A Rangoon (Birmanie), le Pape appelle avec délicatesse les catholiques et les dirigeants du régime militaire à guérir les blessures des relations sanglantes avec la minorité musulmane, en RD Congo, les évêques attisent le feu de la conflictualité entre Congolais.
Le Pape François en Birmanie ! Qui l’eut cru ? Les informations autour du voyage du Saint Père dans ce pays de l’Asie du Sud Est continentale (frontalier de la Chine, du Bengladesh, de l’Inde, du Laos et de la Thaïlande) ont accaparé les Unes des médias mondiaux depuis lundi 27 novembre 2017. Probablement parce que rien ne prédisposait particulièrement le Souverain Pontife à effectuer le voyage dans ce pays perdu au bout de la planète, où sévit un régime qui n’a rien de démocratique (dans le sens occidental du terme), qui soumet une de ses minorités, les musulmans Rohingyas (quelque 900.000 âmes y ont fui la persécution dans les pays voisins), à une épuration ethnique sans fards (selon l’ONU).
Le patron et chef spirituel de l’église catholique romaine, un argentin d’origine italienne, s’est effectivement rendu dans ce pays dirigé par une junte militaire depuis plus d’une quarantaine d’années. En Birmanie, la victoire d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix et sa National League for Democracy aux législatives de novembre 2015, n’y a pas changé grand chose. Le travail forcé y est toujours une pratique courante et les musulmans Rohingyas dont le Saint Père n’a osé citer le nom dans aucune de ses allocutions sont toujours persécutés bien que la NLD se soit vue gratifiée du poste de 1er ministre le 16 mars 2016 dans un gouvernement de transition qui est loin d’avoir atteint ses objectifs de démocratisation. Les organisations internationales des droits de l’homme classent ce pays parmi les pires du monde en matière de libertés publiques : la liberté de la presse et les droits de l’homme n’existent pas, et le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant de l’exécutif. En Birmanie (autrement appelé République du Myanmar) les militaires conservent un poids institutionnel très important en détenant « de droit » un quart des sièges au Parlement et les ministères de la défense, de l’intérieur et des frontières. C’est tout sauf un paradis de la démocratie et du respect des droits humains, donc.
Appels à la sagesse
Cela n’a pas empêché l’héritier du trône de Saint Pierre, en visite dans ce pays qui ne compte que 6 % de croyants catholiques (contre 4 % de musulmans et 88 % de bouddhistes) objets de persécutions eux aussi, de se montrer tout miel et conciliant. En commençant par éviter d’effleurer le moindre mot susceptible de fâcher les militaires véritables détenteurs du pouvoir. Le Pape François s’est limité très diplomatiquement à les appeler à « construire un ordre social juste, réconcilié et inclusif » qui garantisse « le respect des droits de tous ceux qui considèrent cette terre comme leur maison ». Point final. Depuis août 2017, les Rohingyas sont pourtant chassés de la Birmanie par une féroce répression de l’armée à coups de voies de fait, d’exécutions sommaires, de viols et de déplacements forcés, selon l’ONU.
S’adressant aux chrétiens catholiques birmans au cours d’une messe devant une foule estimée à 150.000 personnes, mercredi 29 novembre, le Pape François s’est félicité du travail d’évangélisation effectué par de nombreuses communautés et a exhorté les fidèles catholiques à « être signes de sa sagesse, qui triomphe sur la sagesse de ce monde, et signes de sa miséricorde, qui apporte aussi soulagement aux blessures les plus douloureuses ». Dans ce pays perdu au bout de la planète, l’héritier du trône de Saint Pierre a fait preuve d’un apolitisme de haute facture en stigmatisant toute forme de violence. « Je sais que l’Église en Birmanie fait déjà beaucoup pour porter le baume de guérison de la miséricorde de Dieu aux autres », a-t-il encore déclaré, mettant en garde contre « la tentation de répondre à ces blessures avec une sagesse mondaine qui (…) est profondément faussée ». « Nous pensons que le soin peut venir de la colère et de la vengeance. La voie de la vengeance n’est cependant pas la voie de Jésus », a fermement affirmé le successeur de Saint Pierre.
Amour et tolérance
Quelques heures après, le même mercredi 29 novembre, le Saint Père s’est adressé aux responsables bouddhistes birmans qui l’ont reçu à la pagode de Kaba Aye à Rangoon. Et a opéré un rapprochement remarquable entre le Dhammapada, un ancien texte bouddhique, « Élimine la colère avec l’absence de colère, triomphe sur le méchant avec la bonté, défait l’avare avec la générosité et le menteur avec la vérité » ; et la prière de Saint François d’Assise, « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Là où est la haine que je porte l’amour, là où est l’offense que je porte le pardon… ». Pour exhorter les moines birmans à jouer leur rôle dans le dialogue social dans leur pays. «Il est nécessaire de dépasser toutes les formes d’incompréhension, d’intolérance, de préjugé et de haine », a insisté le Chef de l’église catholique romaine devant ses hôtes.
En terre birmane, le Saint Père aura adopté un profil différent, voire, contraire à celui présenté par ses représentants en Afrique en général et en RD Congo en particulier, notent les observateurs. Dans ce pays continent de l’Afrique Centrale, où la Conférence Episcopale Nationale (CENCO) soutenu par le Nonce apostolique (Ambassadeur du Vatican), tient lieu d’opposition radicale à la majorité présidentielle vainqueur des deux derniers scrutins électoraux, c’est à peine si François 1er n’est pas présenté comme un « père fouettard » qui sanctionne chrétiens et dirigeants du pays au prorata de leurs exploits démocratiques et en matière de respect des droits de l’homme.
Une visite papale = prime à la tenue des élections ?
En effet, mi-septembre 2017, le représentant du Pape François en RD Congo, Mgr Luis Mariano Montemayor expliquait, au cours d’un entretien avec la presse, l’annulation du voyage papal subodoré quelques mois plus tôt. « Le Pape voulait venir. Le Saint Siège a dit clairement aux autorités congolaises qu’il est en faveur des élections [en RDC] qui sont établies par sa constitution », déclarait-il. Luis Mariano Montemayor ne s’est pas arrêté en si bon chemin puisqu’il a tenu à expliciter très clairement les raisons de ce « refus » du Pape de fouler le sol du pays de Lumumba : « Le gouvernement nous avait dit qu’il serait content de la venue du Saint Père. C’était l’une de premières choses que le président Kabila m’a dites quand je lui ai présenté ma lettre de créance [en 2015]. [Il m’a demandé] quand va venir le pape. Avec une boutade, j’ai répondu : quand vous allez finir le dialogue congolais. C’est toujours clair pour nous. Et ce n’est un mystère pour aucune instance du gouvernement. On ne cache rien. Quand il y aura élection, on sera sûr qu’il y aura les conditions d’une pacification du pays. Avant ça, [il y a] risque de manipulation, d’exploitation de la visite du Saint Père. Soit pour dire qu’il appuie la continuation du gouvernement illégitime. Soit pour ceux qui […] espèrent expulser le régime en fonction des mouvements populaires », avait-il soutenu au micro de nos confrères de la radio onusienne Okapi, le 12 septembre dernier, au terme d’un séjour à Kananga au Kasai Central. Commentaire d’un fidèle catholique, au sortir de la messe de 6 heures à l’église Saint Joseph de Matonge jeudi 30 novembre : « A la différence de la Birmanie, c’est comme si le Saint Père adoptait un profil plus politiquement agressif vis-à-vis de notre pays ! ». Nombre de chrétiens catholiques rd congolais, qui n’ont pas oublié les séjours des précédents papes dans le Zaïre du défunt dictateur Mobutu, tout se passe comme si une visite papale était devenue une sorte de récompense liée à la stricte application des principes démocratiques et des droits de l’homme dans un pays…
Appels à la guerre sainte
Les messages du Saint Père en Birmanie contrastent également, du tout au tout, avec ceux des princes de l’église catholique romaine de la RD Congo. « C’est le jour et la nuit », commente à ce propos une étudiante de l’Université Catholique du Congo, dont le recteur, le révérend abbé Santedi, était il y a encore quelques mois le porte-parole attitré de la CENCO.
Au terme d’une session extraordinaire tenue la semaine dernière, les évêques de l’église catholique romaine rd congolaise ont donné de la voix pour demander d’un ton comminatoire au Président de la République, Joseph Kabila, de « déclarer qu’il ne sera pas candidat à sa propre succession aux prochaines élections ». Un message qui fait suite à un véritable appel au djihad lancé par les mêmes évêques le 23 juin dernier, et annonciateur d’une apocalypse programmée à fin décembre 2017. Contrairement à l’attitude d’humilité conciliante du N° 1 de l’Eglise catholique en Birmanie, les princes de l’église catholique congolaises ont quasiment appelé à la guerre sainte en République Démocratique du Congo : « Un groupe de compatriotes, abusant manifestement de leur pouvoir, s’octroient des avantages économiques faramineux au détriment du bien-être collectif », ont-ils accusé sans ambages. Avant d’inviter leurs compatriotes à prendre leurs destins (belliqueux) en mains pour ne pas hypothéquer leur avenir : « « Chers frères et sœurs, regardons où nous risquons d’aller. Le pays va très mal. Mettons-nous debout, dressons nos fronts encore courbés et prenons le plus bel élan (…) pour bâtir un pays plus beau que celui d’aujourd’hui », ponctue ce message que l’opposition politique s’est empressée de s’approprier.
Depuis plusieurs jours, l’appel clérical « à se prendre en charge » est systématiquement distribué dans les églises catholiques à Kinshasa où des curés n’hésitent plus à citer les noms des hommes politiques « ennemis de la démocratie » et donc voués aux gémonies. Pour préparer les esprits à des manifestations de rue programmées à la fin de l’année. «Cinq mois après le message des évêques intitulé ’Le pays va très mal. Debout Congolais ! Décembre approche’ dans lequel nous avons stigmatisé la violation de l’accord politique global et inclusif et ses conséquences, nous constatons qu’il n’y a pas d’avancée significative. L’imbroglio politique et la souffrance de la population qui en résulte dépassent le seuil tolérable. Nous sommes profondément déçus de nous retrouver dans le même contexte de tensions qu’à la fin de l’année 2016. Le peuple ne tolérera pas que cela se répète en 2018 », y lit-on.
Entre les appels du Pape François aux Birmans et ceux de ses représentants aux rd congolais, le fossé est plutôt criant, ce qui laisse croire que ce n’est pas la même foi catholique qui est enseignée, selon que l’on change de continents.
J.N.