Il était samedi 28 novembre 1998, lorsque, très tôt matin, une information confirmée par les médias plongea les mélomanes kinois et de toute la RD Congo dans une intense consternation : Jean-Baptiste Kabasele wa Ba Mulanga, alias « Pépé Kallé », également surnommé « L’éléphant de la musique zaïroise », était décédé.
Une fois de plus, cette traitresse, impitoyable et implacable mort avait encore sévi dans la famille des artistes-musiciens, provoquant stupeur et profonde tristesse, doublées d’immenses regrets. D’autant plus qu’aucun avant-coureur n’avait laissé présager une issue aussi brusque à la vie de l’artiste adulé. Pépé Kallé, pétillant de santé et débordant d’énergie, esquissait encore des pas de danse époustouflants et berçait les mélomanes de sa voix angélique quelques jours plus tôt. Du 28 novembre 1998 à 28 novembre 2017, il y a donc 29 ans que « L’éléphant de la musique zaïroise » quittait la terre des hommes, tout au moins sa partie fréquentable tant que l’on tient sur ses deux jambes.
L’artiste défunt était réputé pour son caractère convivial. Pépé Kallé, c’était le copain de tout le monde. Peu conflictuel, sa particularité, c’était un sens élevé du compromis. Une marque de sociabilité et une bonne humeur contagieuse qui font de sa disparition une perte immense pour ceux qui l’ont connu. Avec Yampanya wa Ba Mulanga, la musique rd congolaise a perdu gros, au propre comme au figuré. Cet artiste-musicien était de la race des génies de la musique de notre temps.
Une marée humaine
Enterré au cimetière de la Gombe le lundi 6 décembre 1998, l’illustre disparu a fait l’objet d’adieux émouvants à la dimension de son immense talent de la part des Kinoises et des Kinois de tous les âges qui avaient envahi l’esplanade du Palais du Peuple, dimanche 05 décembre pour lui rendre un vibrant et ultime hommage.
Au cimetière de la Gombe, avant la mise en terre du corps – la séparation définitive – le président national de l’UMUCO, Verckys Kiamuangana Mateta, a mis en exergue les vertus et la dimension exceptionnelle de l’illustre disparu par son amour pour la patrie, son sens du devoir, son esprit de famille, sa fidélité dans les relations humaines, sans oublier son amour du travail bien fait.
Madame Juliana Lumumba, alors ministre de la Culture et Arts, assurant pour sa part que Pépé Kallé entrait ainsi dans le panthéon des célébrités nationales : chanteur, auteur-compositeur talentueux et inspiré, il avait le don particulier de savoir exprimer par sa voix les accents émotionnels de la condition humaine, avait-t-elle déclaré.
Le bassiste de l’orchestre Empire Bakuba de l’illustre disparu, Godé Lofombo, un de ses disciples les plus éplorés, fit néanmoins preuve d’une lucidité surprenante en annonçant que Pépé Kallé laissait un vide difficile à combler au sein de l’orchestre. Peut-être, pourra-t-on imiter sa voix mais on ne saura jamais le remplacer sur le plan charismatique et de l’intelligence artistique. Le jeune émule ne croyait pas si bien dire. L’avenir lui donne entièrement raison.
Pendant l’office religieux tenu en la Cathédrale Notre Dame du Congo, avant l’inhumation, le cardinal Frédéric Etsou Nzabi Bamoungwabi exhorta les artistes-musiciens et les hommes politiques à suivre l’exemple du chanteur décédé qui avait su cultiver et répandre le message de paix, d’amour, de fraternité et de réconciliation tout au long de sa carrière musicale. Cet artiste a mis à profit le don qu’il a reçu gratuitement de Dieu au service de la communauté, ponctua le prélat au milieu de gémissements maladroitement étouffés de l’assistance éplorée.
Un artiste au parcours exceptionnel
Pépé Kallé était un artiste plein d’ambitions qui a effectué un parcours exceptionnel. Parent affectueux et fidèle, l’homme avait marqué les esprits par sa constance sentimentale dans un milieu où les sollicitations compromettantes sont légions.
Jean-Baptiste Kabasele est pourtant né à Kinshasa la capitale de la RD Congo le 30 décembre 1952, de l’union de Mr Ambondo et Madame Mbula, dans une famille de 15 enfants dont il était l’aîné des 8 garçons.
Il a étudié aux écoles primaires catholiques Saint Paul et Saint Charles Lwanga dans la commune de Barumbu où un certificat d’études primaires en 1962. Avant de poursuivre sa formation à l’Ecole Moyenne St Raphaëil (Ecomoraph) à Limete puis à l’Institut d’Etudes Sociales (IES) jusqu’en 6ème post-primaire. Mais à 2 mois de la présentation des épreuves d’obtention du diplôme de fin d’études secondaires, l’artiste abandonne tout pour se lancer dans la carrière musicale.
En fait, dès 1961, Jean-Baptiste Kabasele Yampanya s’intéressait déjà à l’écriture des chansons sous l’encadrement de certains aînés du quartier dans la commune de Barumbu. Il cédait ses œuvres, qui faisaient du succès sur le marché, aux musiciens professionnels sans pour autant être rémunéré. Le jeune compositeur décide d’embrasser lui-même cette carrière professionnelle vers 1963-1964.
African Choc, ancêtre de Bakuba
Avec le concours des amis du quartier : Papy Tex, le défunt guitariste Dialungana, Doris, etc, celui qui deviendra plus tard « L’Eléphant de la musique zaïroise » crée l’orchestre African Choc, dont les séances de répétition se déroulent sur l’avenue Luapula (domicile familial de Matolu Dode Papy Tex) dans la commune de Barumbu. Le saxophoniste Michel Yuma dit Michel Sax, alors membre effectif régulier de l’African Jazz de Grand Kallé, assiste par hasard à une répétition du groupe. Il est stupéfait par les qualités vocales de jeunes chanteurs que sont alors Pépé Kallé et Papy Tex. Et décide de les présenter à au grand Kallé Jeff. Le patron de l’African Jazz est séduit et place les deux jeunes chanteurs sous l’encadrement de son dauphin, le chanteur Kouka Mathieu, décédé il y a quelques semaines.
Pépé Kallé et Papy Tex en profitent pour améliorer ont sensiblement approfondi les leurs connaissances et s’imprégner des ficelles de la profession. Le duo largue un disque titré « Papy », une œuvre de Matolu Dode Papy Tex.
En 1970, leur stage terminé dans l’African Jazz, les deux amis musiciens intègrent un orchestre de la commune de Dendale (Kasa-Vubu) dénommé « Myosotis ». La même année, l’artiste-musicien professionnel Ebengo Dewayon organise un concours de musique des jeunes. Myosotis y participe avec ses deux nouvelles recrues et remporte la palme de meilleur orchestre des jeunes de Kinshasa. Pépé Kallé avait, à cette occasion, impressionné beaucoup de musiciens professionnels du pays.
Quelques mois après, Seskain Molenga, percussionniste dans l’Afrisa de Tabu Ley, sollicite Papy Tex et Pépé Kallé pour accompagner l’enregistrement de sa chanson devenue célèbre : « Nazoki ». Le Pdg Verckys Kiamuangana s’intéresse à ces jeunes musiciens qu’il retiendra pour son studio. Ainsi est née l’idée créer un nouvel orchestre composé des musiciens qui avaient travaillé avec Pépé Kallé au studio. L’idée étant acceptée, Seskain Molenga propose la dénomination de « Bakuba ». Les premiers enregistrements s’en suivront immédiatement, avec en sus le chanteur Dilu Dilumona, que l’accompagnateur Denis Lokasa avait déniché dans l’orchestre « Révélation » de la commune de Kintambo.
La sortie officielle sur scène de l’orchestre Bakuba eut lieu chez Vis-à-Vis Bar, le 7 mars 1973. En 1976, à l’issue d’une longue tournée dans l’espace Grand Kasaï où Pépé Kallé et Papy Tex furent reçus par le grand chef coutumier de Mweka, détenteur du pouvoir ancestral Kuba, le groupe fit précédé le terme « Empire » à la dénomination « Bakuba ». L’orchestre se fit désormais appeler Empire Bakuba.
De succès en succès, l’orchestre caracolait en tête des hits parades. Empire Bakuba accumulera trophées et titres : champion d’Afrique et des Caraïbes et plusieurs fois meilleur orchestre de l’année au pays. L’orchestre résistera aux démons de la division et s’imposera sur le monde musical comme un modèle de constance et de stabilité. Grâce à leur chorégraphie abondante, le chanteur Pépé Kallé et son Empire Bakuba se classaient parmi les plus féconds et les plus grands exportateurs de la musique de la République Démocratique du Congo.
ZENGA NTU