égarements temporels » de certains princes de la hiérarchie catholique comme Monsengwo ou Ambongo. Il n’est donc pas évident que l’église catholique tire profit de cet éparpillement des âmes dont elle a charge.
Soutenir que le Vatican a nommé Mgr Fridolin Ambongo pour continuer l’œuvre politicienne du cardinal Monsengwo paraît donc rien moins que hasardeux. Surtout si l’on tient compte du fait que la nomination du désormais ancien archevêque de Mbandaka Bikoro à la place de l’irascible cardinal Monsengwo intervient quelques jours seulement après le rappel à Rome du Nonce Apostolique, Luis Mariano Montemayor à la demande de Kinshasa, fin janvier 2018. Ce prélat argentin s’était en effet rendu coupable de violation flagrante de l’Accord-cadre signé entre la RD Congo et le Vatican en soutenant les manifestations politiques convoquées par le cardinal et son comité laïc de coordination non enregistré par les autorités civiles rd congolaises comme l’exige le prescrit dudit accord. Plutôt que de l’expulser pour « activités contraires au statut de membre du corps diplomatique », le gouvernement congolais, par égard pour le Saint Siège avait demandé, et obtenu, son rappel. La nomination dans la foulée de Fridolin Ambongo est donc perçue par nombre d’observateurs comme la suite logique des retombées du séjour à Rome du chef de la diplomatie congolaise, Léonard She Okitundu, le 19 janvier 2018. « Il est impossible que le ministre des affaires étrangères ne soit pas plaint des agissements du cardinal durant ses entretiens avec Mgr Gallagher au Vatican », commente un ambassadeur africain en poste à Kinshasa interrogé par nos rédactions.
Pessimisme et perplexité
Si l’engagement politicien du cardinal-archevêque de Kinshasa fait les affaires de la partie radicale et extrémiste de l’opposition rd congolaise, il est loin de conforter la position d’une église catholique locale assaillie de toutes parts par les nouvelles confessions religieuses dites « de réveil » qui vident les paroisses catholiques et attirent de plus en plus de fidèles en proposant des solutions « miraculeuses » pour soulager les peines des ouailles. Ni, encore moins, le Vatican et l’église catholique universelle. « Entre mon habitation et ma paroisse, j’ai dénombré une dizaine d’églises de réveil », raconte un fidèle catholique d’une paroisse de la périphérie de Kinshasa. L’homme estime que le nombre de chrétiens catholiques en RD Congo péremptoirement revendiqué par la CENCO devrait être revu à la baisse : « A Kinshasa, les catholiques ne représentent probablement plus que moins de 40 % des 12 millions d’habitants », avance-t-il, convaincu que la hiérarchie de l’église a mieux à faire que de se lancer dans une querelle politique partisane qui risque d’aggraver l’hémorragie en son sein. Il n’est pas le seul à se laisser gagner par cette sorte de prudence élémentaire. Nombre de brebis du Cardinal kinois doutent de la sainteté des engagements politiques de leur archevêque.
Le 21 janvier dernier, le curé d’une paroisse en vue de la Gombe avait ainsi eu la surprise désagréable de se retrouver seul, avec ses acolytes, pour marcher conformément à l’ordre formel reçu la veille. « J’avais invité les fidèles à marcher à ma suite aussitôt la célébration eucharistique clôturée. Mais ici, tout le monde est monté dans sa voiture et s’en est allé. Ce sont les gens du dehors qui sont venus remplir nos rangs », raconte-t-il. Selon les rapports de police, seulement une dizaine de paroisses avaient obéi au mot d’ordre du Cardinal, celles qui sont dirigées quelques privilégiés triés sur le volet. Prêtres missionnaires ou diocésains qui se considèrent comme les mal aimés du système Monsengwo se sont carrément abstenus. Comme ce curé d’une paroisse perdue non loin de l’aéroport international de Ndjili, récent curé d’une paroisse cossue de la commune de Kalamu. « Ici, les offrandes atteignent difficilement 50.000 FC. Il faut multiplier les neuvaines pour espérer récolter 100.000 FC », assure-t-il. Comme pour expliquer qu’on ne peut pas attendre de lui le même engagement que celui du curé de la paroisse St Joseph à Matonge, ou encore de Ste Anne à la Gombe. C’est un clergé profondément divisé qui a reçu injonction de marcher à la tête des fidèles. Le résultat de l’opération, ce fut aussi la révélation de cette division qui mine l’église. Fridolin Ambongo ne devrait sûrement pas voguer dans les mêmes eaux que l’homme qu’il est appelé à succéder.
Clientélisme et tribalisme, ces deux mots reviennent instamment dans la bouche des détracteurs du Cardinal-archevêque appelé à la retraite. Ce n’est peut-être pas un hasard si le nouvel évêque coadjuteur de Kinshasa est un prêtre missionnaire (de l’ordre des Capucins).
Prélat controversé
Le Vatican semble, ici aussi, avoir préféré un évêque non-diocésain pour administrer l’immense archidiocèse de Kinshasa, qui ne compte pas que des prêtres originaires de la province ecclésiastique d’origine de Laurent Monsengwo Pasinya. Pas plus tard qu’au mois d’août 2017, à l’occasion de l’ordination sacerdotale d’un abbé co-régionnaire, l’archevêque de Kinshasa a fait venir et loger la quasi totalité du village du nouveau prêtre dans les installations d’un séminaire de la capitale. Un privilège qui, cela va de soi, n’est pas accordé à tout le monde et ne peut plaire à tous. La nomination d’un prêtre missionnaire à Kinshasa, le second après feu le cardinal Frédéric Etsou, c’est peut-être aussi pour atténuer cette division parmi le clergé local, que l’on doit au clientélisme reproché, à tort ou à raison à Laurent Monsengwo.
A l’évidence le « cardinal afande » (commandant) comme l’ont surnommé certains a eu son mot à dire en proposant au Saint Siège trois noms parmi lesquels devait être sélectionné son successeur. Nul doute que Fridolin Ambongo, connu pour ses saillies contre Joseph Kabila qu’il accuse d’être à la base des ennuis de son cousin Jean-Pierre Bemba Gombo avec la Cour pénale internationale de la Haye y figure, aux côtés de deux prélats plus proches de Monsengwo. L’approche toute « jésuistique » du Pape aura été de chercher à couper en quelque sorte la poire en deux en jetant son dévolu sur un successeur « compatible » avec son désormais proche conseiller auquel il ne fallait pas faire perdre la face, tout en l’éloignant du chaudron kinois pour tempérer des excès dont son engagement politicien sans fards que d’aucuns parmi les fidèles catholiques, le clergé et plusieurs autres évêques congolais, jugent excessif.
J.N.