« La sûreté publique et l’intérêt des maîtres », ce sont selon le préfet apostolique de l’ordre des Capucins dans les îles du Vent, les deux premiers objectifs de l’instruction religieuse dispensée par les missionnaires aux esclaves, le troisième étant le salut de l’âme de ces derniers. (Règlement de discipline pour les nègres adressé aux curés des colonies françaises par le P. Charles-François de Coutances en 1775-1776).
L’encadrement religieux des esclaves est assuré par différents ordres réguliers : les Frères de la Charité, les Carmes, les Jacobins ou Dominicains, les Jésuites, les Lazaristes et les Capucins. Ce sont donc des moines qui se répartissent la charge des cures des différentes paroisses. Ces ordres religieux propriétaires d’esclaves participent activement au contrôle social des esclaves. Le préfet apostolique des Capucins rappelle que l’essentiel de la tâche des curés à l’égard des esclaves est « de les former aux bonnes mœurs. C’est la religion des hommes simples et grossiers ». Elle consiste « dans l’accomplissement des devoirs de leur état, et dans la correction des vices qui y sont opposés »…
Le prône est suivi de monitions : « Nous avertissons tous ceux et celles qui se sont adonnés au mal faire, et abandonnés au libertinage et au vol, de se corriger, sous peine de damnation éternelle… tous ceux qui sont marrons, de se rendre à l’obéissance de leur maîtres, et défendons aux autres de les aider, et soutenir dans leur révolte, sous peine d’une rigoureuse pénitence ». Les curés ne peuvent administrer l’eucharistie aux esclaves qu’après avoir reçu un certificat délivré par leurs maîtres. Ils ne doivent donner l’eucharistie qu’une à deux fois par an et seulement aux esclaves d’âge mûr ou mariés. Ces instructions montrent comment la pratique religieuse et la messe sont utilisées pour consolider l’ordre social esclavagiste. La possibilité d’accéder à certains rites comme l’eucharistie dépend plus de la bonne conduite de l’esclave que de sa connaissance liturgique. L’hostie devient alors une sorte de récompense au « bon sujet ». A l’inverse, la pénitence doit être la plus humiliante possible pour l’esclave qui s’est rendu coupable d’une faute grave. Pendant la messe, différentes lectures de passages du Nouveau Testament permettent aux curés de justifier l’esclavage. Quelques textes bibliques sur lesquels le clergé colonial s’appuyait pour enseigner la soumission et la résignation aux esclaves sont très significatifs. Voici ce qu’écrit Paul de Tarse dans Epitre aux Corinthiens :
« (…) 19.- Le tout est d’observer les commandements de Dieu ;
20.- Que chacun demeure dans l’état où il était quand Dieu l’a appelé ; 21.- Avez-vous été appelé à la foi étant esclave, ne portez point cet état avec peine, mais plutôt faites-en un bon usage, quand même vous pourriez devenir libre ; 22.- Car celui qui étant esclave est appelé au service du Seigneur, devient affranchi du Seigneur, et de même, celui qui est appelé étant libre, devient esclave de Jésus-Christ ; 23.- Vous avez été achetés d’un grand prix ; ne vous rendez pas esclaves des hommes ; 24.- Que chacun, mes frères, demeure donc dans l’état où il était lorsqu’il a été appelé, et qu’il s’y tienne devant Dieu ».
Voici ce qu’il écrit dans Epitre aux Ephésiens :
« Esclaves, obéissez à vos maîtres d’ici-bas avec crainte et tremblement, d’un cœur simple, comme au Christ, non pas parce que l’on vous surveille, comme si vous cherchiez à plaire aux hommes, mais comme des esclaves du Christ qui s’empressent de faire la volonté de Dieu. Servez de bon gré, comme si vous serviez le Seigneur, et non des hommes. Vous le savez : ce qu’il aura fait de bien, chacun le retrouvera auprès du Seigneur, qu’il soit esclave ou qu’il soit libre… Par ailleurs, que chacun vive selon la condition que le Seigneur lui a donnée en partage et dans laquelle il se trouvait quand Dieu l’a appelé… »
Voilà le fondement théologique qui a servi toutes les horreurs esclavagistes notamment contre les Amérindiens et les Noirs !
Vers 1775-177-, l’instruction du supérieur de l’ordre des Capucins aux îles du Vent cite l’épître aux Ephésiens et la première épître de saint-Pierre comme exemples de textes à prononcer au prône. Le clergé sert les intérêts de la colonie et des maîtres. En 1787, Louis XVI obtient du Pape la permission spéciale de limiter à dix le nombre de jours fériés dans les colonies… Dans le même temps, les colons voient avec satisfaction la suppression, en 1764, de l’ordre des Jésuites, considéré comme trop favorable aux esclaves. Le clergé informe les esclaves des peines encourues en cas de désobéissance en lisant à la messe les arrêts et ordonnances les concernant. Ces menaces sont valables à la fois ici-bas et dans l’au-delà. Le clergé enseigne la soumission et le respect de la hiérarchie aux esclaves. Lui seul leur professe le schéma hiérarchique de la société selon lequel le Roi est supérieur à ses sujets, le maître à ses esclaves, les parents aux enfants, l’homme à la femme. Lui seul leur conseille d’être reconnaissants envers ceux qui leur sont supérieurs et tente de leur faire admettre qu’ils ont l’obligation morale de rester au rang où Dieu les a mis…
Le rôle du clergé dans le retour des esclaves fugitifs est attesté par le règlement de discipline pour les nègres adressé aux curés dans les iles françaises de l’Amérique : « Le saint jour de Pâques étant par excellence un jour de miséricorde consacré par la résurrection de Jésus-Christ, nous exhortons les maîtres à recevoir le pardon de ceux de leurs esclaves qui se présenteront à Pénitence. En conséquences, nous enjoignons aux nègres et négresses qui nous ont été dénoncés (…) de rentrer dans leur devoir et de se rendre samedi saint à la porte de l’Eglise, pour y être mis en pénitence… Vous déclarant que si vous manquez de l’accomplir et ne donnez pas des preuves certaines de repentir et d’amendement, vous serez effacé du nombre des chrétiens, privé de l’entrée de l’Eglise et abandonné à la mort sans assistance, sans sacrement, et sans sépulture ».
D’un point de vue idéologique, l’église a popularisé la légende de la descendance de Cham, fils maudit de Noé dans la Bible, condamné à n’être à jamais que l’esclave de l’esclave de ses frères, identifiant les Africains aux descendants de Cham… Cette désignation arbitraire d’une couleur, d’une altérité à mettre sous les fers, permettait de contribuer à l’extinction en Europe de stades extrêmes d’asservissement, accordant les pratiques d’exploitation sociale des puissants avec le discours chrétien à usage interne. Les infidèles, païens, hérétiques, incroyants, lointains devenaient des esclaves par nature pour les mélanodermes spécifiquement.
Dans ce contexte de justification de l’injustifiable, de légitimation de l’illégitime par essence, le 08 janvier 1454, Nicolas V, de son vrai nom Tommaso Parentucceli [1398-1455], 206ème Pape, écrit au souverain du Portugal Alphonse V une bulle papale spéciale l’autorisant à soumettre en esclavage les nègres de Guinée et les païens. Cette position de l’église chrétienne, accompagnée de la légende de Cham que la noble institution diffusait sans s’encombrer de son réel fondement textuel et théologique, trop contente de disposer de nouveaux territoires de croisades, d’évangélisation, ferait autorité balayant les réticences des négriers en herbes et traitants néophytes. La position de l’église catholique par rapport à la Traite négrière n’allait pas être un épiphénomène loin de là, ses encouragements à l’ensauvagement esclavagiste continueraient tout au long de la période négrière, à l’instar de l’activisme doctrinaire de l’éminent théologien français Bellon de Saint Quentin, qui se servait des Saintes Ecritures pour libérer la conscience des traitants qui s’en remettaient à sa science.
L’église chrétienne fut aussi l’institution qui consacra, par l’intermédiaire de son représentant le pape Alexandre VI, Rodrigo Borgia de son vrai nom, le partage du monde entre le Portugal et l’Espagne en 1494 par le traité de Tordesillas. Au Portugal, revenaient l’Afrique, l’Asie et le Brésil alors que l’Espagne se voyait octroyée le reste de l’Amérique.
Théoricienne et organisatrice de la Traite négrière, l’église allait s’activer pour en être un bénéficiaire direct et temporel, ne s’oubliant pas au festin des prédateurs. En effet lorsque le premier acte négrier fut posé par le rapt de dix Africains, perpétré par une expédition militaire portugaise menée par Nuno Tristan et Antam Gonsalves, les « meilleurs esclaves » furent offerts à Gabriele Condulmer dit Eugène IV, 205ème pape de l’église catholique, apostolique et romaine.
A cela s’ajoutent les esclaves qui travaillaient dans les abbayes, monastères et autres lieux de résidence des religieux, soumis à toutes les servitudes liées à leur double de statut de bien meuble et d’esclave par nature, convertible à souhait au christianisme.
Il ne faut pas oublier, en sus, le Code noir qui régissait dans les colonies françaises l’ensemble des soumissions et tortures légales des esclaves, tous les instants de leur quasi-existence étant par décret orientés vers l’économie de plantation. Ce Code fait expressément référence à l’Eglise catholique comme seule religion autorisée dans les colonies, monopole sur « le marché de Dieu… »
Il convient par conséquent de rendre au christianisme négrier ce qui lui revient, de s’armer d’une intransigeante culture de veille devant les nouveaux assauts de révisionnisme décuplés depuis que la question des réparations à la traite négrière est abordée dans les grands forums internationaux comme celui de Durban (Afrique du Sud).
La soudaine publicité au Vaudou béninois se termine rituellement dans les médias occidentaux par l’allégation avec pseudo témoignages de la participation volontariste du Dahomey à la traite négrière. De telles indigences intellectuelles programmées pour produire des effets de désagrégation des dynamiques afro-diasporiques en cours et pour insensibiliser les opinions publiques occidentales à leur culpabilité historique procèdent par compilations sélectives des faits relatifs à la traite négrière. Il est caractéristique que l’on ne se demande pas quelle était l’économie du Dahomey avant son entrée dans la traite esclavagiste…Cette absence n’est pas neutre, elle s’explique par la nécessité de présenter une collaboration volontaire des Africains à leur démolition. Or les historiens n’ignorent pas que avant que Dahomey tombe pieds et poings dans les filets des négriers, le Roi Agaja Trudo avait déployé une énorme énergie résistante et politique pour arrêter la traite, proposant d’autres formes explicites de coopération aux pays européens, faisant appel à leurs artisans, ainsi qu’il en fut des rois Ashantis, Kongo, etc…
On peut citer aussi : Afrikara :
La Bulle négrière du pape Nicolas V au roi du Portugal, Alphonse
En 1854, l’Eglise bénit la traite négrière
Le protestantisme et l’esclavage
Église et esclavage dans les vieilles colonies françaises au XIXe siècle