Depuis le dépôt au Parlement par le Premier Ministre, Bruno Tshibala Nzenzhe, du projet de la loi électorale, les réactions fusent de partout, critiquant pour la plupart l’idée de l’instauration du seuil dans le mode de scrutin de notre pays. A la Ligue des Jeunes de la Convention des Congolais Unis (CCU), une réflexion initiée par mes soins a conclu qu’il y a plus d’avantages que d’inconvénient dans la nouvelle donne introduite dans la loi électorale.
En effet, un mode de scrutin, c’est l’opération mathématique et les conditions techniques qui déterminent la transformation des voix des électeurs en mandats électifs. Il faut ainsi ranger dans mode de scrutin, l’attribution des sièges, le découpage des circonscriptions, les éventuels seuils de représentation et les autres techniques permettant de convertir les votes en sièges.
Le concept de mode de scrutin se distingue donc de celui de régime électoral. Ce dernier se définissant comme « l’ensemble des règles qui régissent le déroulement des élections et la désignation des élus ». Plus large, ce dernier concept englobe – outre le mode de scrutin – des règles électorales comme les conditions du droit de vote et d’éligibilité, les règles de financement des partis, le dépôt des candidatures, etc.
S’il existe un grand nombre de modes de scrutin, l’on s’accorde généralement à les regrouper en deux catégories : les scrutins de type majoritaire, d’une part, et ceux de type proportionnel, d’autre part.
Par scrutin majoritaire, on entend « un mode de scrutin au terme duquel le candidat qui obtient le plus grand nombre de suffrages est proclamé élu ». Par scrutin proportionnel, il faut entendre un mode de scrutin au terme duquel les listes obtiennent un nombre de sièges proportionnel aux résultats obtenus lors de l’élection.
Le problème du seuil
A en juger par les différentes interventions au sujet du problème du seuil de représentativité, on conclurait, comme beaucoup le font depuis quelques jours, qu’il n’y aurait pas consensus sur la question.
Pourtant, la proposition contenue dans le projet de loi électorale présente l’avantage de régler deux problèmes majeurs.
Le premier est d’ordre économique : avec près de 600 partis politiques que compte la RD Congo, la liste des candidats aux prochaines législatives compterait, au bas mot et en vertu de projections les plus optimistes, 20.000 candidats. Le bulletin de vote pour 20.000 candidats ressemblera donc à la Bible du temps de Gutenberg. Il s’avérera kilométrique et couterait énormément. Sans compter que les plus aptes des électeurs mettraient près de 30 minutes (en cas de vote par machine à voter !) pour retrouver le nom du candidat de leurs choix. Une situation dont les conséquences financières sur le coût global des élections est, assurément, néfaste. De 1.
De deux, c’est dans le but de lutter contre une plus grande fragmentation du paysage politique que le législateur a décidé d’instaurer un seuil de 3 %. Une deuxième motivation du législateur, qui rejoint la précédente, réside dans la préoccupation d’éviter (ou du moins de résorber) le morcellement chronique des forces politiques en RD Congo.
Certes, d’aucuns sont enclins à penser que l’option en faveur de l’adoption d’un seuil de représentativité entrainera une différence de traitement entre les petits partis politiques et les grands. Je suis persuadé que cela ne constitue pas une discrimination résultant de l’instauration d’un seuil électoral légal. Ce serait plutôt une conséquence découlant du choix des électeurs.
De nombreux penseurs ont lié le nombre de partis politiques au mode de scrutin. Ainsi, plus on s’oriente d’un scrutin de type majoritaire vers un scrutin de type proportionnel, plus le nombre de partis augmenterait, et c’est le cas de la RD Congo. Blais et Carty ont, par exemple, constaté que le nombre de partis se disputant une élection était trois fois plus élevé dans les systèmes proportionnels que dans les systèmes de type majoritaire.
Avant d’étudier les éventuels effets du seuil de 3 % sur le nombre de partis politiques, il faut vérifier, dans un scrutin proportionnel, l’existence du lien entre le nombre de partis qui se présentent aux élections et le nombre de sièges à pourvoir. En d’autres termes, il s’agit d’étudier la corrélation…. Il est en effet raisonnable d’émettre l’hypothèse que plus le seuil naturel est élevé, plus le nombre des partis politiques en présence diminue, étant donné que les représentants de ces partis seront davantage réticents à se lancer dans une campagne électorale s’ils savent à l’avance qu’ils n’ont presqu’aucune chance de remporter le moindre siège. Et pourtant, l’opportunité des alliances peut permettre qu’entre certains partis, les listes aillent ensemble.
Nous avons parcouru des études qui démontrent que ce genre de seuil a permis la réduction et freiné la prolifération des partis dans certains pays, tel que la Belgique où le seuil est de 5 %.
Nous y avons donc mesuré l’évolution du nombre de partis suite à l’introduction du seuil de 5 %. Un constat s’impose d’emblée : le nombre de partis par circonscription électorale – ou, plus exactement, le nombre de listes de candidats déposées – a diminué dans toutes les circonscriptions depuis l’introduction du seuil légal, tant aux élections fédérales qu’aux élections régionales et communautaires.
Donc, l’objectif du législateur visant à restreindre la fragmentation politique semble avoir été rencontré, même si, nous le rappelons, la fragmentation du paysage politique ne se réduit pas au nombre de partis ou des listes en présence.
L’avantage majeur de la perspective de l’instauration d’un seuil de représentativité réside dans la stabilisation du système électoral. On peut aussi parler, à ce sujet, d’homogénéisation. Pour qu’une assemblée prenne une décision, il faut qu’elle trouve un accord entre ses membres. Or, comment trouver un accord lorsqu’existent une multitude de partis politiques au sein de l’assemblée ? Si l’hémicycle se divise en trois, quatre ou cinq partis, un accord peut être obtenu à force de négociations afin d’obtenir au moins la majorité nécessaire à la décision. Si l’hémicycle comprend une dizaine de partis politiques, il faudra un accord plus large, plus de compromis et la majorité sera plus difficile à obtenir. Aussi, moins il y a de partis politiques au sein de l’assemblée nationale, et plus celle-ci sera stable.
Evoquée ainsi, la stabilité parait anti-démocratique. Or, lorsqu’une assemblée doit soutenir un organe exécutif par sa confiance, l’homogénéité de sa composition importe beaucoup. Si un gouvernement devait sans cesse composer avec une majorité parlementaire faite d’une coalition de partis politiques, sa tâche serait plus difficile. Comment réaliser son programme politique lorsqu’il faut négocier chaque texte avec une majorité capricieuse ? Il faut se remémorer de ce qu’on a désigné par l’expression « gauche plurielle » en France. Lors de la troisième cohabitation, Lionel Jospin, Premier ministre, devait ménager les députés communistes plus que les verts, les socialistes et les centristes. Il lui a été difficile de mettre en œuvre le programme politique défendu par le parti socialiste lors des élections législatives. On peut ainsi constater que stabilité rime aussi avec efficacité.
Selon nous, l’idée d’un seuil est donc positive et efficace.
Thierry MONSENEMPWO/CCU