La journée du vendredi 12 janvier 2018 a été un véritable calvaire pour un grand nombre d’usagers des rues et avenues de la commune de Lingwala dans la capitale en raison d’embouteillages monstres générés par une célébration eucharistique à la Cathédrale Notre Dame du Congo sur l’avenue de la Libération à une heure de grande affluence. A l’appel du Cardinal-Archevêque de Kinshasa, Laurent Monsengwo Pasinya, une messe de mort avait été convoquée et célébrée à 10 heures de ce jour ouvrable, obstruant partiellement cette avenue, l’une des plus longues de Kinshasa. Des automobilistes cités par des confrères en ligne témoignent de leurs difficultés, la Police n’ayant pas été mise à contribution pour encadrer l’usage de cet espace public : « C’est depuis sept heures que ces embouteillage ont commencé. Nous sommes restés environ 30, parfois 45 minutes bloqués dans un bouchon. Personnellement je n’ai jamais vécu un tel phénomène. Ça se produit dans la plupart des cas le soir, après le coucher du soleil. Mais pas le matin comme ça », explique un d’entre eux, taximan de son état. Cette perturbation avait été manifestement visée par le très politisé N°1 de l’archidiocèse catholique romaine de Kinshasa, qui s’est lancé depuis décembre dernier à corps perdu dans une lutte sans merci contre le président Joseph Kabila et sa majorité au pouvoir en RD Congo qu’il avait juré de « dégager » le 31 décembre dernier.
Une matinée politique
En réalité la messe des morts du début du week-end dernier n’en était pas une. Il s’est agi d’une activité politique frappée du sceau clérical inscrite dans la droite ligne des appels incessants à l’insurrection populaire lancés par les acteurs politiques de l’opposition et certains membres du clergé catholique local, le Cardinal Laurent Monsengwo en tête depuis la fin de l’année dernière. Des confrères présents en ont témoigné, des observateurs avertis aussi : « L’Eglise catholique persiste et signe en République Démocratique du Congo face au régime du président Joseph Kabila, avec la célébration vendredi à Kinshasa d’une messe qui a pris des allures de réunion publique en faveur de l’alternance, en présence de plusieurs ambassadeurs occidentaux », ont écrit à ce sujet nos confrères de l’AFP dans une dépêche largement reprise dans les médias globaux. Qui ont rapporté également que « La messe a été interrompue à plusieurs reprises par des salves d’applaudissements, des chants, des slogans, voire des huées, qui ont ponctué l’intervention de différents membres du clergé (appelant au) respect d’un accord politique conclu sous l’égide de l’Eglise catholique (et) prévoyant le départ du pouvoir du président Kabila ».
Messages incendiaires
Au cours de la célébration elle-même, le Cardinal Monsengwo fulminant d’une rage à peine contenue et ses disciples n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère. « Nous célébrons la fin de l’arrogance, de l’ignorance, de nombreux mensonges d’un pouvoir assassin de notre humanité à tous. C’est le moment pour chaque Congolais de prendre son destin en main », a asséné d’emblée Laurent Monsengwo qui patronnait le culte avec des accents d’un politicien en campagne. Concélébrant de l’office, un de ses adjoints, l’évêque auxiliaire Donatien Bafuindinsoni a cru devoir rajouter une couche en titillant l’amertume des activistes de l’opposition radicale dans la salle venus en grand nombre en assurant que « si nous avons perdu un frère, une sœur, nous avons gagné des héros, des vrais, parce qu’ils ont mêlé leur sang à celui de tous ceux qui sont morts pour l’alternance au pouvoir, gage de la démocratie ». Avant de décréter que désormais, chaque 31 décembre de l’année serait consacré à ceux qu’il a présenté comme « des martyrs de la démocratie ». Tandis que l’Abbé Donatien Nshole, neveu du Cardinal et porte-parole de l’épiscopat de la RD Congo connu pour ses saillies peu nuancées contre Joseph Kabila et sa Majorité présidentielle invitait carrément les fidèles à « barrer pacifiquement la route à toute tentative de confiscation ou prise de pouvoir par des voies non-démocratiques ou anticonstitutionnelles ».
Pratiquement pas de religiosité donc, vendredi avant-midi dans l’enceinte de la Cathédrale catholique romaine de Kinshasa-Lingwala. « L’affaire paraît décidément plus politique que divine », a constaté un diplomate africain estomaqué par la violence des propos des ecclésiastes. Parce qu’en plus, seul maître de la juridiction catholique de Kinshasa, Monsengwo avait obligé tous les curés de la capitale à rappliquer vers Notre Dame du Congo à Lingwala flanqués de tous leurs paroissiens. Un mot d’ordre qui n’a, de toute évidence, pas été suivi à la lettre, loin s’en faut. Parce que parmi les chrétiens la perplexité l’a emporté sur la ferveur religieuse ou la compassion quant à cette stratégie politicienne consistant en un assaut en règle contre une famille politique qui ne manque pas de fidèles parmi les catholiques. A la Cathédrale, il y a eu plus de politiques et de diplomates occidentaux et d’acteurs politiques de l’opposition que de fidèles catholiques habitués aux offices religieux.
Lancer une insurrection
L’objectif de cette eucharistie très politique était cousu de fil blanc : il s’agissait de remettre sur les rails un mouvement insurrectionnel raté le 31 décembre 2017. « On n’est pas ici pour louer le Seigneur ou Lui recommander les âmes des morts », s’est indigné un septuagénaire visiblement déçu. Au sortir de la cathédrale, les plus en vue des acteurs politiques de l’aile radicale de l’opposition ne s’en sont pas privés. Félix Tshilombo Tshisekedi et Vital Kamerhe notamment ont tenté d’entraîner derrière eux quelques fidèles chauffés à blanc par les sermons cléricaux, sans trop de succès, parce que les forces de maintien de l’ordre ont, une fois de plus, prévenu l’escalade et veillé au grain. Les fauteurs de désordre dans la rue qui chantaient « yo nani, oboya Monsengwo !» (qui es-tu pour refuser Monsengwo) démontrant qui était le véritable chef d’orchestre de la « manifestation spontanée de l’opposition » ont été dispersés à coups de gaz lacrymogènes dès le début d’une marche « en formation » qui a essayé de bloquer l’avenue de la Libération, assure un correspondant de l’AFP qui écrit qu’«un attroupement a été dispersé vendredi par des tirs de sommation de la police devant la cathédrale de Kinshasa, après une messe très critique envers le pouvoir du président Joseph Kabila ». Ce que confirme à demi-mots Vital Kamehre, le président de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) qui explique à des confrères en ligne que « les routes ne sont pas faites seulement pour les véhicules. Il y a les piétons qui peuvent marcher et tout le monde peut marcher sans perturber l’ordre public. Donc nous étions en train d’exprimer à la fois notre colère de voir que notre pays est gouverné comme il l’est, notre peuple paupérisé, et nous disons donc que la lutte continue ».
Tentative de manifestation
Lutte ou affrontement, c’est de toute évidence ce que les organisateurs de la messe dite des morts du vendredi dernier visaient. Dès 14 H 26’, Kamerhe alertait l’opinion en faisant état de tirs à balles réelles dont on peine depuis le 31 décembre dernier à identifier les victimes à Kinshasa. Quelques minutes plus tôt, l’ancien speaker de l’Assemblée nationale de la RD Congo, déjà indexé pour son extrême versatilité aussi bien par nombre de ses pairs de l’opposition que par les diplomates en place à Kinshasa, annonçait que nous « venons de vivre la barbarie de la police qui lance des bombes lacrymogènes alors que nous sortions de la messe des martyrs du 31 décembre en marchant joyeusement (sic !) avec la population revigorée par l’homélie et le message très fort de la CENCO ». C’était, en fait, une nouvelle tentative de faire déferler des « foules de fidèles » à travers les artères de la capitale, que la police a tôt fait d’étouffer vigoureusement dans l’œuf, selon des sources concordantes sûrement plus crédibles que le leader de l’UNC. Vendredi dernier, les organisateurs de la messe dite des morts ont tôt fait de poster dans les réseaux sociaux une image, la même, d’un blessé à la face. L’image du jeune homme que l’on voit soigné par une religieuse saignait légèrement à hauteur du nez. Une image brandie comme un trophée de cette eucharistie extrêmement politisée : « blessé par les tirs à balles réelles » pouvait-on lire en une légende peu crédible car on peut se demander comment des balles réelles à la tête n’ont pas tué celui qui les a reçu sur le coup.
Partisans dispersés
Un rapport, rendu public par le Colonel Pierrot Mwanamputu, porte-parole du Commissaire général de la Police Nationale Congolaise (PNC), posté le même jour sur les réseaux sociaux explique que « dans la suite de l’UNC Vital Kamerhe, un groupe de partisans a entamé une marche jusqu’à la hauteur du terrain Congo Loisirs, créant un embouteillage sans précédent. A la demande de la police de se disperser, ces manifestants ont répondu par des jets de pierre qui ont contraint les forces maintien de l’ordre à les disperser par des gaz lacrymogènes ». Deuxième flop donc d’une opposition décidément en perte de vitesse, malgré le soutien du Cardinal Monsengwo…
Au cours de la messe de requiem de la Cathédrale Notre Dame du Congo, on a entendu les officiants égrener les noms des victimes, 6 au total, presque les mêmes, à un nom près, que ceux rendus publics par le communiqué de la Police nationale. Que la Nonciature Apostolique (Ambassade du Vatican) à Kinshasa et la Monusco ont confirmé. Même si une nouvelle polémique se fait jour sur la qualité des victimes ainsi que sur l’occurrence des circonstances de leurs décès. Le rapport de la PNC rendu public le 31 décembre dernier au terme de la marche étouffée du Comité Laïc de Coordination faisait, certes, état de 5 morts dont un élément de la PNC, mais précisait qu’aucune de ces victimes, même le policier, n’avait succombé du fait de prétendus tirs à balles réelles ni dans des affrontements avec des « marcheurs » ameutés par le CLC. A l’analyse, il ne semble pas qu’un seul fidèle catholique ait trouvé la mort au cours d’une manifestation ce jour-là à Kinshasa ou ailleurs dans le pays. Selon ce rapport qu’aucune source indépendante n’a pu contredire de manière crédible jusque-là (Monsengwo et ses affidés se contentant d’accuser la police et le gouvernement de « dire des mensonges »). Les morts enregistrées étaient dues respectivement au pillage d’une chambre froide qui a mal tourné à Matete et à deux offensives terroristes à Masina, en banlieue de Kinshasa et à Kananga au Kasaï central.
Ces incertitudes et obscurités sur l’identité des victimes du 31 décembre dernier n’ont pourtant pas empêché le Cardinal-Archevêque de Kinshasa de s’en servir comme des gâchettes pour déclencher sa djihad contre le pouvoir en place à Kinshasa et d’élever même les tristement célèbres terroristes « kamwina Nsapu » en martyrs de la démocratie. Un comble. Comme si, pour faire feu de tout bois, l’essentiel était de couler des adversaires politiques.
J.N.