Ils ont esquissé quelques pas en dehors des lieux de culte catholiques, et donc sur la voie publique, dimanche 21 janvier 2018. Ici et là, les « hordes » aux ordres du Cardinal-archevêque de Kinshasa, ont franchi les grilles des églises, pour emprunter la voie publique et y affronter les forces de l’ordre, avant d’être dispersées à coups de grenades lacrymogènes, dans la plupart des cas, mais pas seulement. Dimanche 21 janvier, tout a été mis à contribution pour la réussite de la « marche des chrétiens ». Les curés des paroisses avaient été formellement instruits par l’archevêque de ramener les trois cultes du jour à un seul, celui de 6 h 30 à 8 h 30’, et ainsi s’assurer de la présence aux messes de tout ce que Kinshasa pouvait compter de fidèles catholiques. Mais aussi, de « marcher résolument à la tête des fidèles, cierges, croix et autres objets cultuels bien en vue » sur la voie publique. Selon un itinéraire défini quelques minutes plus tôt, au cours de la messe. Le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya n’a pas lésiné sur les moyens, malgré les protestations de nombre des curés qui ne voyaient pas d’un bon œil ce bras-de-fer trop mondain et trop partisan. Tous ont reçu ordre de marcher, particulièrement ceux d’entre eux qui s’étaient révélés tièdes au cours des dernières manifestations convoquées par la hiérarchie de l’église, même sous le couvert du fameux Comité Laïc de Coordination. « Le Cardinal n’avait pas apprécié qu’un curé de la Gombe se soit contenté de faire faire le tour de la cour de l’église aux fidèles, le 31 décembre dernier », rapporte un religieux de nationalité italienne, curé d’une paroisse oubliée de la périphérie de Kinshasa. Le Père J. n’avait pas jugé correct de marcher ce jour-là, lui aussi. Et en avait reçu, en même temps que d’acerbes remontrances l’ordre de battre le pavé à la tête de ses paroissiens s’il ne voulait pas que sa nomination soit « revue » par l’archevêché dès la prochaine mise en place dans la capitale.
Les injonctions ignorées de la CENCO
Pas d’injonctions de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) qui tienne donc sur les terres du Cardinal Monsengwo qui a préféré jouer « solo ». La circulaire signée du président de l’instance dirigeante de l’église catholique romaine rd congolaise le 15 janvier dernier à l’intention de ses collègues évêques et du Cardinal n’a pas été suivie d’effet. Elle recommandait aux prêtres catholiques de ne pas s’impliquer dans l’action, pourtant. Kinshasa n’a pas obtempéré, s’assurant même, pour être sûr de son fait, du concours frauduleux des confessions autres que catholiques et servant à dessein de déclencheur d’émeutes.
Samedi 20 janvier, les organisateurs avaient posté sur les réseaux sociaux un communiqué d’adhésion de l’église kimbanguiste à la manifestation prévue le lendemain. Un faux, ainsi qu’il a été loisible de s’en rendre compte par la suite, parce que les verts et blanc de l’Eglise du Christ au Congo par le Prophète Simon Kimbangu n’ont guère été aperçus dans les rues de la capitale. Pas plus que les musulmans, dont des représentants étaient pourtant donnés pour avoir abondé dans le sens de l’appel au djihad du Cardinal-archevêque politicien de Kinshasa dans une déclaration vendredi dernier.
Les fidèles, les vrais, ne sont pas allés loin
Les premiers pas hors paroisses des fidèles catholiques kinois n’ont pas mené bien loin, cependant, lorsqu’ils ont eu lieu. On ne marche pas à genoux, cela va de soi, et instruction avait été donnée de s’agenouiller dès le premier accrochage avec les forces chargées du rétablissement de l’ordre sur la voie publique. Dans la plupart des cas, les croyants ne se sont fait prier pour rebrousser chemin ou disparaître dans la nature. Mais des groupes de gros bras non chrétiens préparés à l’action ont pris la relève de la marche et des affrontements avec les forces de police.
A la paroisse Saint Joseph de Matonge, où Félix Tshilombo Tshisekedi a choisi d’assister au culte dominical, un groupe de jeunes a suivi le président du Rassop/Limete au sortir du culte du 21 janvier. Une marche improvisée quasiment soutenue et encadrée par la police de la mission onusienne en RD Congo dont au moins 2 jeeps étaient chargés de la protection de l’opposant rd congolais et « de civils » manifestants. Jusqu’à la hauteur de la 7ème rue Limete, lorsque la police a profité de l’éloignement des véhicules onusiens pour disperser la foule à coups de grenades lacrymogènes, et au milieu d’un sauve-qui-peut généralisé, selon le témoignage d’un manifestant qui n’avait rien d’un fidèle catholique.
Nouveaux chrétiens pleins les cultes
Même scénario ou presque non loin de là, à l’église Saint Dominique de Limete. Ici, le terrain de football en face du lieu cultuel est bondé de policiers et les grenades lacrymogènes préventivement largués ont empêché toute progression hors paroisse. C’est du quartier mal famé de Mombele, riverain de Limete, qu’ont afflué cependant quelques centaines de « manifestants » venus en découdre avec les policiers. Sur leur passage, ils faisaient le signe de la croix et entonnaient des prières bruyantes. Tout en mettant à sac le domicile d’un résident sur avenue Lac. L’homme, dénoncé parce qu’il était journaliste de la Radio-Télévision Nationale Congolaise (RTNC), n’a eu la vie sauve que grâce à l’intervention des voisins de quartier. Un responsable paroissial a confié au Maximum que « Nous les chrétiens ne nous rendons plus aux messes du dimanche. Mais l’église est toujours pleine de figures que nous n’avons jamais vues auparavant. Ce ne sont pas nos fidèles et nous préférons ne pas nous mêler à eux ». « Le Cardinal ne s’adresse pas aux laïcs chrétiens que nous sommes. C’est à ses prêtres qu’il transmet les ordres, et ceux-ci les communiquent au cours des offices religieux. Mais il n’est pas certain que ceux qui se rendent à ces messes convoquées pour manifester soient des fidèles catholiques », insiste-t-il.
A la paroisse St Augustin à Lemba, le culte venait de prendre fin lorsque le curé s’est pointé sur les lieux dans l’intention manifeste de conduire la marche des brebis divines. Les éléments de la police l’ont cueilli sans ménagements, rapportent des témoins, empêchant toute marche hors des lieux des rares fidèles qui avaient assisté à la messe. Ici, les habitués avaient pris la précaution de prendre part à la messe dite la veille pour s’éviter des ennuis. Des femmes mûres avaient prévenu qu’elles ne se rendraient pas à une célébration eucharistique qui avait toutes les chances d’être agrémentées de grenades lacrymogènes. « Ce n’est pas de notre âge », se seraient-elles convenues. Résultats : à la messe du dimanche 21 janvier à l’église Saint Augustin, nombre de travées étaient désertes. Celles qui étaient occupées comptaient plus de jeunes que les fidèles habituels.
Coordination politicienne
Dans la même commune, des témoins ont surpris vers le terrain de football dénommé « terrain GD » à Lemba, un groupe d’individus qui coordonnait la progression des manifestants de ce secteur de la capitale. « Ils n’avaient rien à voir avec notre église, ces gens-là », explique ce fidèle de Saint Augustin au Maximum, qui rapporte qu’ils communiquaient par téléphone portable avec des manifestants à Matete. « Prenez des voies détournées si l’église Saint Alphonse est bloquée et rejoignez-nous à Fikin (Foire Internationale de Kinshasa), vous serez protégés par nos amis de la MONUSCO », leur disaient-ils.
L’information prend un relief particulier lorsqu’on la recoupe avec le communiqué rendu public vendredi 19 janvier par la mission onusienne en RD Congo. La MONUSCO annonçait l’envoi sur le terrain d’une marche interdite par les autorités urbaines d’équipes d’observateurs composées de représentants de la force la mission, de la police des Nations-Unies et du Bureau Conjoint aux Droits de l’Homme. Plus qu’un encouragement manifester, le rôle des onusiens fut un accompagnement au nom du nébuleux principe de protection des civils.
Des sources indiquent également que des bas-fonds des quartiers Mbanza Lemba et Kisenso des hordes de délinquants rétribués par l’UNC Vital Kamerhe ont afflué vers le Rond-Point Ngaba où la présence des forces police les a contraint à une déviation par la Cité Salongo. Ce sont ces délinquants qui, quelques minutes après, ont débouché à la station de vente de carburant située à l’intersection de l’avenue By-Pass et de l’avenue qui mène vers la cité Salongo. Très décidés et manifestement drogués pour la plupart, ils ont affronté les forces de police et blessé au moins 5 parmi eux. Mais sans parvenir à poursuivre la marche vers la place de l’Echangeur, le point de ralliement avant de déferler sur le boulevard Lumumba.
Les morts ne sont pas ses morts
C’est donc parmi ces manifestants très peu chrétiens que se comptent les nouvelles victimes de l’activisme politique du Cardinal-archevêque de Kinshasa. « Le mort par balles de Lemba est un shégué (enfant de la rue)», assurent des sources. Il aurait été atteint par une balle perdue à la hauteur de la place dite de la « Sous-Région », entre la place de l’Echangeur de Limete et l’entrée de la commune de Matete. Grièvement blessé, l’infortuné a par la suite été transporté vers la paroisse St Augustin, plutôt qu’à un centre hospitalier, où il aurait succombé à une hémorragie.
Selon les chiffres de la mission onusienne, au moins 6 personnes auraient trouvé la mort dimanche dernier à Kinshasa. Des centaines de blessés ont aussi été enregistrés, selon les mêmes sources. Mais l’opinion attend toujours que les chiffres avancés soient documentés. Mme Marchal, porte-parole s’est contentée après avoir confirmé ce nombre de morts de promettre « plus de détails après l’enquête ». Etonnant. En attendant, force est de constater que seulement deux décès ont finalement été formellement confirmés, avec identité des victimes et lieux des obsèques. Pour le reste, seulement des slogans partisans.Ou presque.
En l’espace de deux semaines, le prélat catholique kinois aura donc entraîné des innocents à la mort 12 personnes, dont on peut douter qu’ils soient des fidèles catholiques. Encore qu’on peut se demander de quel droit divin Laurent Monsengwo peut exposer une autre âme que la sienne propre à une fin si humainement programmée.
J.N.