Tout le monde, sauf l’organe chargé de son élaboration, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), donc, réclame à cor et à cri un calendrier électoral pratiquement sans délai. Ces dernières semaines, particulièrement, les pressions pour la publication d’un calendrier électoral se sont multipliées sous diverses formes. Les uns accusant ou reprochant au président de la CENI d’avoir osé évoquer un calendrier électoral loin des terres nationales, en France ou aux Etats-Unis lors de réunions d’évaluation avec ses partenaires. Les autres le pressant au contraire d’en publier un le plus rapidement possible, à la fois pour rassurer ceux qui dans l’opinion douteraient encore de cette éventualité inéluctable, que pour « crever l’abcès », en quelque sorte. En donnant la preuve matérielle que la période pré-électorale ne se muera pas en un nouveau mandat électoral pour Joseph Kabila.
Pressions en sens divers
Dans un rapport rendu public mercredi 11 octobre 2017, le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, a demandé à la CENI de publier urgemment un calendrier électoral crédible, qui permette la tenue d’élections dans les plus brefs délais, conformément à l’Accord du 31 décembre 2016. «Il est crucial que le Gouvernement, la Commission électorale nationale indépendante et le Conseil national de suivi de l’Accord et du processus électoral fassent preuve de la volonté politique nécessaire pour faire avancer le processus électoral, dans l’esprit de l’accord du 31 décembre 2016», écrit Guterres, qui «… exhorte le Parlement à adopter, aussitôt que possible, le projet de loi organique sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil national et d’apporter à la loi électorale les modifications requises. J’encourage également le législateur à envisager d’accroître la représentation des femmes au cours des délibérations sur la loi électorale modifiée, conformément aux aspirations en termes de parité des sexes consacrées dans la Constitution». Une demande équivoque qui tout en appelant à la publication du calendrier électoral mentionne les obstacles irréfragables que constitue précisément l’adoption des lois qui relèvent non pas de la compétence de la CENI mais du parlement.
Même son de cloche de la bouche du Représentant spécial d’Antonio Guterres en RD Congo. S’adressant au Conseil de sécurité des Nations-Unies le même mercredi 11 octobre 2017, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations-Unies à Kinshasa Maman Sidiku, a soutenu que « … à l’heure actuelle, la publication d’un calendrier électoral réaliste, l’établissement d’un budget pour la tenue des élections, la mise en œuvre des mesures de décrispation et la garantie du respect des droits et libertés fondamentales sont les principales conditions à remplir pour faire avancer le processus politique ».
Evaluation interinstitutionnelle
Les uns et les autres ne devraient pas tarder à être fixés d’ici quelques jours. Après les travaux d’évaluation du processus électoral qui vont mettre autour d’une table la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), le Comité National de Suivi et d’Evaluation de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA) et le Gouvernement congolais, qui s’ouvrent ce week-end à Kinshasa. Confirmation en a été donnée mercredi dernier par Norbert Basengezi Katintima, le N°2 de la centrale électorale, à l’issue d’une réunion d’un comité de partenariat qui réunit la CENI, le Gouvernement, le PNUD et les missions diplomatiques accréditées à Kinshasa. Une occasion mise à profit pour rappeler l’ensemble des préalables liés au chronogramme électoral, et non pas seulement à la publication de la date des scrutins, dont l’évaluation permettra la publication rapide du calendrier tant réclamé. Il s’agit particulièrement d’appuis juridiques indispensables à la confection d’un calendrier que sont l’adoption des lois électorale et de répartition des sièges par circonscription. Sans compter les défis logistiques et financiers, dont il faut s’assurer qu’ils seront surmontés pour mettre à jour un chronogramme plus réaliste que les multiples chronogrammes proposés à longueur de journées par des personnes physiques ou morales non habilitées et politiquement motivées. Dans les diverses séances d’évaluation auxquelles il a eu à participer, Corneille Nangaa Yobeluo, le patron de la CENI a ainsi dit et répété que rien que pour le déploiement du matériel sensible, la centrale électorale qu’il préside aura besoin de la bagatelle de 200 rotations aériennes ainsi que des centaines de camions poids lourd et qu’elle attendait de ses interlocuteurs (Gouvernement congolais, ONGs, MONUSCO et autres Agences des Nations-Unies ou Union Européenne) des réponses concrètes et chiffrées en termes de contributions. Selon un spécialiste des questions électorales rd congolais qui s’est confié aux rédactions du Maximum, « à part le Gouvernement en place à Kinshasa qui a réquisitionné quelques avions militaires et une cinquantaine de véhicules, et la MONUSCO, les autres partenaires de la CENI n’ont gratifié celle-ci que de critiques acérées sur la lenteur de son déploiement »…
Des délais politisés
La tripartite CENI-CNSA-Gouvernement sera donc essentiellement une affaire de délais, qu’il faut raccourcir au mieux, et à peu de frais. Un raccourcissement qui se fonde dans la préoccupation de certains acteurs occidentaux (particulièrement européens) et leurs affidés de tous bords de ne pas voir le Chef de l’Etat en place, Joseph Kabila, « profiter » plus longtemps des rallonges constitutionnelles qui le maintiennent au pouvoir aussi longtemps qu’un nouveau Chef de l’Etat ne sera pas élu ainsi que le prévoit la constitution. La question avait déjà pratiquement cannibalisé le dialogue facilité par l’Union africaine en août-septembre 2016, le seul qui ait réellement été consacré aux questions électorales en vue d’une alternance pacifique et conforme aux normes au sommet de l’Etat. Les parties prenantes à ces assises modérées par le diplomate togolais Edem Kodjo avaient convenu de l’organisation des trois scrutins cruciaux, la présidentielle, les législatives nationales et les législatives provinciales en une seule séquence. C’est cet accord politique, qui départageait les tenants de l’organisation en priorité exclusive de l’élection présidentielle et ceux qui défendaient l’organisation en priorisation des élections locales et communales, qui a été entériné par la plénière du 15 septembre 2016. Avant que les parties prenantes à l’autre dialogue, celui modéré par des évêques catholiques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo, appelés à la rescousse par le président Joseph Kabila, au Centre catholique interdiocésain ne le reconduisent tel quel.
Coût prohibitif
Reste le coût, plutôt élevé, de la tenue de trois scrutins en une séquence sur lequel peu de protagonistes se sont sérieusement penchés. Il fera l’objet d’une réévaluation au cours de la réunion tripartite, a annoncé Norbert Basengezi dans sa communication aux bailleurs des fonds, mercredi dernier à Kinshasa. Au cours d’entretiens au Département d’Etat américain en octobre 2016, le président de la CENI, Corneille Nangaa, avait déjà pu donner un aperçu des difficultés de la tâche. En effet, sauf modification drastique de dernière minute de la loi électorale, la CENI attend, en effet, quelque 64.000 candidatures (contre … seulement 17.000 en 2011 !) pour l’ensemble de ces scrutins à organiser dans les 26 provinces que compte la RD Congo. Selon les estimations effectuées par la CENI avec l’Organisation Internationale de la Francophonie et les Nations-Unies, 504 jours sont indispensables – c’est le temps matériel indispensable et non négociable – pour mener à bien l’ensemble des opérations électorales, à compter de la fin des opérations de révision du fichier électoral.
Des contraintes réelles
64.000 candidatures, cela induit un bulletin de vote kilométrique, avait expliqué Corneille Nangaa à ses interlocuteurs américains il y a près d’un an maintenant. Parce que pour 17.000 candidats aux législatives 2011, la CENI avait dû produire un bulletin de vote en forme de carnet de 53 pages pour certaines circonscriptions électorales du pays (Circonscription de la Tshangu à Kinshasa). D’où la proposition d’une « machine à voter », conçue par les techniciens de la centrale électorale pour réduire les coûts inhérents à l’impression d’un bulletin de vote aussi peu maniable. La question sera sans doute, elle aussi, inscrite à l’ordre du jour des débats qui se tiendront au ministère des Affaires étrangères à Kinshasa.
504 jours de délais techniques incompressibles (chemin critique), c’est une période pré-électorale de plus ou moins 17 mois, à partir de la fin des opérations de révision du fichier électorale fin décembre-janvier 2018. Les premiers scrutins ne se tiendront donc que mi-2019, dans le meilleur des cas. Cela était bien connu des parties prenantes aux deux dialogues qui se sont tenus à la Cité de l’UA et au Centre catholique interdiocésain à Kinshasa. En renvoyant l’examen de la question à un comité créé expressément pour « évaluer le processus, en cas de nécessité », les parties prenantes au dernier dialogue et les évêques catholiques qui en avaient assuré la modération, n’avaient fait que subordonner la résolution du problème à un arrangement entre acteurs politiques.
Mais en RD Congo, la question du calendrier électorale n’est pas une question technique. Elle est politique : on y va, ou n’y va pas ?
J.N.