Robert Mugabe Président du Zimbabwe, c’est au passé qu’on l’évoquera désormais. Non sans un pincement au cœur pour les indépendantistes africains. Le père de l’indépendance de l’ancienne Rhodésie du Sud, colonie britannique jusqu’en 1980, a certes commis de nombreuses erreurs dont la moindre n’aura pas été de bien évaluer le bon moment pour quitter le pouvoir après plus de trois décennies de règne. Il n’en demeure pas moins que « Comrade Bob » est resté pour les Africains qui vivent à nouveau des tentatives de mise sous tutelle inavouées de certaines puissances euro-occidentales une icône. Au même titre que le Libyen Mouammar Kadhafi.
Ce vendredi 24 novembre 2017 sera officiellement installé au pouvoir son remplaçant à la tête du ZANU-PF et de l’Etat zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa. L’ancien bras droit de Robert Mugabe aura en charge l’organisation de la prochaine présidentielle zimbabwéenne à laquelle il sera vraisemblablement candidat pour le compte de ce parti qui a décidé de se défaire de son président, trop enclin à écouter sa jeune, et trop ambitieuse épouse, Grace.
Comme sur des roulettes
Les observateurs de la scène politique zimbabwéenne sont unanimes sur un fait : le départ du vieux Bob du pouvoir se sera déroulé sans la moindre escarmouche. Pas un coup de feu, pas un mort pas un blessé. Mardi 21 novembre 2017, Robert Mugabe a finalement cédé, aux pressions de son parti – et de la rue – appuyés par les forces armées du Zimbabwe. Tout est donc parti des caciques de la ZANU-PF, la formation politique du désormais ancien chef de l’Etat zimbabwéen ainsi que de l’association des « Vets », les vétérans de la guerre de l’indépendance. Une lettre du président adressée au parlement aura suffi pour enclencher le processus de succession au sommet de l’Etat. Et tout semble devoir se passer « comme sur des roulettes », comme on dit. Même devenu gâteux en raison de son âge très avancé (93 ans), Robert Mugabe, héros de la lutte pour l’indépendance de son pays, se sera conformé jusqu’au bout au modus operandi d’un appareil étatique qu’il a largement contribué à mettre en place, contre vents, bourrasques et marées.
Le vieux n’aura pas plié
En réalité, aucun des adversaires politiques acharnés du père de l’indépendance et de la réforme agraire zimbabwéenne n’aura joué un rôle décisif dans la défenestration de Robert Mugabe. Ni Morgan Tsvagirayi, ni Joyce Mujuru, ni Tendayi Biti, animateurs d’une opposition politique interne portée à bouts des bras par les occidentaux, et encore moins les sanctions économiques imposées à ce pays véritable Cuba d’Afrique n’ont fait plier le vieux lion de Harare. Son départ d’un pouvoir qu’il exerçait depuis plus 37 ans est dû aux frasques de sa dernière épouse, Grace Mugabe. La descente aux enfers de Robert Gabriel Mugabe a été en effet enclenchée le 4 novembre 2017, lorsqu’il était devenu évident qu’il envisageait sérieusement de faire de son épouse Grace la vice-présidente du Zimbabwe, en lieu et place de son fidèle compagnon de route et dauphin constitutionnel, Emerson Mnangagwa. Les caciques de la ZANU-PF et les hauts gradés de l’armée qui n’entretenaient pas les meilleures relations avec la jeune dame, ancienne secrétaire du Président qui était devenue son épouse après la mort de sa première femme était soupçonnée de vouloir en découdre avec la vieille garde. Le 5 novembre, Grace Mugabe, de 40 ans moins âgée que « comrade Bob », est bien imprudemment montée elle-même au créneau en demandant publiquement au vice-président zimbabwéen de lui céder son fauteuil, une demande sanctionnée 24 heures plus tard, le 6 novembre, par une décision de limogeage signée de Robert Mugabe, au grand dam des vétérans et des chefs militaires qui, en faisant valoir l’âge avancé de Mugabe, ont pris les devants. C’était le début de la fin.
Comme Samson
Par crainte pour sa vie ou par sagesse ou les deux à la fois, Emerson Mnangagwa s’était exilé, en Afrique du Sud voisine selon des sources. Mais à Harare, l’ascension fulgurante de « Gucci Grace », surnom accolée à la 1ère Dame du pays en raison de son goût effréné du luxe, déplaisait souverainement. A l’armée particulièrement, dont les officiers les plus gradés anciens collègues de Mnangwagwa, voyaient leurs privilèges menacés. Le Zimbabwe est en effet un des pays africains où les hauts gradés de la grande muette comptent parmi les hommes les plus choyés par l’Etat et ses technostructures. C’est ce qui explique l’extraordinaire résilience du pouvoir de Robert Mugabe qui a résisté à toutes les bourrasques possibles en s’appuyant sur des forces de défense dont il avait su se faire de solides alliés. En s’en prenant à Emerson Mnangagwa, Grace Mugabe a bouleversé cette solidarité entre combattants et représentait, de ce fait, une menace pour les galonnés dont le chef d’Etat-Major Général adjoint, Sibusiso Moyo, a annoncé le 15 novembre 2017 sur les médias la décision de l’armée de procéder à « l’arrestation des criminels proches du président Mugabe », une décision qui visait Grace et sa coterie et qui a été perçue comme l’équivalent d’un coup d’Etat.
Jusqu’au bout de sa logique
Placé en résidence surveillée, Robert Mugabe s’est rebiffé dans un premier temps, rejetant toutes les offres de reddition ou de démission, estimant que seul son parti politique, la ZANU-PF, pouvait le déchoir. Le 16 novembre encore, le vieux Bob s’offrait une cérémonie officielle de collation de grades académiques dans une université de la capitale, flanqué du Général Chiwenga, chef d’Etat major général des armées, comme pour narguer quelques instants encore ses détracteurs. Mais dès le lendemain, le 17 novembre 2017, l’ensemble des branches provinciales de la ZANU-PF adoptait une motion de retrait de confiance à l’encontre du camarade Robert Gabriel Mugabe. Parallèlement, Chris Mutsvangwa, un des dirigeants de l’Association des vétérans de la lutte de l’indépendance appelait à des manifestations pour contraindre le président à la démission. Les carottes étaient bien cuites. Le 18 novembre, des dizaines de milliers de zimbabwéens ont battu le pavé dans les rues de Harare la capitale, exigeant le départ du vieux lion et fêtant à l’avance la fin de l’ère Mugabe, effigies de Emerson Mnangwagwa brandies en signe de triomphe. Le 19 novembre, la ZANU-PF a annoncé officiellement la destitution et l’exclusion de Mugabe du parti et désigné Mnangagwa à sa tête, ce qui en fait le candidat à la prochaine élection présidentielle zimbabwéenne prévue en 2018.
Révolution de palais
Au Zimbabwe, c’est donc une révolution de palais qui a eu lieu. Le parti au pouvoir et l’armée conservent les rênes du pouvoir à Harare. Comme son prédécesseur, Emerson Mnangagwa, 75 ans, est un marxiste-léniniste pur et dur qui a fait ses classes à l’Université de Pékin. Formé en Chine au combat et aux renseignements, le successeur de Comrade Bob est né en septembre 1942. Fils d’un militant anticolonialiste, il a grandi en Zambie et a rejoint dès 1960 les rangs de la guérilla indépendantiste contre la minorité blanche emmenée par le tristement célèbre Ian Smith. Comme Mugabe, il a été arrêté en 1965 et purgera 10 ans de prison. Dès 1980, Robert Mugabe l’a placé sur orbite, lui confiant successivement la direction de la sécurité d’Etat, de la division « Gukurajundi » (groupe militaire formée en Corée du Nord), du ministère de la Justice puis des Finances. De 2000 à 2005, Emerson Mnangagwa a été le speaker (président) de l’Assemblée nationale du Zimbabwé, avant de diriger la campagne présidentielle de 2008 qui a permis à Robert Mugabe de battre Morgan Tswangirai au second tour. Celui que l’on surnomme « le crocodile » en raison de sa fermeté était pressenti successeur du vieux lion depuis plusieurs années. Hormis le petit couac intervenu du fait de l’agitation et des ambitions jugées démesurées de l’ex-première dame Grace Mugabe, le pouvoir n’a manifestement pas changé de mains au Zimbabwe.
J.N.
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